Cela fait bien longtemps que je nous n’avons pas publié d’anadiplose de featuring. Remercions mon angine blanche de ces derniers jours: elle aura eu le mérite de me remettre le pied à l’étrier. Le concept reste exactement le même, on crée une chaîne de featuring, passant d’artiste à artiste, dans une volonté de diversité, de continuité, de rupture… Étant donné que cela fait longtemps que nous n’avons pas publié d’anadiplose, je me permets de vous rafraîchir la mémoire en vous rappelant les artistes ayant constitué le corps de notre précédent article: Lino – Oxmo Puccino – Demi-Portion – Guizmo – Saké – Scylla.
Trêve de blabla, vous voilà devant l’anadiplose de featuring #5 made in Le Rap en France, bonne lecture !
Scylla & Furax – Cherche (2011)
J’ai longtemps hésité entre Cherche, présent sur l’EP Abysses de Scylla, et Les Poissons Morts, présent sur l’album Testa Nera de Furax. J’ai finalement penché pour ce morceau. Tout d’abord grâce à la fatale beauté de l’instrumentale, un classique piano/violon redoutablement efficace quand ce sont ces deux voix si puissantes qui y sont associées. Puis pour le thème abordé, qui se présente sous forme d’une longue métaphore filée, plus original que dans Poissons Morts (peu original bien qu’il soit magnifiquement traité, comme à leur habitude).
À chaque fois que j’écoute ce duo, je vois en la gravité de Scylla l’éternel courroux de l’homme et en Furax son indicible tristesse. Je les imagine constamment tiraillés entre la haine de vivre dans un monde qu’il n’ont pas choisi et l’impossibilité qu’ils éprouvent d’en créer un meilleur – thème indirectement abordé par Scylla dans Second Souffle.
Scylla et Furax signent une nouvelle fois un classique, démontrant encore qu’ils forment certainement l’un des meilleurs duos de la scène rap francophone de la décennie.
Des vérités se cachent derrière chacune des métaphores
T’auras qu’à vérifier leurs traces dans les tas de trucs qu’on élabore
Ceux qui nous suivent depuis le départ ont déjà pigé le rapport
Ils sont déjà venus sur le navire fantôme ou bien sur l’île de la mort
Que les autres cherchent entre les lignes se cache le tout
Le mythe d’un Ogre Elfique et d’un Pirate à barbe rousse
Furax & Jeff Le Nerf – La rime galère à sourire (2012)
Réunion des deux têtes de proue du mouvement indé à Grenoble (pour Jeff) et à Toulouse (pour Furax). Au niveau instrumental, pas de grosse innovation comme on peut s’en douter avec ce genre d’MC: une grosse batterie sur un bpm classique, une boucle très boom bap sur une mélodie de violon rendant le track sombre et empli de tristesse.
Cette chanson est présente sur l’album Testa Nera de Furax, surement l’un des meilleurs albums de cette dernière décennie. Le titre annonce le thème par lui-même: une chanson qui n’est pas faite pour faire rire les gosses. Du triste à foison, de l’egotrip noir et merveilleusement bien écrit (« J’ai beau cherché la rime cool, j’trouve que celle qui tue !« ), le tout accompagné de multisyllabiques ultra-techniques, permettant à la forme de venir servir un fond réfléchi, mature et profondément intelligent.
J’en viens à croire que j’porte le poids d’mes années noires
Puisque je bois et que je retrouve la mémoire, désarmez-moi
Ton paradis je n’irai pas, car ce gars-là s’en moque
Et puis j’avance dans une carriole tirée par deux canassons morts
Jeff le Nerf & Kool Shen – Les yeux dans la banlieue
J’aurai aussi pu choisir Faudra t’habituer, des mêmes interprètes. Étrange paradoxe d’ailleurs, quand on compare la qualité de ces deux sons en parallèle et leurs vues sur Youtube: 650 000 pour Faudra t’habituer, et 70 000 pour Les yeux dans la banlieue. Inversement proportionnel à la qualité des deux sons. Le premier est enregistré via Def Jam pour l’album de Shen, et suit un format découpé pour faire un hit (refrain – couplet – bridge – refrain – couplet – refrain – couplet – bridge – refrain), avec des paroles fades et un thème ultra classique, et non pas pour produire un morceau de qualité. Celui que j’ai choisi, quant à lui, regroupe les deux membres éminents de IV My People pour un morceau froid et cru, complètement descriptif, sans tomber dans la niaiserie du « rap conscient ».
On tombe sur le discours de deux banlieusards qui nous expliquent simplement que la vie est la même dans n’importe quelle banlieue de France, peu importe de laquelle on vient. Un très beau morceau, teinté d’humilité, de haine et de réalisme.
Je ne veux plus me sentir muet quand je parle à l’avenir.
Kool Shen & Zoxea – Oeil pour oeil (2002)
Reprenant le célèbre adage biblique, Kool Shen et Zoxea rappent ensemble en 2002 pour l’album IV My People Zone, sur le label crée en 1998 par Kool. Étonnant d’ailleurs de les voir, sur le refrain, reprendre les mêmes paroles que Ali sur Banlieue Ouest (On m’a dit oeil pour oeil, dent pour dent/J’ai répondu deuil pour deuil et sang pour sang).
Dans tous les cas, un énorme sur une Face B magnifique parcourue de vocals saisissants. Une connexion qui se fait peu de temps avant la fin du label, et qui aura tout de même permis de superbes rencontres musicales comme celle ci.
Zoxea & Sinik – No Time
Morceau présent sur l’excellente mixtape En attendant l’album de Sinik, on assiste à un véritable tour de force de la part des rappeurs des Ulis et de Boulogne. Un Sinik toujours autant percutant, sublimé par un Zoxea ultra speed qui nous livrent chacun un couplet énervé et brut de décoffrage. On connaît la capacité de Sinik de mettre une prod en chantier dès qu’il s’y décide, avec son agressivité, son flow marteau piqueur et sa vision si abrupte et crue de tout ce qu’il décrit (« Ici les gosses se font en 30 secondes« ). Les deux rappeurs chantent leur manque de temps et leur envie de tout niquer dans le rap et dans la vie en général, accompagnés de scratchs aiguisés en guise de refrain.
Le morceau est introduit par un petit discours entre les deux rappeurs, qui sont entrain de trinquer gaiement autour d’un verre, cette ambiance légère contrastant totalement avec la violence du morceau, vif et sur les nerfs. Le morceau se clôt sur un dernier refrain qui suit un couplet passe-passe où les deux rappeurs croisent le micro l’un après l’autre.
Adolescent casse-cou
Nourri dans les fast food
Record en phases de fou
Moi dans mes phrases y’a de la foudre !
Merci Lucie, trop sympa de ta part, ça fait plaisir ce genre de commentaire ! Big up
Superbe chronique, une tuerie. La chaîne de rappeur est bien trouvée, et la critique est super bien menée. BRAVO