Billets d'humeur

Les médias nationaux ont-ils acculé le rap français ?

Je ne fais pas vraiment partie de ceux qui critiquent les medias de masse (la télévision principalement). Je suis convaincu qu’ils occupent une place importante dans l’intérêt général de la population. Certes, ils appellent à la paresse intellectuelle, à la « facilité » de l’actualité (en effet, il est plus accessible et aisé d’accéder à son canapé pour regarder le 20h que se concentrer pour lire un article du Monde Diplomatique), mais ils participent surtout à l’information quotidienne de tous. En ce sens, je pense qu’ils sont habités d’un devoir d’honnêteté qui légitime leur action et qu’ils remplissent malgré leurs convictions mercantiles. Finalement, nous savons tout à fait que ces mêmes média n’ont jamais fait preuve de goûts musicaux épatant, quel que soit le genre musical promu (variété française, rock ou autre). Mais la relation qu’ils entretiennent avec le rap devient insupportable, hypocrite et malsaine.

C’est un fait : ils s’accaparent constamment le côté obscur du rap pour en faire une généralité et le descendre, le décrier. Le dernier grand événement qui défraya la chronique fut l’altercation entre l’équipe de Rohff et le jeune employé chez Ünkut. Le dimanche 21/12/2014, L. Delahousse nous présenta, en premier titre, l’agression de policiers à Joué-Les-Tours par un jeune homme, sans oublier de mentionner que ce dernier faisait du rap avant de devenir islamiste radical (ce qui constitue, évidemment, les prémices d’un futur grand bandit) en nous offrant même des images du clip de « Bilal« . Il n’y a pas longtemps, ce fut sur le clip insignifiant des mômes de Sarcelleslites que tous les regards dénonciateurs se braquèrent. Dernièrement, le coup d’éclat dans le microcosme spécialisé fut la volonté de M. Le Pen (présidente du Front National) d’interdire le nouvel album de Gradur.

C’est d’une simplicité sans nom. Pourquoi se déchaîner sur CE rap ? Pourquoi vouloir à tout prix se voiler la face et le décrédibiliser aux yeux de tous dès que l’occasion se présente ? Certainement parce que cette discipline ne rentre pas dans le moule, s’éloigne des idées toutes faites, parle sans langue de bois. Et pourquoi occultent-ils le « beau » rap ? Ces mass medias ont-ils parlé de Jusqu’à l’amour des Sages Poètes de la Rue, le jour de sa sortie ? Et plus récemment du merveilleux album d’Oxmo, Au pays d’Alice ? Relayent-ils la poésie d’Odezenne ou de Lucio Bukowski (« À la recherche du temps perdu, je n’ai goûté qu’à une madeleine rassie« ) ? Ont-ils mentionné les sorties de Fayçal, dont le vocabulaire est plus riche que bien des écrivains ? Évoquent-ils les paroles de Flynt, qui prône l’assiduité à l’école, et condamne violence et l’hypocrisie ? Si le JT s’ouvrait sur une phrase de Scylla tous les soirs, la perception que les « non-auditeurs » de rap se font du mouvement serait bien différente:

« Avis à tous les artistes amateurs, qui ne prennent la plume que par stricte nécessité
Ne cherchent pas la gloire, font tout ça avec le cœur, et absolument pas avec cette foutue soif de percer
Parce qu’à suivre cette voie, on dévie de la vraie
Et l’âme de notre art en finit juste déshydraté
Dédié à ceux dont le seul but officiel
Est de ne jamais perdre de vue ce qu’est leur plume originelle »

– Scylla, Plume originelle

Admettons-le, le rap est dans une impasse. Et je vous vois déjà venir, vous, pseudo-puristes qui voulez garder le rap « ghetto » et « street » parce qu’il perdrait en force, en vigueur, en authenticité en se rendant accessible à tous. Il perdrait son principe originel. Mais force est de constater qu’il est démocratisé, massifié. Il n’appartient plus du tout aux seules blocks parties gangster et marginalisées du Queens ou de Harlem. Tout le monde écoute du rap, que ce soit les jeunes de cité ou les bobos de Paris, en passant par les hipsters. On fait du rap dans tous les sens, on le rend plus accessible: Areno Jaz kicke sur de l’electro, Grems sur de la house, Kaaris sur de la trap, La Canaille sur des instrus sur mesure, Lino sur de la dubstep (bon OK, elle est un peu facile celle là)… Et comme le dit KLM: « les rappeurs n’ont plus un balai dans le cul à ne vouloir rapper que sur du New-York« . Pensez-en ce que vous en voulez, ceci présente des avantages et des inconvénients, mais sa démocratisation est indéniable: le rap n’est plus juste la « mode » annoncée à sa naissance. Et puisqu’il sort de son cloître, il faut qu’il sache s’adapter, à défaut d’être accepté.

Victime de son succès ? Certainement. Mais le rap (et le hip-hop de manière générale, au vu de la place dédiée aujourd’hui au graffiti et au breakdance) a réussi le tour de force de s’imposer comme un mouvement à part entière, (Rap is the music, Hip Hop is the culture, disait KRS One), un style de musique qui conquiert de nouveaux auditeurs jour après jour. Il doit dorénavant en assumer les conséquences. Je pense qu’il ne revient qu’au rap d’opérer une mutation structurelle, d’abandonner ses racines pour se diriger vers des horizons nouveaux, tel un serpent qui mue. Je pense que nous sommes arrivés à un stade critique où la surexposition de cet art lui sera funeste s’il continue sur cette voie « street », qu’il doit donc abandonner. Peut-être est-il temps de passer le flambeau à une nouvelle génération de kickeurs, créative, innovante, pouvant offrir au rap une nouvelle jeunesse loin des clichés véhiculés par un rap trop violent, trop vulgaire, trop « faux » pour ce qu’il est devenu au niveau national. Ce n’est alors que de cette manière que les médias feront leur choix: soit ils arrêteront de le montrer du doigt comme incitatif à la violence et commenceront peut-être à le promouvoir; soit, hypocritement, ils l’abandonneront car il ne sera plus cette « machine à scandales » qu’ils affectionnent tant.

À proposLeo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Monkey D. Luffy, Kenneth Graham et Lana Del Rey, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu avoir une petite soeur, aimer le parmesan, et écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge". Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.

5 commentaires

  1. Julie>>> pour se dédouaner d’une quelconque faute d’orthographe, on dira que média est à la base le pluriel de médium et que mettre un « s », ce serait de l’excès de zèle 😉

  2. Belle réflexion, seulement pourquoi ne pas mettre de « s » à les médias ?
    Dans le titre et dans l’article..

  3. Merci beaucoup pour ton commentaire Matthieu.
    Je trouve que tu as raison sur un point crucial: le « non »-relais de la culture par la TV. Pour autant, on ne peut pas l’en incriminer étant donné qu’elle ne s’est jamais proclamée relais culturels. Là où ça me dérange plus, c’est à la radio, par exemple, qui est sensée être le relais de la culture par essence (et qui ne nous propose en fait qu’une pâle copie des relents fécaux de la musique française, et plus particulièrement du rap). Mais tant qu’il y aura des gens pour écouter ce qui se passe de l’autre côté de l’iceberg, le rap gardera ses racines multiples et il y en aura pour tout le monde.

    Bonne lecture du reste du site dans tous les cas, et à bientôt au détour d’un article !

  4. Salut,

    Bon article, la réflexion est bien pensée. Pour ma part les médias ne sont qu’un relais, le relais d’une France qui n’apprécie pas spécialement la culture. Car au delà de l’absence de nos poètes sur les ondes hertziennes, c’est tout un pan de culture qui figure aux abonnés absents de la TV, que ce soit dans la musique mais aussi dans l’art plus général, tels que la peinture, la danse, la bande dessiné…
    La TV relaye simplement ce qui permet de garder l’auditeur face à elle, peu lui importe qu’une personne écoute Scylla ou Oxmo, elle préfère lui faire Voir autre chose du moment qu’il continue à la regarder.
    De plus ce n’est pas via la TV que le rap trouvera un nouveau souffle, j’ai toujours été mal à l’aise quant je voyais un rappeur au Grand Journal par exemple, je trouvais sa présence sans intérêt, je ne souhaite pas qu’il devienne une machine à fric pour contenter quelques patron de chaîne et quelques maison de disque. Ce raisonnement peut paraître simpliste, mais le rap est une culture avec différentes mouvances, différentes sensibilités, et c’est ce qui fait sa force, le fait d’afficher à la Une une affaire comme celle de la boutique Unkut ne peut entacher une musique qui puise ses racines et multiplie ses branches bien au delà de la stupidité des protagonistes de cette affaire… enfin j’espère.

    En tout cas super site, je pense que j’ai quelques heures de lecture devant moi!
    Peace!

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