Billets d'humeur

[Billet d’humeur] Cultivons le Rap Français! (Lettre ouverte aux radios)

Nous avons assisté le mois dernier à un débat concernant l’amendement de la loi Pellerin, qui vise à réformer les quotas de titres en français diffusés par les radios. Cette mesure tend à favoriser la diversité musicale, notamment en évitant que les mêmes morceaux ne tournent en boucle toute la journée. Devant la montée au créneau des radios, j’ai eu envie d’écrire quelques lignes.

Je vais essayer de parler concret et de ne pas tomber dans le cliché du type anticonformiste à tout prix. Ceci n’est pas un pamphlet visant à dénoncer l’industrie du disque, le règne des majors et des grandes chaînes radio. Je vais essayer de ne pas qualifier les diffusions de Skyrock, NRJ et consorts de musiques pour « jeunes pucelles décérébrées » comme dirait l’autre. Même si c’est drôle et souvent pas faux, ce n’est pas très gentil pour les pucelles, et puis moi aussi quand j’avais six ans j’avais un CD des 2Be3.

Cependant, j’ai eu la chance d’avoir des grands cousins qui m’ont fait découvrir IAM et NTM dès l’âge de 10 ans. Commença alors le grand apprentissage de l’immense univers du rap français, passant du Saïan Supa Crew à Passi, des Psy 4 à la FF, de KDD à Rohff et j’en passe. Ça commence par les singles entendus à l’époque sur Skyrock, puis en écoutant des albums entiers viendra la découverte d’une multitude de facettes – moins commerciales – du genre. Et si quelques années plus tard, j’arrive à apprécier des artistes moins façonnés pour le grand public, que je n’aurais sûrement pas calculé à 10 ans, c’est avant tout parce que mon oreille a été préalablement éduquée. Éduquée à la culture hip-hop, du fond à la forme, de ses causes jusqu’à l’indéfinissable style, des rimes les plus complexes aux placements les plus techniques, de la mystérieuse aura de Luciano jusqu’à la finesse d’Oxmo et je ne sais quoi d’autre qui ne s’analyse pas, mais que beaucoup comprendront.

Le rap français, comme tous les autres style musicaux, est une culture dont on s’imprègne au fil du temps et des écoutes. Cet apprentissage instinctif nous permet par la suite de savourer une musicalité là où l’on n’aurait peut-être pas tendu l’oreille quelques années auparavant, et fait naître une euphorie –  parfois inexplicable – à l’écoute de certains morceaux. Aujourd’hui, les curieux et les passionnés peuvent se jeter à corps perdu dans la toile, ils en ressortiront toujours plus excités par leurs découvertes de nouveaux talents. Mais comment devenir passionné sans qu’un premier éveil ne vienne attirer notre curiosité ? Chaque style musical doit venir à nous dans un premier temps pour espérer susciter notre intérêt. C’est ici que le rôle des radios devient primordial.

A votre avis, pourquoi les bretons écoutent peu de raï et les marocains peu de musique celte ? On pourra pourtant leur trouver de nombreux goûts communs parmi les musiques internationales. Tout le monde sait que notre environnement social et culturel se répercute sur nos goûts musicaux. Mais ce qui prime par-dessus tout aujourd’hui, c’est notre environnement musical. Peu importe le décor ou les gens autour desquels tu grandis, si tes potes écoutent du rock, tu vas sûrement écouter du rock. Et si ton grand frère écoute du rap, tu vas t’y intéresser également. Mais si tu n’as pas cette chance, la seule image que tu auras du rap français sera celle dégagée par les grandes radios : des tubes de Maitre Gims et Soprano qui passent en boucle de manière excessive (Maitre Gims passe 200 fois par semaine sur Skyrock… Merde quoi, 200 fois…). Si cet échantillon là ne te plaît pas, quelle raison aurais-tu d’aller fouiller plus loin ? Et quand bien même tu tomberais par un incroyable hasard sur une Poignée de Punchlines de Kekro, est-ce que ton oreille sera à même d’apprécier la rythmique de ses appuis et de capter un style et des références appartenant à une culture immense que tu ne connais pas ? Sûrement pas. Et qui pourrait t’en vouloir ? Sûrement pas moi. Faut-il pour autant en conclure que le rap français n’est pas fait pour toi ? Toujours pas. L’amour du rap, ça se cultive.

Or aujourd’hui, ce que l’on cherche pour le grand public, c’est de la musique qui plaise à la première écoute quelque soit notre âge, notre culture musicale ou notre niveau d’attention. Il faut des mélodies simples, des paroles simples, que l’on pourra tous chantonner tout de suite dans la queue de la FNAC. Les rappeurs qui percent ralentissent leur débit de parole, simplifient leurs rimes et universalisent leur vocabulaire pour se rendre accessibles à Mr Tout-le-Monde. La plus grande mission restant de faire des singles : un truc qui pourra rentrer dans le crâne des gens pour la journée. Ces fameux singles qui tournent en boucle et qui nous sortent par les oreilles.

Pourtant, le type qui achète un album dont il a apprécié un extrait sur les ondes se retrouve la plupart du temps à apprécier le reste de l’album et à en préférer des extraits beaucoup moins commerciaux. Vous voyez de quoi je parle ? On connaît tous un mec qui adore les sons peu connus des artistes connus. Tout simplement parce qu’en écoutant l’album, on rentre dans l’univers de l’artiste, on prend le temps d’écouter des morceaux qui n’auraient pas attiré notre attention autrement, on saisit quelques punchlines, images, métaphores, voir même le sens d’un texte qui n’avait pas fait mouche à la première écoute. En partant avec un avis positif sur l’artiste, on apprécie une autre musique que celle à laquelle nous sommes programmés à longueur de journée. Demain C’est Loin, LE classique incontournable, en est la preuve : un morceau qui n’est pas calibré pour la radio et dont les phases sont pourtant sur toutes les lèvres, car appartenant à un album au succès faramineux qui a amené énormément d’auditeurs à découvrir le morceau.

Vous l’aurez compris (ou vous le savez déjà), les adulateurs des stars du hip-hop actuel aussi bien que les réfractaire du genre passent à côté de quelque chose sans s’en rendre compte, en n’ayant pas la curiosité d’aller chercher au-delà de ce que les radios proposent. Chez beaucoup d’auditeurs, c’est l’intérêt préalable pour l’artiste qui les amène à accueillir des morceaux moins formatés pour les ondes. Alors, pourquoi ne pas essayer de porter cet intérêt sur des artistes moins connus ? Cette démarche d’ouverture et de découverte musicale est très présente chez des radios comme Le Mouv’ ou Nova, pour cela je leur tire mon chapeau.

J’en ai converti des potes depuis mes 10 ans, du fan des Doors jusqu’au forcené du reggae, de l’excité de la hard-tech jusqu’à la copine enivrée par la pop anglaise. Mon secret ? L’adaptabilité. Ne passez pas de Casey ou de TSR Crew lors d’une soirée si les invités ne sont pas déjà des auditeurs avertis, surtout en musique de fond lorsque tout le monde discute. Le rap français s’écoute. Et face à un non-initié, il faut savoir ce qu’il est prêt à écouter. Si la première cuillère est à son goût, la personne en voudra sûrement une autre. Ainsi commence ce fameux apprentissage. Egotrip, conscient, énervé, technique, joyeux, triste, poétique, ou encore à citer Flynt « l’authentique ou le clownesque, le rap faible ou le terrible, le réfléchi, l’immature, le mythomane, le crédible ». Chaque personnalité est plus à même d’apprécier une facette différente de cette musique lors d’une première écoute. Les styles sont immensément variés, à tel point que dire « J’aime / Je n’aime pas le rap » aujourd’hui ne veut plus dire grand chose. C’est cette diversité qui est assassinée par la FM, qui nous inflige une vision réduite de ce que cette musique peut nous offrir. Parmi ceux qui iront entrevoir le rap au-delà des ondes hertziennes, certains finiront complètement endoctrinés, d’autres en resteront juste à une poignée de coups de cœurs, mais auront du moins changé d’avis sur un genre qui souffre encore aujourd’hui d’un trop grand manque d’ouverture. Le potentiel séduction du rap en France est encore énorme.

Celui que je défends souffre d’une sous-exposition, trouve son public chez les renifleurs de bon son et les épris du genre. Ce rap qui, du point de vue des radios, n’est pas vendeur de nos jours, a prouvé qu’il le serait bien plus si l’on aidait les gens à le découvrir. Aujourd’hui, les passionnés comme nous doivent aller « chercher » les nouveaux artistes et morceaux sur Youtube, sur les réseaux sociaux, ou en concert. Cela prend un temps considérable. Il est tout à fait normal que ceux qui n’ont pas déjà choppé le virus ne l’attrapent pas d’eux-mêmes, puisqu’ils n’y sont pas exposés. Or, j’ose à croire que n’importe quelle âme musicale pourra trouver son bonheur dans la diversité du rap français. Que ce soit dans la littérature de Fayçal, l’énergie de la Smala ou du Gouffre, la technique de Sear-Lui Même ou de L’Indis, l’authenticité de Flynt ou Pejmaxx, les freestyles de Give me 5, la poésie de Lucio Bukowski, la hargne de Melan ou Jeff le Nerf, la folie de James Deano, les textes frissonnants de Furax, Virus ou Scylla, les punchlines grotesques d’AlKpote, les multisyllabiques de Paco ou Jazzy Bazz, le style de Joe Lucazz jusqu’aux revendications de la Scred ou encore chez les centaines d’autres artistes qui méritent d’être cités ici. Tous ces artistes qui font avancer le mouvement, qui se cassent la tête sur des textes que trop peu comprennent, qui laissent des forces, du temps et de l’argent dans cet art qu’ils font vivre en remplissant des petites salles grâce à internet et à des petites connections.

Les radios ont une influence monumentale sur ce qu’écoute les français. Sans rien vouloir enlever au mérite des artistes diffusés sur la FM et qui ne sont pas (tous) là par hasard, il est tellement dommage de tirer le rap français vers le bas, en le dé-complexifiant à tout prix pour qu’il plaise à la masse. Je doute qu’un jour les grandes radios nationales nous fassent profiter de la fabuleuse richesse dont cette musique fait preuve, en diversifiant les diffusions pour que chaque rap trouve son public et que chaque personne trouve son (ses) rap(s). En attendant, on continuera chez Le Rap en France de cultiver cet amour du rap, et je me la joue Kery en affirmant que le combat continue…

1 commentaire

  1. Salut,
    Cette réflexion peux aussi être portée pour tous types de musiques. Selon les stations, ou même les émissions, la radio n’est pas juste là pour faire connaitre des artistes, mais pour diffuser ce que les gens veulent entendre…(encore kery!).
    Après certaines radios font des efforts en privilégiant la diversité musicale entre des artistes accomplis et ceux en devenir, mais la grande majorité préfère garder l’auditeur sans le dérouter pour lui faire écouter ses publicités.
    Aujourd’hui le rap a plusieurs moyens de s’étendre, et cela ne passe pas uniquement par le bon vouloir des antennes FM ou hertizienne. La diversité est amenée par la curiosité de l’auditeur, et ça c’est sur que c’est pas NRJ qui cherche à la développer! Le débat peux aussi de se déplacer sur les moyens d’informations, il faut chercher à croiser les informations, les médias, les supports, bref à être curieux.
    Peace et bravo pour le papier!

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