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Chroniques Projets récents

« Max & Lenny » : De l’importance de l’expression de soi

Marseille, les quartiers sensibles. Coincée entre la drogue, la rue et sa violence, Lenny refuse toute autorité, quitte à se mettre consciemment en danger. Au nom d’une liberté auto-proclamée, l’adolescente au regard noir semble ne jamais cesser de fuir son quotidien. Un soir, elle va rencontrer Maxine, adolescente à la peau couleur ébène. Ce film, …

Chroniques

[Chronique] Demi Portion – Dragon Rash

« Même un minable peut dépasser le niveau de l’élite en faisant énormément d’efforts… » (Goku, Dragon Ball).

Suivant son chemin comme il l’entend depuis des années, ce « petit bonhomme » venu de Sète serait-il en train de devenir un « Grand » du rap ? En bon artisan du bic qui se respecte, Rachid Daif alias Demi Portion n’en avait pas fini avec ses histoires et a donc pris le temps qu’il fallait pour dévoiler sa dernière création, produit entièrement par ses soins. Ce troisième album qui devait s’appeler logiquement Les histoires 2, a finalement pris le titre de Dragon Rash, écho aux références tirées de l’univers des mangas parsemant l’album. Le résultat ? Un projet sérieux par un artiste accompli offrant au rap la possibilité de grandir encore un peu plus.

« La rage d’Aimé Césaire… entrainement DBZ ! »

Bel art moderne que cette musique germant l’esprit libre et la main autour d’un crayon : « A l’heure où tout le monde essaie de marcher sur les autres, on y est, on essaie de se prendre la tête sur cahier, ça fait de nous des Supers-guerriers ! ». L’introduction sur le titre éponyme de l’album affiche la couleur de ce dernier, morceau sur lequel les amateurs de Dragon Ball Z auront surement « reconnu le Tapion » et les notes de son instrument de prédilection. L’esprit de Dragon Rash illustré ici en moins de 4 minutes : réfléchi, incisif et flottant sur les souvenirs d’enfance à l’image d’une pochette qui rappellera cette part de nostalgie qui sommeille en chacun. Pour le reste, Rachid Daif a depuis quelques années maintenant délaissé l’épée de l’ami Trunk pour prendre son envol avec une plume dirigée en direction d’une société qui semble attendre son heure avant d’imploser « à l’heure où l’argent facile arrive plus vite qu’une pizza ! » (Demi Parrain). Musicalement, le constat offre un mélange singulier sur des productions souvent réussies, « la rage d’Aimé Césaire, entrainement DBZ » comme le résume l’artisan sétois.

« L’habit ne fait pas le moine, et la parole plus l’homme, derrière une marionnette se trouve un ventriloque »

Côté texte, les rimes incisives s’enchaînent avec la même efficacité, même lorsque l’aisance du MC laisse place aux interrogations sur le titre Est-ce que ? : « Est-ce qu’on partage avec toi ? Est-ce qu’on peut crier victoire ? Est-ce qu’on touchera les étoiles ? Est-ce que tu rêves d’après toi ? ». Des questions banales pour certaines, cruciales pour d’autres, sans réponse dans leur majorité. Avec Dragon Rash, Demi-Portion n’entend pas jouer aux marionnettes, pour laisser librement s’exprimer le « ventriloque », seul, honnête et sans voix pour le guider. Car l’enfant devenu adulte s’ouvre sur le monde, élargissant son regard pour nourrir sa vision critique et, dans le même élan d’émancipation, ses doutes et ses peurs. Cet album est l’un de ces récits évoquant une innocence perdue depuis longtemps et illustrée avec force, simplicité et réussite ! « J’ai peur et j’ai le droit, de toute manière ça m’occupe ! », avoue Demi Portion sur Peur, l’une des perles de ce nouvel opus, long couplet, sans refrain ni coupure dont l’écriture soignée fera oublier la syntaxe moins appliquée sur Parti de rien ou Dernier chevalier.

Ce troisième album de Demi-Portion ne manque donc assurément pas d’atouts pour trouver son public, atouts renforcés par la présence d’invités bien intégrés au projet pour en assurer la solidité. En particulier sur la version remixé du concept Mon dicoDemi Portion partage à nouveau la plume avec son acolyte Sprinter, mais également Disiz, Swift Guad, Aketo, Mokless, Koma, REDK et bien d’autres. Et si Saïd Tagmahoui ne fait, quant à lui, qu’une apparition sur le clip Demi Parrain, tourné au Maroc, d’autres ont aussi prêté leurs voix aux côtés du maître d’oeuvre : Jeff le Nerf, Blata, Maestro Omayela sur Babylone, la conclusion de l’album et un autre lyriciste de marque en la personne d’Oxmo Puccino ! Une connexion qui se révèle plutôt harmonieuse sur le titre Une chaise pour deux, un autre morceau incontournable de cet album qui risque de faire encore parler de lui une fois l’hiver passé. Car en cette fin janvier, la sortie de Dragon Rash éclabousse audacieusement l’assurance des artistes soutenus par les plus grands « commerciaux en musique », avec pour force originelle : l’espoir de maintenir le rap au coeur d’un courant d’expression libertaire dans lequel certains MCs osent se baigner encore aujourd’hui.

Chroniques

[Chronique] Joe Lucazz – No Name

Joe Lucazz est un rappeur difficile à appréhender. Son flow off-beat déroutant et sa nonchalance verbale y sont pour beaucoup et déstabilisent facilement l’oreille non-avertie. Pourtant, son « album avant l’album » est salué quasi-unanimement par les médias spécialisés comme un excellent opus. Quelques explications semblent nécessaires.

Premièrement il y a le MC. Son flow mi-rappé mi-parlé rappelle certains grands noms de la discipline, de Ekoué à Despo Rutti en passant par MC Jean Gab’1, mais Joe arrive néanmoins à se distinguer par cette espèce de faux calme dans la voix qui laisse toujours penser qu’il peut exploser à tout moment. Plus qu’un simple manque de respect à la rythmique, le flow de Lucazz a dompté les kicks et les snares jusqu’à l’absorption et leurs dissolution dans une musicalité instinctive et brutale, mais largement contenue et réfléchie. Cette vision du flow rebutera nombre d’auditeurs et il est vrai qu’il paraît parfois hermétique, mais Joe semble toujours concerné par ce qu’il rappe et s’implique vocalement dans l’interprétation, mais sans jamais en faire trop.

Une limite avec laquelle il joue et qui s’articule aussi autour de textes lourds de sens. Mais le MC ne se laisse jamais dépasser par ses paroles, preuve d’une certaine maîtrise et enchaîne ainsi les phases entre « T’es fier d’être Africain ? Je suis fier d’être alive » ou encore « Pour chaque tempe y’a un canon, dans chaque ange y’a un démon ». A travers les onze titres de cet opus, on a droit à de nombreuses phases introspectives et des remarques sur le monde qui se rejoignent et se télescopent autour d’un puzzle de pensées, mais toujours avec une qualité d’écriture qui redore le blason du mot punchline (celle que l’on entend mais que l’on comprend trois jours après dans le bus entre deux niveaux d’Angry Birds). De « Depuis Bulma, j’suis dans le violet, depuis Pulvar j’suis dans la lunette » à « Quand on contourne leurs lois, le monde est couleur froid », il faut tendre l’oreille, revenir, réfléchir au sens, comprendre et l’intégrer au reste. Et là, on comprend qu’aucun autre flow ne pourrait rapper ces textes, tellement Joe Lucazz est singulier et impliqué.

D’ailleurs, le coté largement autobiographique de l’album est parfois un peu déroutant et redondant lorsque Joe part dans l’introspection. Tiraillé par des démons perchés sur ses épaules, entre l’idéal du droit et la réalité du gauche, ce thème classique du rap revient peut être trop souvent mais sert aussi de fil conducteur, garantissant une certaine cohérence. On sent quand même que l’homme au micro déballe un vécu lourd de virages et de détours, mais que de toute façon, le plaisir n’est pas dans la ligne droite et il ne faut s’excuser qu’auprès de sa génitrice : « Si Anakin a cédé, c’est que c’était un Jedi faible ».

Ensuite il y a la musique. Certaines prods se ressemblent un peu (trop), certes, elles sont aussi assez dense en général et le mixage ne leur fait pas honneur, mais on ne peut nier le fait qu’elles correspondent très bien à l’univers de Joe, participant à la cohérence du tout. Mention spéciale aux instrus de Double Whopper (Pandemik Muzic), le banger de l’album, Corner (idem), la bouffée d’air frais ou Pharell (Butter Bullets), dont les deux parties fusionnent pour devenir plus fortes. Les nappes de cuivres ou de cordes côtoient ici le synthétique ou la rythmique boom-bap classique. Dans tous les cas, le MC s’adapte et sait être régulier dans la différence. On regrettera d’ailleurs le manque de morceaux plus rythmés et légers car même Corner (avec Express Bavon au refrain chantonné) et Ce n’est pas contre toi (avec Cross, au flow proche de Lucazz) voient leur sonorités plutôt positives balancées par un mcing et un texte sombre.

Au final, l’album de Joe Lucazz est de ceux qui divisent de manière tranchée. A cause de son manque d’accessibilité, surtout par rapport aux sorties du moment, et de sa teinte très sombre, il faut s’accrocher pour en saisir l’essence. C’est à cette condition qu’on s’aperçoit que ses réelles faiblesses ne sont pas le MC et son délire chelou, mais plutôt son côté rugueux, par un mix approximatif, son manque de variétés (ou de titres peut être), sa densité assez éprouvante et l’omniprésence du personnage principal. Mais à coté, les qualités déployées au micro valent largement que l’on s’y intéresse et le plaisir que l’on prend à déceler le sens des phases et en décortiquer les structures fait que l’on y revient avec plaisir et intérêt.

Focus sur

[Focus sur] Zekwé Ramos

« Ferme la à tout jamais, laisse faire le putain de maestro ! » El maestro

Aujourd’hui, l’une des problématiques du rap français est le manque de plus en plus important d’identités fortes. Dans ce rap jeu, la qualité s’égare parfois au profit de la quantité. Si vous êtes attentif à tout ce qu’il peut se faire autour de cette musique, vous remarquerez que rares sont les artistes qui savent briller par leur technique, leur originalité mais surtout par leur intelligence et leur capacité à se remettre régulièrement en question pour progresser.

« Ils s’fatiguent à faire des classiques ils en oublient d’être originaux » Libre 

C’est dans ce contexte que Zekwé Ramos a su se démarquer. Évoluant à ses débuts au sein du label Néochrome au côté des prometteurs AlKpote et Katana (formant alors l’Unité 2 Feu), il a sorti en 2007 le troisième volet de Rap De Banlieusard. Le public découvre alors la sonorité unique de son œuvre, son grain de voix authentique, un peu cassé mais surtout une personnalité forte, un rappeur de hargne oscillant entre mélodies engagées et freestyles largement décomplexés.

« Le retour de flamme est possible, dis-leur qu’ils s’préparent, on prend du poids on grossit, on exige des parts ! » Entreprenant

Le rappeur s’affirme aussi comme compositeur, produisant pour un bon nombre de ses pairs : Sinik, Seth Gueko, Dany Dan, AlK etc. Passionné, il enchaîne collaborations et featurings variés et élargit au fil du temps son public. Ses influences sont nombreuses, de Wu-Tang à IAM en passant par Nas, NTM, ou encore Jay-Z. Originaire d’Évry, d’un père français et d’une mère capverdienne, Zekwé se nourrit d’inspirations de tous horizons, ce qui alimente son style ainsi que sa technique de plus en plus aiguisée. Le rappeur a cette qualité, cette inventivité qui lui permettent de tenir son auditeur sur tout un projet. On suit avec plaisir et curiosité la variation de ses musiques, les orientations nouvelles de sa direction artistique. En 2011, Zekwé sort le premier volet de sa mixtape Seleção, qu’il poursuit trois années plus tard. Seleção 2 est plus « mature » et surtout plus élaboré, phases aiguisées, punchlines décalées, textes à thèmes, subtils et profonds s’entremêlent sur des prods uniques notamment en matière de rythmes. Il n’hésite pas à passer d’un rap réaliste, s’attardant sur les galères de la vie et la motivation sans borne pour s’en sortir (Somnambule) à un rap plus intuitif, conté comme une histoire foireuse (La fille d’à côté).

« Ma scolarité partait en fumée, on déclenchait l’alarme incendie / Maman chérie me bottait le cul mais je fumais trop j’ai rien senti » Somnambule

La richesse d’un MC, ou sa capacité à slalomer entre des styles différents,  c’est d’être capable de s’adresser aussi bien à des femmes de 15 ans qu’à des trentenaires avertis de rap français. Depuis le début de l’année, Zekwé a été entendu dans le nouveau (et génial) Memento Mori des Butters Bullets, sur le track Melle où le romantisme agonise. Mais surtout, après deux mois d’attente, il a sorti ZoMbie$. Le clip (aussi surnommée Merde visuelle) est une grosse claque réalisée par Giulian Romero pour Frappe Vision. Auditivement parlant, Zek nous surprend avec un style plus audacieux. Entre egotrip psyché et je-m’en-foutisme grandiose, il y a du talent à tous les niveaux : flow nonchalant et maîtrisé, attitude et texte assumés, prod ingénieuse. Dans le rap français, rares sont ceux aussi qui prennent des paris, des risques. Zekwé Ramos est de ceux là. Respecté par le public, les autres rappeurs et les médias, il possède toutes les cartes en main pour marquer son époque. Il est ce genre d’artiste qui s’améliore au fil des projets. Et finalement, la seule chose qui lui manque c’est la notoriété qu’il mérite.

 

Chroniques

[Chronique] Lino – Requiem.

En 2005 sortait Paradis Assassiné, le premier album solo de Lino. L’attente d’un nouvel album était titanesque afin de savoir si Lino pouvait encore faire de bons morceaux sans être aux côtés de son frère Calbo. Le public s’était vu écourter son attente interminable car en 2012, Radio Bitume sortait à titre non-officiel, en effet, l’artiste a affirmé que ce projet était sorti sans son consentement. Requiem est donc officiellement son deuxième album solo. A-t-il réussi à consolider son image de pilier du rap français ?

« Si les hommes naissent pour mourir, mes requiems sont des berceuses. »

En toute logique chronologique, après un assassinat des cieux, Lino est venu rapper des chants funèbres en leur honneur. Chouette programme pour un retour très espéré. Les extraits sortis avant le projet garantissaient un album riche en qualité, que l’on pouvait déjà inscrire dans un futur top 10, en fin d’année. 12eme Lettre était une véritable pépite, égotrip certes mais le concept était audacieux. L’idée de réaliser des assonances sur cinq minutes de morceau, simplement avec la lettre L, nous avait séduits et le défi était relevé. De même avec ce fameux Wolfgang, ce n’est pas pour rien s’il était notre morceau préféré en 2014. Véritable claque auditive, l’ange déchu du rap annonçait une arrivée fracassante dans le Panthéon de ce genre musical. Et malheureusement, à l’écoute de ce Requiem, nombreuses sont les déceptions.

« C’est pas du Polanski, ma ‘zique touche pas les p’tites. »

Comment rester objectif vis-à-vis de cet album ? Cette scission entre le message anti-commercial, scandé à multiples reprises par Lino, et cette volonté de proposer des morceaux formatés à la radio, ouvre un paradoxe délicat. Un titre, Suicide Commercial, explique ce souhait de ne pas se formater pour vendre, souvent avec des paroles fortes, crues « Ambiance « rap métrosexuel », comment tu planques un flingue dans un legging ? ». On y retrouve ces arguments sur beaucoup de titres et on s’y laisse croire, pourquoi pas après tout ? Lino, à raison d’un album tous les 10 ans, est loin d’avoir une démarche commerciale. Il est difficile d’imaginer ce dernier annoncer un double album tous les ans pour le prix de seulement 12,99€.  Et pourtant, sur dix-huit morceaux, le quart est un regroupement de sons au refrain r’n’b chanté, naïvement, par un ou une artiste sans charme. Alors, évidemment, les couplets de Lino rehaussent le niveau mais, parfois quel gâchis ! De même avec la musicalité, l’écart entre ses instrus et celles de la Team BS n’est plus si vaste. Excusez-nous cette comparaison, presque hyperbolique, mais un morceau comme De Rêves et De Cendres aurait pu être une véritable merveille si la finition n’était pas aussi orientée vers des sonorités pour adolescentes. Est-ce le résultat d’une mauvaise orientation artistique ? Tefa, le réalisateur/producteur de cet album, aurait-il voulu rendre plus accessible la musique de Lino ? Certains diront qu’il n’y a pas de mal à vouloir élargir son public, cependant il y a des manières de faire plus pertinentes. De plus, on ne peut pas, sur le même projet, afficher ostensiblement une image anti-commerciale aux cotés de morceaux en featuring avec Zaho.

« Souvent, les nerfs parlent plus fort que la raison / J’chante ce millénaire et j’pars en rafale de métaphores sur les ondes / J’suis des coins où les anges disparaissent sous des linceuls / Rien n’change, mes raps sont toujours des caresses, des poings dans la gueule. »

Mais ne nous arrêtons pas à ça, il y a de très bon morceaux. Certes, l’ensemble de l’album n’est pas innovant, ni détonnant, mais la recette du piano/violon prédominée par la verve unique en son genre de Lino fonctionne toujours aussi bien. Les beats sont plus lents, sombres pour certains, ce qui permet parfois de mettre en valeur les textes de l’artiste. Name-dropping dénonciateur très présent, toujours dans cette idée de « Qui prétend faire du rap sans prendre position ? », développée avec son groupe Ärsenik dans le morceau Boxe Avec les Mots de 1998. Des lyrics d’une qualité indéniable peuplés de métaphores et de rimes riches, c’est ce qu’on aime retenir de cet album. Car Lino n’a pas perdu sa plume, cette patte si personnelle mêlant argot et tout son glossaire de belles expressions issues de notre langue si riche. Note particulière au magnifique Flingue à Renaud, qui est pour nous un des meilleurs morceaux, si ce n’est le meilleur, de Requiem, avec ses tournures de phrases et son fond très poétiques.

« Ça rappe et la peur revient charbonner / Quand j’vois le Printemps arabe et les fleurs que ça a donné. »

Bilan mitigé chez nous. Bon, sans plus. Disons que Requiem est à Lino ce que Django Unchained est à Tarantino, un bon album au sens général mais un album moyen pour l’artiste concerné. C’est donc une déception pour nous, et nous imaginons qu’une partie du public n’en pense pas moins car Lino était attendu comme une sorte de défenseur du rap, prêt à en redorer le blason. L’immense contraste entre les très bons morceaux aux couleurs sombres et ceux où la qualité est moins au rendez-vous laisse un goût amer très prononcé. Ce long projet de dix-huit titres aurait mérité d’être produit d’une toute autre façon. Un douze titres nous aurait amplement comblés.

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[Chronique] Guizmo – Dans ma ruche

Le 31 août dernier, quasiment deux ans après son dernier album solo ponctué par le morceau C’est Tout, Guizmo revient sur le devant de la scène avec André. Comme un écho à ce dernier morceau – couplet unique, sept minutes de son – le Guiz’ lâche une bombe sonore, qui a marqué la rédaction, pour annoncer son prochain opus. Quatre mois plus tard, voici Dans Ma Ruche, déjà quatrième album du MC.

Ce projet est d’abord une vraie rupture avec ses trois premiers travaux. On sort de l’époque « un album tous les six mois », où Guizmo avait relevé son défi avec brio. Le rappeur de Villeneuve la Garenne dit avoir utilisé « une autre méthode de travail (…) et beaucoup de recherche » pour cet opus.

Autodestruction

Si ce projet est détachable du trio NormalLa BanquiseC’est Tout, Guizmo reste fidèle à ses thèmes de prédilection. Il évoque un quotidien miné par ses addictions, un entourage nocif et une certaine angoisse quant à la société qui l’abrite. Cette description méthodique de son environnement s’impose comme une caractéristique intrinsèque à chaque album du Guiz’. Dans 10 Ans est un bon exemple de cette autodestruction du MC. Le morceau marque les angoisses futures, liées à un mode de vie défaillant. « Trop zoner ça tue, et une décennie ça passe trop vite/ J’réfléchis, j’ai pas d’logique, dépressif et alcoolique ».

  Les instrus sombres et les textes mélancoliques face à la défonce sont toujours aussi efficaces. Guizmo tient à jour son carnet de bord et relate la vie dans son 92. Dans l’excellent Du R5 au R1, l’accent est à nouveau placé sur cette vie solitaire, irrégulière, violente. On peut presque imaginer un jeu d’ombres et de silhouettes mal-assurées qui déambulent sans but dans les chefs-lieux du Guiz : Valenton, La Caravelle. Considérant que La Vie est un Thème, Guizmo déballe sans pudeur la rage qu’il emmagasine. Une certaine maturité est perceptible dans ses phrases emplies de mal-être, Guizmo dénonçant cet emprisonnement volontaire dans cette vie morose.

Le rappeur du 92 ose un clin d’œil à IAM sur Demain c’est mort, une nouvelle fois une vision noircie du futur. Il joue le chien domestique enragé dans l’innovant Muselière. On retrouve aussi le Guiz’ séducteur sur Bisou et sur une ambiance à l’africaine rafraichissante avec Amadou et Mariam. Des prods moins lancinantes permettent au MC d’explorer d’autres terrains, comme sur le titre Dans Ma Ruche, ou encore sur Ligne 9, avec un éclat un peu moindre.

L’expérience du loup solitaire

Attendu au tournant depuis le mitigé Jamais 203 avec Mokless et Despo Rutti, Guizmo remonte au top dès ses premières phases. Son talent refait surface immédiatement, notamment dans son habile manière d’allier fond et forme. Il critique d’ailleurs cette vague de MC’s accro aux multi syllabiques dans André : « Les rappeurs c’est des bimbos, y’a des formes mais y’a pas le fond ». Son écriture s’est affinée dans cet album. Techniquement, le rappeur de Villeneuve se maintient au haut niveau qu’on lui connaît. Ses punchlines sont bien senties, le verbe est aiguisé. Impulsif, parfois prétentieux, Guizmo rappelle par cette maitrise du côté sombre une vieille école, notamment dans le 9.2.

Avant-hier tête d’affiche de L’Entourage, hier jeune loup aux dents longues ayant tout à prouver, Guizmo a aujourd’hui plus de recul mais toujours autant d’impact dans ses tracks. A bientôt vingt-quatre ans, il dégage une véritable assurance et donne l’impression d’avoir toujours baigné dans ce paysage du rap. Il ne se cache pas pour prendre ses distances avec cette relève, obsession franco-française du move des dix dernières années : « Toujours efficace quand j’arrose j’suis venu pour tous les plier/ Bah ouais j’m’en branle de votre relève, j’suis avec les piliers ». Dont acte.

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Au pays d’Alice – Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccino.

Tout a débuté en 2011 lorsque le festival Ile de France avait invité Ibrahim Maalouf à concevoir un spectacle autour du thème de la merveille. Le trompettiste virtuose, mué en chef d’orchestre, avait alors choisi de travailler sur le conte de Lewis Caroll Les aventures d’Alice au pays des merveilles en compagnie d’Oxmo Puccino pour ce voyage inédit duquel nous n’avions pas eu le moindre écho. Trois ans plus tard, un album paraît. Entre-temps, nous avions pu apprécier une première collaboration entre les deux artistes avec le morceau Douce sur l’album Diagnostic et nous nous attendions alors pour cet album, nous autres pauvres auditeurs sans imagination, à une belle rencontre sommaire entre le jazz et le rap ou même à un truc vraiment original, mais sûrement pas à ça. Nous sommes tombés des nues, comme Alice dans un trou. (suite…)