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Billets d'humeur

Booba – Un américain à Paris

Trop de baratin pour être Charlie. Pas assez de répartition pour avoir le luxe d’être esthète. Sombre et simpliste, le son doit l’être, en adéquation avec l’époque pour être percutant. Booba s’inscrit dans ce sillage, la mort du Hip-Hop, la domination du rap. Un monde où tout n’est qu’histoire de force. #Skywalker.  On a tout …

Dossiers Le rap français et ...

Le rap français et le banditisme

C’est bien connu, le rap français a toujours entretenu un lien étroit avec l’illicite et les organisations criminelles. Que ce soit par le jeu de l’identification – les rappeurs sont censés côtoyer la rue au même titre que les voyous, et comptent souvent en leur rang des proches ayant empruntés les mêmes trajectoires sinueuses – ou, surtout, par celui de la fascination: cinéphiles, les rappeurs n’ont jamais cessé de jouer aux bandits, ne serait-ce que de manière métaphorique ou fantasmée. Avec, comme dans toute bonne histoire, des points de continuité et de rupture. .

Années 1990 : j’ai toujours rêvé d’être un gangster

La Mafia et les gangsters ont de tout temps fasciné le grand public et la société du spectacle. La mafia sicilienne, par exemple, a été connue par une majorité d’Italiens lors de la diffusion d’une pièce de théâtre – I mafiusi de la Vicaria, en 1863. Par un biais culturel, déjà, le banditisme se parait d’attributs mythologiques. Bon public, le rap les reprendra plus d’un siècle plus tard au point d’en faire des thèmes fondateurs.
Dans le milieu Hip-Hop, la fascination pour les légendes de l’illicite apparait aux États-Unis au début des années 1990, lorsque la seconde génération de rappeurs, grillée par les années Reagan, délaisse le strass et les paillettes pour une attitude plus en lien avec la violence qui règne dans les rues. Les rappeurs s’appuient alors sur des références directes au crime et à la mafia (qu’ils côtoient parfois de près, souvent de loin), et les légendes du block à la Rich Porter et Alpo s’invitent dans bon nombre de lyrics. Iam, alors de jeunes marseillais à salopettes et moustaches, nommeront même cette nouvelle scène la Criminosical music.

La relation entre le Hip-hop et le banditisme n’en est alors qu’aux préliminaires. Elle se consommera pour de bon quand Biggie et Tupac, ultimes représentants de la culture Hip-Hop, construiront leur carrière sur une imagerie aussi mafieuse que gangsta,  reprenant à leur compte les histoires des célèbres criminels américains (Luciano, Bugsy Siegel, Capone et consorts) pour les mêler aux récits cinématographiques de personnages devenus cultes (Tony Montana, Vito et Michael Corleone, Noodles, Manny etc.). Dialogues, bandes originales et pseudonymes sont alors pillés sans vergogne par le Hip-hop, puis réinsérés dans les morceaux des rappeurs les plus influents de l’époque sous forme d’interludes, de rimes et de samples. Dès l’origine, le lien est d’ailleurs complètement fantasmé : le Gangsta Rap est propulsé sur le devant de la scène par N.W.A, dont deux des protagonistes (Dr. Dre et Ice Cube) avaient jusque-là tout fait pour se tenir à distance des gangs, qu’il soit bleu ou rouge – à L.A ou à New-York, il n’est sans doute pas nécessaire d’être un gangster pour savoir que les symboles de « l’hardcore » (Tupac, Biggie Smalls, Dr.Dre ou Snoop Dogg) sont avant tout des artistes qui, pour certains, s’étaient déjà fait connaître avec des costumes à paillettes et des yeux maquillés au eye-liner.

Naturellement, les rappeurs français ont rapidement intégré cette imagerie. L’assimilation est d’autant plus facile qu’en France comme ailleurs, les quartiers ont toujours élevé « des statues aux dealers de blanche et aux braqueurs de banque ». Question de culture et de méfiance vis-à-vis d’un ordre établi qui ne cesse de promouvoir un modèle unique de vertu. Les albums français de référence possèdent alors tous un titre en lien plus moins direct avec la mafia ou les films du genre. Opéra Puccino, Métèque et Mat, Le Calibre qu’il te faut, Quelques gouttes suffisent…La mythologie mafieuse s’enracine rapidement dans le mouvement, et les tentacules d’une pieuvre remodelée se déploient jusqu’au fin fond de l’Ile-de-France. Stomy Bugsy, Lino, le Black Mafioso, Le Rat Luciano sont quelques exemples de blazes qui témoignent de cette influence.

Mais, au contraire du rap américain des 1990’s, la référence est encore explicitement fantasmée, presque humoristique. C’est l’époque du Secteur Ä et des gangsters d’amour, des références flash d’Ärsenik ou des storytelling d’Akhenaton. Oxmo Puccino et Booba symboliseront de la plus brillante des façons cette tendance où, bien que s’exprimant à la première personne, les protagonistes endossent le costume d’un autre, sorte d’alter ego crapuleux. Cette dérision, alliée à une réelle maestria, permet au rap français de sortir du cercle des seuls initiés : les classes moyennes, voire bourgeoises, s’identifient aux textes. Le rap est alors à son apogée, d’un point de vue commercial au moins, et les rappeurs français s’affirment comme les simples témoins d’un quotidien de quartier, dans des textes où prédominent le « ils », où le « je » fictif clairement identifiable – ce qui n’empêche pas l’opinion publique française, éclairée comme à son habitude, d’amalgamer rap et délinquance et d’imaginer des histoires fumeuses de secte Abdoulaï ou de groupes incendiaires.

Années 2000 : j’enfile ces empaffés de frères Diaz, je les baise en brochette !

Avec leur cortège de tristes événements, les années 2000, noires et dénuées d’humour, débarquent comme des oiseaux de mauvais augure. L’heure est au durcissement des discours publics et médiatiques et, coïncidence ou non, les rappeurs leur emboitent le pas : le rap de rue, parfois 1er degré, arrive en force dans nos tympans. BIM. Le thème de la criminalité reprend soudainement du galon, dans une forme différente. Le grand public tourne alors le dos à cette musique dont il ne comprend plus les codes, ni la violence affichée, ni la haine proclamée contre tout et souvent rien.

Désormais, les rappeurs s’expriment à la première personne (l’école Time Bomb est passée par là) et clament à tour de rime leurs petits faits d’armes, pourtant loin de faire d’eux des Michael Corleone : on passe du « ils » au « je », du spectateur-témoin à l’acteur revendiqué, et la frontière entre le réel et le fictif se brouille comme le film de boule du samedi soir. Ce ne sont d’ailleurs plus vraiment les histoires de tête de cheval décapitée qui recueillent les suffrages, plutôt l’univers moins allégorique de la vie de rue. Lunatic a fait des petits mais le talent n’est hélas pas toujours héréditaire. Le rap français se cherche alors un représentant qui aurait vraiment manié le pe-pom. Alpha 5.20 et quelques autres sont des candidats au titre presque crédibles, mais le public n’est pas totalement dupe.

Dans le même temps, l’authenticité, idée-force du rap français de la décennie précédente, tombe en désuétude. Le pera à la sauce dirty l’a poussé dans la tombe à grand coup de pecs huilés. Fini les citations pour les potos voyous qui « voyagent de cellule en cellule » ou les grandes envolées lyriques sur les larcins des frères d’à-côté, place à l’entertainment et au Moi j’ai fait ci, moi j’ai fait-ça. Comme aux States, en somme, avec la compréhension du public en moins (d’une partie) – toutefois, la référence imagée aux films de mafia existe encore, preuve en est avec le récent titre de Demi Portion, Demi Parrain, et surtout avec les albums de Seth Gueko et AlKpote, contenant sans doute les meilleurs lyrics sur le sujet.

Une fois encore, ce changement de représentation s’entremêle avec l’évolution du Hip-hop outre-Atlantique et celle du contexte social de l’époque. Désormais tendance, la trap Music se pavane toutes armes dehors, enfant de l’ère Bush et de la paranoïa ambiante. Tout comme son homonyme version bleu blanc rouge qui, quoique miné par la morosité et le déclassement de ses proches, désire montrer combien il domine les débats funestes et le monde de la crapulerie. En France, sa force de persuasion reste cependant limitée : seuls quelques esprits trop imaginatifs n’ont pas saisi qu’il s’agissait juste de nouveaux riches capables de scénariser leurs propres fantasmes. Pour tous les autres, il est l’heure de trancher : faut-il continuer à écouter du rap comme on l’a toujours fait (en privilégiant un contenu réel et une attitude authentique radicalement opposés aux « fake MCs« ) ou accepter que le rap soit, au même titre que d’autres formes artistiques, une déformation du réel.

L’explication bascule donc logiquement dans le champ artistique. Le rap a pris de l’âge et, en prenant quelques rides, il a choisi de mettre de côté ses aspects les plus Hip-hop, au profit d’une attitude plus street – d’où un lien renforcé avec l’illicite, notamment dans les clips. Dans cette nouvelle donne (finalement plus commerciale qu’artistique), les rappeurs commerciaux n’ont plus de scrupules à faire du rap divertissant (puisque ça vend) même s’ ils ne sont plus sur le terrain. Dans son dernier son, Booba, pourtant amateur de piques virtuels devant l’éternel, fait ainsi dire à son personnage : « Régler ses comptes sur le Net : j’préfère t’mettre un coup de schlass ». Le game porte décidément bien son nom. Les uns se reconnaissent dans le délire, d’autres le méprisent. Ça jacte comme une volée de pucelles dans un dortoir, comme dirait l’autre. Pendant ce temps-là, la criminalité tire une barre et ricane : elle sait que son mythe n’est pas prêt de disparaître.

Sélections Tops

Notre Top 5 des rois «sans couronne»

Durant sa courte et folle histoire, la scène rap n’a pas été dominée que par des imposteurs. Elle l’a aussi été par des communicants 2.0 audacieux et…d’improbables chanteurs de variété. Voilà pourquoi quelques Mcs, parfois bien meilleurs que les têtes d’affiche, n’ont pu, ou su, faire une carrière à la hauteur de leur talent. Puisque à la fin de l’année, la mode est aux classements, voici notre top 5 des rappeurs talentueux les plus sous-estimés par le grand public.

Le Rat Luciano

Les Mains Sales | Listen for free at bop.fm

Si on avait eu la brillante idée de vous livrer un top 1, Le Rat Luciano aurait aisément remporté la palme. Reconnu par ses pairs et par la rue comme le véritable roi sans couronne du rap français (et non de cet étrange rap game asexué), Le Rat symbolise comme personne ces cas de rappeurs au potentiel énorme qui n’eurent pas la carrière escomptée – malgré la qualité de Mode de vie Béton Style. Rappeur au flow unique et nonchalant, Le Rat Luciano est LE rappeur authentique, surdoué de surcroît, définitivement « trop sincère pour être numéro un ». Quelques tracks ou couplets incontournables: Les Mains sales, Il est fou ce monde, Sans titre, À bas les illusions, L’amour du risque, De trois, La furie et la foi, Rien à perdre.

Hifi

Si T’es Cap D’y Aller | Listen for free at bop.fm

 Hifi aura démontré, avec quelques autres, que le vocable rappeur ne rime pas nécessairement avec zoulette. Il est l’un des seuls, aussi, à pouvoir créer un rap de rue autant conscient que « racailleux ». Son seul album studio, Rien à perdre Rien à prouver, est une œuvre majeure de la discipline et, à juste titre, un exemple pour une partie de la génération actuelle (dont certains membres de l’Entourage) mais pas que – Booba plagiera s’inspira allégrement de Hif’ au début de sa carrière. Mais, malgré les efforts des suiveurs, lui seul reste « ce genre de négro » capable de mettre à l’amende n’importe quel rappeur. Ex-membre des X-men ou pas, peu importe au final, Hifi a toujours eu la vision.

Quelques tracks ou couplets incontournables : Si t’es Cap d’y aller, Mon son est ghetto, Rates GhettoJ’attaque du mic, Drame quotidien, J’anticipe, Comparativement, Un rep qui fait reup, Moi et mes proches, Je suis.

Salif

Dur d’y croire | Listen for free at bop.fm

Du haut de sa petite taille, Kool Shen le Sage l’a un jour reconnu: Salif aurait pu emmener le rap français dans une dimension encore inexplorée. De fait, Salif est l’exemple type du rappeur aux capacités gargantuesques pas assez exploitées (avec lui, ce n’est pas comme sur les bulletins, cette phrase a vraiment du sens). Salif, c’est l’aisance et l’arrogance du rappeur au talent brut sachant qu’il peut tous les fumer sur une simple allitération. Un talent qui l’a finalement desservi : trop conscient de son potentiel, il en a un peu oublié de taffer, où point de se faire devancer par de plus laborieux que lui. Assurément la plus grosse déception de ce classement, malgré un premier album classique et d’autres sorties de bon, voire de très bon niveau. Quelques tracks marquantes : C’est ça ma vie, Dur d’y croire, Ghetto Youth, Anthologie, Black skin, Fugazi, Yoyo, Bois de l’eau.

Zoxea 

C’est Nous les Reustas | Listen for free at bop.fm

Zoxea est le véritable maître Yoda du rap français (même s’il a l’air moins poilu). Les rappeurs qui ont été aidés, poussés, épaulés par le King du Pont de Sèvres sont légions – mais pas tous déclarés. Booba ne lui doit pas moins que ses fameux jeux de mots en « z », et sans doute bien plus. Mais si Zili Zoxea figure dans ce classement arbitraire (ce qu’aurait aussi pu faire Dany Dan), c’est avant tout pour son premier album, À mon tour de briller. Une pépite, consacrée disque d’or en son temps, mais trop rapidement passée à la trappe, où Zox’ honore avec inspiration des prods impeccables. À son écoute, on ne peut s’empêcher de penser, une fois de plus, que le rap et la rue sont des putains d’ingrats.

Quelques tracks ou couplets incontournables : Tout le monde dans la ronde, À mon tour de briller, Rap, musique que j’aime, Soirée d’guedin, Barre chocolatée, J’rappe pour les minos, La guerre commence, C’est nous les reusta

Ali

Lunatic – L’Effort de Paix | Listen for free at bop.fm

Ali est un peu à part dans ce charmant petit top, et pourtant, on n’a pas longtemps hésité à l’y intégrer. Tout simplement parce que trop nombreux furent ceux qui, aveuglés par le jeu d’acteur de Booba, sous-estimèrent Ali sur Mauvais Oeil, bien qu’il ait pleinement contribué à faire de Lunatic le meilleur groupe de rap français of all time. On ne le répètera jamais assez : Ali était le vrai bonhomme du groupe, celui dont les propos, portés par une voix d’outre-tombe, sonnent chaque jour un peu plus juste dans nos tympans. Tout comme son acolyte Hifi, il est le garant d’un rap de rue sans complaisance, loin du matérialisme et des fantasmes. D’un rap « pour les visages plein d’plaies qui gardent le silence ».

Quelques tracks ou couplets incontournables : Génération sacrifiée, Les bidons veulent le guidon, L’effort de paix, Têtes brulées, Groupe sanguin, B.O, le son qui met la pression, HLM 3, Observe, Le code de la rue, Positive énergie

Les rappeurs qui auraient pu être dans le top, mais qu’on n’a finalement pas voulu mettre: Doc Gynéco (au début de sa carrière, trop au-dessus de tout ça, puis trop au-dessous par la suite), Lino (fort, très fort, mais agaçant), Busta Flex (oui, mais non en fait) et bien-sûr Ill (on n’aime pas les légendes). Mention spéciale à Nessbeal, autre roi sans couronne qui nous a inspiré le titre de ce modeste classement.

Billets d'humeur

Est-il vraiment raisonnable d’attendre le nouvel album d’Akhenaton ?

Ce n’est décidément pas facile de lâcher le micro. Le rap est pourtant une musique qui s’écrit au présent : lui-seul et l’avenir comptent. Les légendes de la discipline en ont souvent fait les frais, elles qui semblent devoir perpétuellement lutter pour la légitimité. Preuve en est avec le cas Akhenaton, rappeur vétéran aux qualités incontestables qui n’a toutefois pas toujours reçu les faveurs des générations suivantes – on se rappelle, entre autres, le terrible titre de Sheryo et Ekoué (Je reste underground), ou les piques vénéneuses des MCs de la Fonky Family. (suite…)