Disponible depuis le 12 octobre 2019, Banlieusards est un véritable succès sur Netflix avec plus de 2,6 millions de foyers ayant vu le film en une semaine à peine. Pourtant ce n’était pas gagné, à écouter Kery James et Leïla Sy qui ont tenté en vain de le diffuser sur grand écran. Retour sur cette première expérience cinématographique du rappeur mythique d’Idéal J et de Mafia k1 Fry.
Libre-arbitre et responsabilité de l’Etat dans le discours de Kery James
Les thème du libre-arbitre et de la victimisation des « jeunes de banlieue » ont toujours fait pleinement partie des préoccupations de Kery James, et, avant de devenir un film, Banlieusards est avant tout un morceau extrait du 3eme album du rappeur du 94 : A l’ombre du show-bizness. Suivant l’adage «on est pas condamné à l’échec », le clip mettait alors en scène des personnalités issues des banlieues considérées comme des exemples de réussite: Lilian Thuram, Mouloud Achour, Rachid Djaïdani ainsi que des collègues rappeurs comme Ekoué et Hamé ou encore Mélanie Georgiades, aka Diam’s. Le discours était alors un discours de reconnaissance des discriminations et des obstacles réels rencontrés, qui s’opposait en même temps au discours victimaire propice à l’inaction : « Si t’aimes pleurer sur ton sort, t’es qu’un lâche, lève-toi et marche ». En 2012, Kery James récidive avec le titre Constat Amer dans lequel il dépeint une jeunesse divisée sabotant sa propre ascension sociale et se complaisant dans la caricature que lui proposent les médias et la classe politique : « la pauvreté ne peut excuser le fait de se comporter comme des non-civilisés, l’agressivité constante et les insultes, en fin de compte, ne profitent qu’à ceux qui nous font passer pour des incultes, ne profitent qu’à ceux qui nous haïssent… »
En 2017, Kery James nous pose toujours cette question de « la responsabilité de l’Etat dans la situation des banlieues » sous une autre forme d’art : le théâtre. Le pitch est simple : deux avocats répondent à cette question en s’affrontant avec éloquence tout au long de la pièce. Cette dernière devait alors prouver aux diffuseurs éventuels tout le potentiel d’un film qui trottait dans la tête du rappeur depuis plusieurs années déjà. Finalement, malgré des salles remplies et une presse élogieuse, aucun diffuseur n’est intéressé par ce projet, et seul Netflix acceptera de distribuer Banlieusards.
Banlieusards, à l’épreuve des clichés
C’est en musique que Kery James annonce son film à travers un featuring avec Orelsan sur le morceau A qui la faute ? extrait de la réédition de son album J’rap encore. Il retranscrit alors la genèse du film («j’en avais marre de voir les mêmes s’emparer de nos récits, alors j’ai écrit mon propre scénario, dépeint nos vies ») et réalise en collaboration avec le rappeur de Caen une sorte de mise en abyme de ce concours d’éloquence faisant office de teaser du film. Tout au long du morceau, Kery James met en avant une responsabilité individuelle qui serait bien plus influente dans la situation actuelle des banlieues que celle de l’Etat. Inversement, Orelsan se fait bien plus incisif et piquant : « un seul film de Kery James, deux cents faits par des bobos d’merde ». Des couplets délivrés sous forme de passe-passe entre les deux rappeurs, pour un morceau de 6 minutes reprenant l’une des scènes clés de Banlieusards.
Alors, le film de Leïla Sy et Kery James réussit-il là ou d’autres réalisateurs se sont lamentablement ramassés ? Banlieusards peut-il se ranger au niveau d’un Divines, Shéhérazade, ou encore Chouf, trois « films de banlieue » relativement récents mettant également en vedette des acteurs amateurs et ayant tous bénéficié d’un succès d’estime quasiment unanime ? La trame de Banlieusards est relativement simple au premier abord, et on suit le quotidien de trois frères élevés par leur mère seule après la mort du père. L’aîné s’est écarté du droit chemin et vit du trafic de drogue. À l’inverse, le cadet, peu attiré par le monde de la rue, poursuit des études d’avocat tandis que le plus petit oscille entre ces deux modèles antagonistes. Tous les ingrédients sont posés pour que Kery James puisse appuyer son argumentation ou, du moins, son interrogation : « l’Etat est-il seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ? ».
Si le film a ses défauts autant sur la forme que sur le fond, les critiques, qu’elles soient élogieuses ou assassines, ne font pas toujours dans la dentelle et sont parfois bien plus caricaturales que le film en lui-même. Il est vrai que la subtilité n’est pas toujours au rendez-vous non plus dans Banlieusards, et on a souvent la désagréable impression d’entendre Kery James parler à la place des personnages. Pour ne rien arranger, le rappeur est lui-même acteur, même s’il a fait le choix de se donner le « mauvais rôle » afin que le spectateur puisse mieux faire abstraction de l’étiquette de rappeur moralisateur qu’il a pu véhiculer durant sa longue carrière. Il reste tout de même ce « grand frère » protecteur et peine à se détacher de cette image du rappeur bien sous tout rapport. Chacun des trois frères campent un rôle peu nuancé, entre le cadet étudiant modèle, l’aîné « racaille » et le benjamin qui devra faire un choix entre ces deux modes de vie opposés.
Ce qu’on peut reprocher en premier plan à ce film, c’est qu’à l’image de la discographie de Kery James, le rappeur nous livre une démonstration attendue avec une trame qui ne laisse que peu de place à la surprise. Ainsi, tout comme à la simple lecture d’un titre de Kery James, on devine aisément le type de discours qui va suivre de couplets en couplets, Banlieusards souffre aussi d’une prévisibilité rendant le visionnage moins percutant. Ce qui fait en partie la force du personnage de Kery James, à savoir une certaine cohérence dans son discours au fil des années, se révèle donc en partie l’une des principales faiblesses du film.
Kery James ne se prive pas de glisser ses références cinématographiques telles que Boyz n’ the Hood, ou encore American History X ce qui a tendance a renforcer ce sentiment de déjà-vu. Autre point qui revient souvent, en bien ou en mal selon l’appréciation de chacun : le jeu des acteurs. Le film, toujours démonstratif, nous montre que peu importe notre couleur de peau, notre sexe, notre religion, acteur reste un métier et qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être crédible face à la caméra. Les moments de flottement restent rares même s’ils suffisent à nous faire de temps à autre sortir du film en portant des jugements sur telle ou telle performance. Les premiers rôles s’en sortent plutôt bien, même si étrangement Chloé Jouannet (pourtant la plus « professionnelle ») n’est pas toujours la plus convaincante dans sa prestation. Quant à Jammeh Diangana, finaliste du concours d’éloquence Eloquentia, il tient largement la route malgré la faiblesse de certains dialogues qu’il se voit contraint de prononcer. Reste le concours d’éloquence, scène centrale du film, durant lequel les deux comédiens semblent le plus à l’aise.
Au final, si Banlieusards ne révolutionne en rien la façon de parler de la banlieue, le film a le mérite d’être réalisé par des personnes y ayant vécu, ce qui tend à diminuer fortement certains poncifs et clichés qui s’accumulent au fur et à mesure que le catalogue de « films français se déroulant en banlieue » s’agrandit. Cependant, la bonne volonté ne suffit pas toujours pour rentrer dans la postérité, et si André Gide disait que c’est « avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature » on est en droit de se demander si cette pensée ne pourrait pas s’appliquer aux autres formes d’expressions dont le cinéma. Banlieusards n’en reste pas moins un film à voir, ne serait-ce que pour se faire un avis plus mesuré que les réactions antagonistes qu’il semble susciter. Seul le temps nous dira si les générations actuelles et futures décident d’en faire un film rentrant dans la postérité ou s’il se retrouvera vite oublié au fil des sorties. Peut-être plus vite que prévu ? L’arrivé très attendue du premier long-métrage de Ladj Ly, Les Misérables, en salle le 20 novembre (Prix du Jury au Festival de Cannes 2019) pourrait bien faire partie des films prêts à bousculer la donne…
Donc, les banlieusards sont définitivement des « black ». Ils m’ont effectivement éjectée de la région parisienne il y a 15 ans. Je ne comprends pas pourquoi des français se réjouissent de cela !