« On dit bonjour à tout le monde: shalom, salam, salut » (Refrain de Rats des villes).
Avec un prénom juif, une islamité affirmée, de nombreuses références au Christ et un soupçon d’ésotérisme, Booba accorde à la religion une place centrale dans son œuvre. Au même titre que les gros culs et les liasses de billets, la foi fait partie des éléments que Kopp dépeint depuis plus de 15 ans, tout en cultivant un certain mystère sur sa pensée profonde. Nous vous proposons une analyse du texte par le texte pour tenter de décrypter ce qui se cache entre Booba et Dieu.
La première chose qui frappe quand on connaît un peu la discographie du Duc, c’est sa grande croyance en Dieu. Le Dieu de Booba est à la fois juge (« Seul Dieu me jugera », Tallac), effrayant (« J’ai peur de Dieu, j’ai peur du ble-dia », Maître Yoda) et châtieur (« Que Dieu me punisse d’être comme les autres », Tony Sosa). Mais cette toute puissance divine sert parfois seulement l’égotrip d’Élie (« Ramène qui tu veux bâtard, je n’ai peur que de Dieu » Maki Sall Music), lui permettant de ne pas se mouiller sur des questions géopolitiques sensibles (« Je laisse la tâche à Dieu de dire qui est bon qui est mauvais », 3G) ou simplement de reprendre la célèbre formule « Only God can judge me » à sa sauce: « Ne me juge pas le ciel le fait déjà » (RAS). Le père Luna n’a pas toujours peur de Dieu et se permet même de juger sa création : que ce soit lui-même (« Lyriciste agréé, pour ça qu’Dieu m’a créé », Pitbull) ou l’ensemble de l’humanité (« Quand Dieu a créé la vie, il fumait une clope », Here). Booba se sert de Dieu pour ses punchlines sans faire de sa foi l’élément central de ses textes, allant parfois mettre le Seigneur au même rang que ses armes à feu (« J’ai Dieu, doubles uzis qui me protègent », La mort leur va si bien).
Le Dieu que décrit Booba dans ses textes est clairement celui de l’Ancien Testament, livre commun aux trois grandes religions monothéistes. Un fait qui se confirme également par l’évocation du « Jardin d’Eden » (Pas l’temps pour les regrets) ou d’ « Adam et Eve » (92 Izi). Pourtant, on retrouve également l’évocation d’une divinité pleine de bonté. Quand Kopp écrit qu’il « Y’a que Dieu qui fait clémence » (DUC) et « miséricordieux est Dieu le Père » (Kojak), on retrouve une notion principalement présente dans le Nouveau Testament et le Coran.
Musulman non-pratiquant
Booba est avant tout musulman comme il le répète en interview et comme on peut le comprendre à de nombreuses reprises dans ses textes qui évoquent souvent la religion avec des termes arabes et spécifiques à la pratique de l’Islam. Ainsi dans Commis d’office, l’ex-Lunatic cite une partie de la profession de foi musulmane : « J’atteste qu’Il est unique ». D’autres éléments de l’Islam sont évoqués pêle-mêle : les notions de hlel et haram reviennent fréquemment, Iblis (le Diable) dans Salade, tomate, oignons, le mektoub (Ma Couleur) qui signifie le destin, l’ûdu (les ablutions) dans LVMH, il dit bismillah quand il mange (Le silence n’est pas un oubli), évoque les hassanats (Parlons peu), associe son ami défunt Brazza à la formule Allah y rahmou (Comme les autres) et enfin a « un pied dans la merde, un pied dans la mosquée» (Banlieue Ouest).
Comme dans cette phrase, les notions pieuses évoquées par Booba le sont presque toujours pour dire qu’il ne pratique pas ou qu’il vit dans le pêché. Ainsi il prévenait dans Commis d’office : « Cherche pas à savoir si je prie ou je tise » car la réponse est devenue une évidence au fil de sa discographie. Conscient de ses carences dans la pratique de la foi, le meilleur ennemi de Rohff laissait entrevoir à l’époque de Lunatic la possibilité d’un changement de voie comme celui opéré par son compère Ali : « « J’avoue, sur les prières j’étais radin […] Faut qu’j’me rattrape, ou qu’j’défonce les portes du Paradis » (Avertisseurs). Lucide, il savait qu’il avait « un ange à chaque épaule mais (que) celui de gauche parle trop fort » (Le silence n’est pas un oubli) et affirmait qu’il souhaitait « partir dans le Dîne » (Civilisé). Pourtant quinze ans plus tard, l’ange de l’épaule gauche sévit toujours (Die art, wie wir leben) et les constats sont les mêmes en 2015 : « Je lis beaucoup trop peu de sourates » (Tony Sosa) et « Trop près du mal, trop loin du hajj » (le pèlerinage à la Mecque, qu’il a pourtant les moyens de faire, évoqué dans Génération assassin).
Résigné, Booba sait qu’il ne sera jamais dans le bien en continuant de pratiquer votre musique préféré : « Le son c’est haram, n’y mélange pas l’Islam et son Prophète » (La mort leur va si bien). Notons qu’il en profite pour coller une belle crotte de nez sur le front de ses détracteurs qui critique le supposé satanisme du franco-sénégalais mais font eux-mêmes du rap (oui il parlait peut-être de Mysa, donc).
Conscient de la duplicité réelle entre sa foi et la vie de tous les jours, Booba « passe un Salaam à ceux dans l’dîn, ceux dans l’hram » (Avant de partir). Car n’étant pas manichéen, il a conscience de la complexité des frontières entre le Bien et le Mal : « Inch’Allah on s’en sortira bien, nos proches aussi, Merci aux pieux, leurs prophéties, aux gens biens ou moins biens, Dans le mauvais y’a du bon aussi » (Les vrais savent). Cette dernière notion n’a pas vraiment sa place dans la culture monothéiste mais renvoi plutôt à la tradition asiatique du Ying et du Yang, nous montrant que comme chacun, la notion de religion chez le capitaine du 92i est propre à lui même et provient d’influences multiples.
Satan, ami ou ennemi?
Si Booba a décidé de vivre loin d’une vie pieuse, il est également conscient des conséquences : rejoindre le camp du Diable qui depuis le début « racole » (Ma définition). Même si il a tenté de le repousser (« Je combats le 666 », Jusqu’ici tout va bien), les tentations sont trop fortes : « Centre de Lucifer, tête et but de Belzébuth » (Saddam Haut de seine). Depuis, malgré sa foi en Maître Yoda, le Jedi le plus célèbre du rap français semble avoir basculé du Côté obscur pour fini jnouné (OKLM), « en mode Belzébuth » (Top niveau).
La conséquence de cette vie dans le Mal, le Duc de Boulogne la connaît : les enfers et ses flammes éternelles. Si Booba a longtemps redouté cette conclusion (« Je nique mon temps dans le vice, je veux pas finir dans le feu », (Le silence n’est pas un oubli), il semble désormais s’y être résolu. Il a commencé par avouer dans Paname : « Je vais crever comme un chien j’monte pas au ciel car je n’ai pas d’âme ». Cette phase a d’ailleurs bien conforté les théoriciens des Internets persuadés que Booba avait vendu son âme pour réussir (comme si son talent ne suffisait pas). Cette phase montre aussi à quel point B2O aime utiliser les rumeurs et/ou clichés sur lui pour donner plus de volume à son personnage – on va y revenir dans le paragraphe suivant. Sa vie après la mort, le Boulonnais la clarifie donc dans Pinocchio, lui permettant de faire une autre punchline mêlant le bif et la religion « « Brûle billets verts, en Enfer j’vais rien en faire ». Une fin qui s’annonce triste pour un gars qui annonçait il n’y a pas si longtemps: « Devenir saint un jour, je n’y ai pas renoncé » (Longueur d’avance).
Avant de passer aux rapports complexes qu’entretien Booba avec le christianisme, voici quelques lignes sur ses liens avec le judaïsme. Booba s’est souvent fait prêter une judéité dû à son prénom : Élie. Élie est effectivement un prophète juif mais comme tous ceux de l’Ancien Testament, il est également reconnu prophète dans l’Islam et le Christianisme – ce qui renforce cette idée qu’Omar Yaffa Sénior est avant tout un enfant des religions abrahamiques. Cette rumeur, Booba a préféré en faire un argument à punchline. S’il ne fait que la relayer dans Guns in my hand (« Paraît qu’jsuis juif »), il la complétera dans son feat avec Rick Ross, 187 « … j’t’enfonce une grosse bite ashkénaze ». Bon on ne révélera pas le fail puisque si Booba était juif, il serait plutôt séfarade, mais on notera comment en une phase, le bitume avec une plume retourne les rumeurs, emmerde ceux qui les relaient et se met dans la poche une communauté en la dédicaçant à sa manière. Un vrai duc.
L’autre usage du judaïsme dans les écrits boobesques est la notion de cacher utilisé pour symboliser la pureté : de « « Je serais cachère si je meurs égorgé (Inédit) à « Féfé casher, #PatrickBruel » (Génération Assassin), il n’y a qu’un pas.
Jésus, Booba et les Chrétiens
La troisième religion monothéiste, bien qu’elle ne fasse a priori pas partie de la vie de Booba a quand même une place de choix dans sa carrière. Il faut dire que le Christ est certainement le personnage historique le plus name-dropé par le Duc de Boulbi, avec Attila. A la fois prophète (de l’Islam), Fils de Dieu et Dieu (pour les Chrétiens) et premier punchliner de l’histoire (dans ses paraboles), Jésus de Nazareth est une source infinie de lignes bien senties. Cette forte présence de Jésus dans les textes de Booba vient aussi de sa forte influence américaine où traditionnellement la figure du Christ est bien plus présente que dans les pays catholiques.
La crucifixion, moment clef de la vie – et de la mort – de Jésus, inspire beaucoup B20. Qu’il s’en serve pour mettre à l’amende les autres rappeurs (« Crucifiez-les tous comme Jésus, le Duc arrive à Nazareth » (Talion), « Va clouer ta mère, laisse-moi porter ma croix », Boss du rap game) ou faire de son rap un martyr (« Mon rap a été crucifié à en devenir Christ », Paradis), la mise en croix obsède Booba. D’ailleurs cet épisode de la Bible semble l’avoir traumatisé, justifiant sa haine de l’humanité dans son célèbre refrain de Boulbi : « Comment leur faire confiance, ils ont tué le Christ? ». Cette idée que les hommes ne méritent pas le Fils de Dieu revient dans 92i Veyron : « Ne fais pas trop de bien, tu finiras cloué sur une croix »).
S’il semble reconnaître ici l’importance de Jésus, il marque aussi sa distance avec l’homme de Nazareth. Car Booba a beau être triste de la fin de la vie terrestre de Jésus, il ne semble pas appliquer forcément tous ses principes dont le plus célèbre consiste à tendre l’autre joue à celui qui frappe : « Jésus dit de tendre la joue mais je n’suis pas pratiquant » (Habibi), « Chez lui il n’y a que Jésus qui tend l’autre joue » (Jimmy). D’autres préceptes du Christ semblent plus parler au Duc comme la célèbre parole rapportée par Saint-Matthieu « Les derniers seront les premiers ». Booba a habilement placé ce passage de la Bible à la fin de l’Introduction de Mauvais Œil, mais également en tant que titre du premier morceau de l’album … Lunatic. La boucle est bouclée. Cette phrase a une résonance particulière dans la bouche de Booba. A ses débuts dans le rap, faisant partie de ceux d’en bas, cette phrase signifie qu’il aura sa place au Paradis, car les derniers sur Terre seront les premiers dans le Royaume de Dieu. Or, au moment de la sortie de Lunatic, la carrière de Booba est à son apogée, et faisant partie désormais de « l’élite » (Killer), il devient, potentiellement, dernier au Paradis. Ce qui colle parfaitement à ce que nous avons déjà évoqué sur son rapport au Diable et à l’Enfer.
L’image de Jésus peut également servir les discours afro-centrisme de Booba, autre sujet qui mériterait une étude poussée. Dans la première ère de sa discographie, le binôme d’Ali balançait « « Les cheveux je les ai crépus comme Jésus » au milieu du traumatisant Les vrais savent. L’africanité de Jésus est une théorie assez répandue, en particulier chez les afro-centristes. Ici il l’utilise peut-être par conviction mais également pour « choquer le bourgeois », pour qui il est surement inconcevable que le Christ ait la peau basanée. Car si le patron d’OKLM s’en prend parfois un peu méchamment au catholicisme c’est aussi pour secouer ce que représente – à tort ou à raison – l’Église en France : une vieille France peu ouverte, voir conservatrice, limite raciste. Voilà ce qui semble habiter Booba quand il affirme se « laver le pénis à l’eau bénite » (Illegal) ou qu’il se serve de la coupe qui a récolté le sang du Christ : « Mets-moi le Graal entre les mains je me sers un verre de sky » (Ouest Side). Un graal sur lequel il se permet de graver ses couleurs, celles du 92i (Rolex). Si les attaques envers les cathos peuvent être assez gentillettes (« T’attends qu’Jésus revienne, on prend du biff on refait nos vies », 187), elles peuvent parfois être plus dures en jouant sur des clichés tenaces : « Pas de meilleur endroit pour te faire sodomiser que l’église » (Gangster), « J’parle lingots d’or avec le pape’zer, au Vatican » (Habibi). En bref, Booba aime surtout parler de Christianime pour jouer avec les symboles, nombreux et très ancré dans notre culture, plus que de la foi. Et c’est peut-être parce « la banlieue c’est dangereux, c’est pas marqué dans la Bible » (Couleur ébène).
Du musulman proche du prosélytisme aux références au Satanisme, Saint-Booba a fait de la religion un puits sans fond d’inspiration pour ses punchlines aiguisées. Lancer dans la musique avec une (relative) volonté de trouver la paix intérieure, Booba semble s’être résolu et semble avoir perdu toute foi : « J’crois plus en grand chose, sans foi ni bif ma vie est fichue, osez m’enlever ces deux là, sur la Bible, j’vais tout exploser » (Le météore). La faute aux hommes mais aussi à un parcours personnel où le froid du chrome sur la jambe apporta plus de sécurité qu’un misbaha : « Le crime a payé parfois, beaucoup plus fort que ma foi » 0.9. Bref, pour résumer et comme il le clame dans JDC, Booba est «plus « allez khouya » qu’alléluhia.»
On sait maintenant que sa mere est ashkenaze ! Et non sepharade mais lui n’est pas juif
Attention dans le titre!! On dit des « péchés » et non pas des « pêchés ».
Les derniers se rapprochant plus de l’action d’attraper des poissons 😀
Sinon article intéressant!
Bref, tout pour vendre quoi… Booba n’a pas de foi définie et utilise la religion comme un moyen d’attirer les foules. Comme l’on fait auparavant les grandes religions monothéistes et ont ainsi acquis de nombreuses âmes. Comme disait le Christ en Matthieu 23:15…
Bon article,
juste une erreur de terme à corriger au paragraphe 7 : « manichéen » et non « machiavélique » qui n’a pas du tout le même sens (vive le bac philo !).
Bonne continuation l’équipe !