« Premiers souvenirs floutés, éclaircis par quelques diapos, une collection de sourires figés sur un paquet de photos ».
Jaquette en noir et blanc, illustrée des clichés des proches d’Anton Serra, on ouvre la boîte de Frandjos comme si le Mc de L’Animalerie nous faisait découvrir son propre album photos. Car c’est au travers de douze titres (et deux remix) que le rappeur lyonnais nous propose de découvrir sa vie, parfois teintée de mélancolie, mais souvent embellie par l’amitié.
Celle-ci occupe d’ailleurs une place prépondérante dans cet opus, tant les différents titres de l’album semblent comporter à chaque fois un clin d’œil, une dédicace, ou une révérence. Le seul morceau clippé en est d’ailleurs le meilleur exemple. Sur un beat pourtant énergique, presque dansant, produit par Bonetrips (qui a longtemps sévi au côté des Gourmets, autre crew Lyonnais) Anton fait honneur à Karim Dib, dit Zaïro, proche décédé en 2011 et graffeur lui aussi.
A la manière de l’hommage magnifique rendu par Rocé à Dj Mehdi dans Magic, Anton Serra opte ici pour la subtilité puisqu’il nous narre à travers sa passion pour le graffiti, ses moments partagés avec son ami défunt, prenant ainsi à contre-pied l’auditeur, qui s’attendait sûrement à une instru agrémentée de violons.
Ce contraste, entre énergie et tristesse, est d’ailleurs entretenu durant tout l’album. Le phrasé dynamique et ardent de Serra se conjuguant souvent avec mélancolie et regrets. Tantôt blasé dans Toujours Le Même Thème sur les attitudes policières ; tantôt morose dans Sans Toi
(J’porte ma souffrance comme le moustique transporte le palu), morceau peut-être le plus intime de Frandjos; souvent désabusé comme en témoigne le morceau Navigator (J’m’amuse sur cette croisière, j’m’efforce de garder le sourire/ de triste moussaillons se demandent pourquoi son rafiot chavire/ pas de sauvetage sans bouée le moral a mis les voiles/ insensible, blasé d’s’assoupir sous mille étoiles).
Nous interpellant même de manière provocatrice sur l’amour dans Aimer tue (Hein, aimer tue? Je te pose la question), sentiment sur lequel il ne semble avoir que peu d’illusions, Anton Serra ne paraît accorder de crédit qu’à sa famille et, bien sûr, à l’amitié. Pourtant celle-ci semble elle aussi en proie à la méfiance en toute fin d’album dans l’excellent morceau La Carte De L’Ignorance (« J’ai plus confiance en l’amitié les potes sont aussi putes/ Y’a qu’une lettre de différence, et pour un différend tu pourrais crever sous leur nez ils seront indifférents »). A la fin de Frandjos, on sent Serra déçu, mais réaliste. Réaliste sur le monde qui l’entoure (la vie est bien plus belle quand elle est romancée), mais surtout sur lui-même (j’ai fait l’effort pour être ainsi comme un espèce de tremplin/ pour ma vie j’garde le sourire et la carapace de Franklin« ).
L’auditeur quant à lui, est loin, très loin d’être déçu à la sortie de ce diaporama. La technique d‘Anton Serra est toujours impeccable, mais surtout son écriture s’est encore enrichie depuis Sale Gones, son premier album. On ne saurait que trop vous conseiller d’écouter attentivement les métaphores filées de Navigator et Aimer tue pour voir à quel point le vandale n’a pas à rougir devant son pote poète – Lucio Bukowski – tant chaque phase est réfléchie et travaillée. Ce dernier accompagne d’ailleurs Anton Serra sur le morceau Not Ville, visite guidée (rappelant fortement le morceau Ma Ville de Psykick Lyrikah), retranscrivant parfaitement l’ambiance de la capitale des Gaules. Quelques morceaux plus légers viennent bien évidemment ponctuer l’album, notamment le déroutant Why Not Groove aux sonorités reggae qui ne feront pas l’unanimité, et le désormais habituel morceau J’Voulais Pas faisant écho à J’Voulais du premier opus, et à J’Voudrais (Pas) du récent Antoster Lapwasserra.
Au niveau des prods, outre Bonetrips, on retrouve notamment Tcheep son autre acolyte des Gourmets, et naturellement l’inépuisable duo Oster Lapwass – Dj Fly. En ce qui concerne les featurings, on est ravi de retrouver Dico et Petit Nadir pour ce qui reste sûrement l’un des meilleurs morceaux de l’album (La Carte De L’Ignorance), l’habitué Enapoinka, et surtout Missak qui nous livre un très bon couplet sur le titre Hé oui, et dont l’Ep L’Adultère Est Un Jeu D’Enfant se fait toujours attendre.
Plus intime que son prédecesseur, Frandjos dévoile l’artiste lyonnais sous un autre aspect. Sans jamais tomber dans un pessimisme stérile, Anton Serra nous conte une partie de sa vie, et de sa construction à travers les gens qui l’entourent. Certes les thèmes abordés ne sont pas révolutionnaires, mais l’habilité du Mc et l’efficacité des prods font que l’auditeur se retrouve lui aussi dans cette introspection. Et pour ceux qui ne souhaiteraient pas se poser sur le canapé avec une bière devant le retroprojecteur d’Anton Serra, on vous conseille vivement de choper Antoster Lapwasserra, maxi sorti le même jour que l’album, et tout aussi rafraîchissant.
Abder
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Trés bon album presque aussi bien Que Sales Gones. Non vraiment, n’hésitez pas: chopez le!