Billets d'humeur

[Billet d’humeur] : Qu’est ce qu’elle a ma gueule ?

Gare du Nord, un matin de Novembre ordinaire dans cette grande gare parisienne. Un mélange de touristes égarés et d’actifs pressés se croisent dans un ballet subtilement chorégraphié. Avec ces boutiques rénovées et ces indications d’itinéraires flambants neufs, ce point de passage obligé de la Banlieue Nord subit un lifting des plus déroutants. Cependant, le plus grand de ces bouleversements reste invisible pour l’oeil non exercé. Cet oeil ne constatera pas l’augmentation spectaculaire du nombre de policiers présents parmi les voyageurs et l’augmentation flagrante de leurs actions.

En effet, les représentants de la loi veillent et alpaguent des usagers pressés. Jusque là, rien d’inhabituel. En revanche, en s’intéressant de près à la population interpellée, on est pris d’un certain malaise. Loin de s’en remettre au hasard, on constate que les personnes interrogées, en pleine gare et au sus de tous les autres voyageurs répondent tous au même profil.
Les intéréssés ont le malheur d’être jeune, de type banlieusard (si tant est que cette expression signifie quelque chose) et un peu pressés. Ils ont donc droit à un contrôle d’identité qui peut aller jusqu’à la fouille en fonction des agents le perpétuant.

Nul besoin de « testing » pour appréhender la brutale réalité. Trente minutes d’observation suffisent pour saisir que ces contrôles sont en réalité des contrôles au faciès et qu’ils ont tout de la discrimination. Point de statistique, il s’agit simplement d’un constat empirique et de la froide réalité. Le rap s’est depuis longtemps élevé contre le contrôle au faciès et en a même fait une de ses principales critiques contre l’institution policière. En bon relais des « zones délaissées de la République », les rappeurs se sont très tôt attachés à narrer ces contrôles qui vous tombent dessus sans aucune raison apparente.

Les habitants des « zones sensibles » connaissent trop bien les situations précédemment décrites. D’ailleurs, les textes de rap qui se rapportent à ces situations laissent entendre qu’elles s’inscrivent dans la banalité du quotidien. Elles sont devenues une norme avec laquelle il faut vivre. A travers les paroles filtrent la fatalité qui résume le sentiment général : c’est ainsi et on ne peut rien y faire donc autant s’y adapter. Pourtant malgré ces tentatives d’acceptation, difficile de passer outre le sentiment d’humiliation que ces situations provoquent. Raison pour laquelle ces faces à faces deviennent vite tendus. Comme le chante Ekoué dans Nom, prénom et identité  :

Et si aujourd’hui ce que je chante peut vous paraître peut-être
d’une pauvreté affligeante, quand il y a de l’agressivité en face
Obligés de parler sur le ton de le menace, question de dignité (…)

Lorsque ces situations ne finissent pas dans la violence ce qui n’est pas le cas dans la majorité des cas, elles créent un énorme sentiment de frustration. Une frustration qui grandit à mesure que ces contrôles se répètent. Frustration que la jeunesse tente d’évacuer comme elle peut notamment en prenant la plume. Le raisonnement et la logique de son discours sont parfois bancals mais l’énergie qui émane de ces morceaux témoigne de la rage intérieure trop longtemps contenue comme c’était déjà le cas avec NTM en 1993.

Aussi lorsque le ministre des transports, Alain Vidalies reconnaît que ces contrôles au faciès entraînent une discrimination certaine et qu’il légitime la dite pratique au nom d’une efficacité (qui reste à démontrer), peut-on vraiment dédaigner les arguments avancés par les ex trublions du 93 sous prétexte qu’ils sont extrêmes et parfois « injurieux » ?

Ces textes « violents » sont à mettre en balance face aux propos d’un ministre de la République française qui reconnaît ouvertement que bafouer l’une des valeurs républicaines les plus essentielles ne lui pose aucun problème. Venant d’un membre d’une élite qui ne cesse de pleurer sur la perte des valeurs républicaines, le propos est pour le moins savoureux. Il pourrait même faire rire s’il n’était pas aussi grave. Soyons clairs, ce discours au langage policé est d’une violence inouïe aussi bien sur le plan moral que pour les conséquences qui peuvent en découler. Rappelons que pour sa chanson, le groupe NTM a été condamné à une peine assez improbable . Plutôt que de condamner ce qui n’est finalement qu’une description personnelle d’un quotidien difficile, on meurt d’envie de crier à tous les Vidalies de la terre à l’instar de Nekfeu dans « Martin Eden ».

« Moi, je suis un babtou à part, j’vois plein de babtous pompeux
Mais sache que les babtous comme moi n’aime pas les babtous comme eux
Surtout quand les babtous ont peur, tout le monde m’invite dans les plans
Fils de p*** , bien sûr que c’est plus facile pour toi quand t’es blanc »

Sous la pression médiatique, Nekfeu a fini par s’expliquer sur cette phase chez Noisey. Ici, le terme « Blanc » n’est pas à prendre au sens littéral. Il ne désigne pas une couleur de peau mais plutôt un « profil idéal ». Il paraît important de souligner que la stigmatisation issue de ces contrôles ne touche pas seulement une couleur de peau ou une religion mais vise essentiellement une population jeune, marquée comme potentiellement à risque uniquement parce qu’elle vit dans des endroits réputés difficiles. Dit autrement, sous la plume de Philippe alias Le Bavar, cela donne :

« Et l’apartheid commence là où s’arrête ma liberté,
Avec ces putains de flics venus tester ma fierté
J’ai deserté les terrains de jeu quand je me suis rasé la tête
Danger pour les autres que l’uniforme arrête »

Plus loin, Le Bavar ajoute cette phrase à la beauté troublante et à la signification incertaine.

« J’égraine le compte à rebours devant la police blanche
Témoin d’un étrange mariage entre sang et béton »

L’expression « danger pour les autres » est celle qui convient de retenir ici. L’augmentation de ces contrôles est le résultat d’un climat de peur qui s’est emparé du pays. Un climat qui s’explique par l’époque plus que troublée que nous traversons mais qui ne légitime certainement pas de frapper un pan de la population de manière aussi outrancière. Surtout, quand les politiques s’en emparent à des fins électoralistes. Il est ainsi très facile à Monsieur Vidalies de tenir de tel propos quand lui même ne prend pas les transports et que ses enfants ne le font probablement pas non plus. Pour lui, il ne s’agit là que d’une polémique malheureuse qu’il tentera de corriger via un communiqué au contenu assez vide. En revanche, pour les milliers de personnes qui subissent ces contrôles au quotidien, ces mots ont un sens malheureusement bien trop concret.

Pour finir, qui mieux que Flynt et sa plume concise pouvait conclure ce billet ?

« J’vadrouille à pince sur deux ou quatre roues
Toujours vers chez moi
Là où rien ne tourne rond sauf les patrouilles
Wesh, vous cherchez quoi ?! Avec vos keufs dans le rétro,
A force de créer vos ennemis bientôt vous en aurez trop »

PS : Ce billet est tiré d’une situation vécue trop de fois. D’aucuns diront qu’il respire la rage. Ils auront probablement raison. Je dirai juste qu’au delà de la déception qu’engendre de telles pratiques vis à vis de mon pays, je suis fier de la banlieue d’où je pars travailler tous les jours, du nom que je porte et de la musique que j’écoute. Si ces éléments doivent me faire contrôler et fouiller tous les matins et soir par les représentants de la loi, ainsi soit-il !

À proposZayyad

Singe Jaune. Le plus Hip Hop des frères Bogdanoff

1 commentaire

  1. Bon billet.
    Merci pour le morceau de KDD aussi.

    Pour aller dans le sens de ton billet…
    Je suis Blanc, bientôt 20 ans de banlieue et de transports, je n’ai jamais été contrôlé une seule fois dans ma vie, que ce soit en voiture ou dans les transports.
    On en conclura ce qu’on veut 🙂

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