Son nom est Al’ Tarba aka Jules pour les intimes. Fournisseur de beat pour une bonne partie de l’underground français depuis près de 10 ans, il donne désormais avec brio dans le hip hop instrumental. Il était temps que nous le rencontrions. Plongée dans un univers de beats et de samples.
Quelle est la collaboration la plus marquante à tes yeux ?
Comme ça, je dirais Ill, Ony et Raekwon du Wu-Tang. En français, je te dirais Swift Guad. Mon groupe, Droogz Brigade et Lino
Lino ? Je ne savais pas que t’avais bossé avec lui.
En fait, il a fait un couplet avec un groupe qui s’appelait Cortège à l’époque et donc oui, il y a un couplet de Lino sur une de mes prods’.
Ce qui nous étonne dans ta liste, c’est l’absence de VALD. On a cherché et on ne trouve pas de traces de collaboration entre vous. On a mal cherché ou ça n’a jamais eu lieu ?
VALD, je le connais bien… On traine souvent ensemble. Mais figure-toi qu’on n’a jamais fait de son ensemble. Pour Vald, j’attends vraiment d’avoir l’instru qu’il faut. Avec mon groupe, on avait fait un son où il a failli poser. Cela ne s’est pas fait finalement mais c’est sûr qu’un jour, il y a un morceau qui va arriver avec lui. Encore faut il qu’il me valide une prod!
C’est assez bizarre parce que vos deux univers collent parfaitement.
Même lui me dit « Gros, ça fait je ne sais pas combien de temps on se connait et tu ne m’as jamais lâché une prod ». Il me met la pression, je crois qu’il m’impressionne en fait (rires). Ça fait un moment que je n’ai pas fait de prod’ hip hop puisque je suis plus tourné vers l’abstract. Par contre, j’ai pas mal d’instru pour mon groupe. On a quasiment tous les sons de prêt. Après ça, je vais surement me ré-ouvrir aux collaborations. Vald, c’est probablement un des premiers avec qui je bosserai.
Nos lecteurs ne s’en apercevront pas mais tu viens de Toulouse. Quel est l’état de la scène toulousaine ?
Tu as dû entendre parler de Furax. Au niveau de Toulouse, ça bouge énormément en termes de hip hop. T’as une salle comme la Dynamo dont tous les mecs de l’underground peuvent te parler. Demande à des mecs comme Paco ou Swift voire même L’indis. Je suis quasi sûr que tu n’auras que des retours positifs. C’est vraiment une super salle qui va malheureusement fermer bientôt à cause d’un hôtel qui va s’installer au-dessus. Ça risque de foutre un sacré coup.
Avant cela, tu nous parlais d’Ill Bill. Quand on fait une recherche sur toi, on lit beaucoup de référence à Nécro que tu cites comme ta principale influence. En France, l’horrorcore est un genre assez confidentiel ou tout du moins peu de gens s’en réclame. Si tu devais définir le genre en quelques mots ?
Pour moi, Nécro ce n’est pas de l’horrorcore. L’horrorcore, c’est des mecs comme Escham ou Three Six Mafia à l’ancienne où t’avais une grosse ambiance gothique. Necro a parfois des samples assez jazzy. C’est plus morbide qu’autre chose. D’ailleurs, il qualifie ça de death-rap.
La différence entre death rap et horrorocore semble quand même assez mince.
C’est des étiquettes donc la frontière est toujours mince. Après l’horrorcore, c’est surtout le groupe de RZA [Gravediggaz] où il revendiquait vachement cette étiquette-là. L’horrorcore pour moi, c’est vraiment des mecs comme Escham et son groupe Natas qui ont vraiment crée le genre mais aussi le nom. Je n’ai pas accroché plus que ça à ces trucs… Moi, mon truc c’est vraiment Necro. Necro donne dans l’horreur parfois mais ce n’est pas uniquement ça. C’est aussi le cul, la violence, l’humour sarcastique. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours de l’humour d’ailleurs (sourire). J’adore ces sons parce qu’il peut faire un beat psychédélique genre année 70, un truc jazz où il va rapper tranquillement ou un gros son avec un piano bien morbide. Il varie beaucoup et c’est ce qui le rend intéressant.
Aux Etats-Unis, Necro est un producteur assez respecté. A juste titre, parce que c’est un grand artiste. Pourtant il est assez sous-estimé en France. Tu es un des rares à le citer comme une influence majeure.
Necro, ce n’est pas un délire pour puristes même s’il a parfois des productions assez classique genre jazz qui sont assez lourdes. Pour moi, c’est le meilleur beatmaker dans le rap « pur et dur ». C’est le seul mec dont je connais toute la discographie et dont je suis l’actualité. J’ai d’autres influences en rap comme Jedi Mind Tricks. Je parle de l’époque où ils étaient encore Jedi Mind Tricks, c’est-à-dire quand Stoupe était encore à la production.
Si tu devais présenter Necro à un mec qui ne le connait pas, tu lui conseillerais quel disque ?
Underground, le classique (sans hésitation). Ah, non merde c’est un morceau ça…. Bah tu as Gory Days qui est son deuxième.
Perso, j’avais « I Need Drug » en tête.
Ouais, c’est celui que je cherchais. Underground, c’est mon morceau préféré dans I Need Drug.
T’as la compilation Brutality part I où Necro fait toutes les productions et où les mecs de son label comme Ill Bill viennent rapper. Là-dessus, tu as des grosses tueries. Niveau instrumental, je pense que c’est là qu’il a fait ces meilleurs sons.
D’autres influences à part ça ?
Beaucoup de RJD2 et Dj Shadow. En ce moment, j’écoute beaucoup Clutchy Hopkins et Madlib.
Au vu des noms et du style plus abstract, je dirais que ce sont tes influences du moment. Si tu devais citer tes influences plus lointaines et par lointaine, j’entends celle qui t’ont poussé à devenir beatmaker, ce serait quoi ?
J’ai toujours écouté ces trucs un peu plus abstract même si c’est vrai que j’en écoute plus depuis 4-5 ans. Pour les influences qui m’ont amené au son, je dirais clairement Necro, RZA et Dj Mugs. C’est mes influences rap pur et dur. J’écoute pas mal de style différent. Par exemple, j’écoute aussi de la trap et des sons d’Atlanta. Je suis assez curieux de voir ce que donne un gars comme Kaaris. J’y vais doucement, genre morceau par morceau mais y’a des trucs là-dedans qui me font kiffer.
A première vue, quand tu écoutes ce que je fais, je suis sur des tempos plus lents. Mon style est plus boom-bap mais je ne suis pas fermé. J’essaye de rester ouvert à d’autres styles et sonorités. J’écoute aussi bien de la techno que de l’électro en passant par du punk-rock. Je me fous un peu de l’étiquette tant que le son me plait.
T’as commencé par faire du punk-rock d’ailleurs non ?
Pas exactement. J’ai vraiment commencé par le rap. J’avais un groupe quand j’avais 9 balais. Je ne suis pas sûr qu’on puisse appeler ça un groupe mais on s’amusait à kicker pour les kermesses et les trucs comme ça. J’ai une vidéo d’ailleurs que je sortirais peut être à l’occasion. Je la balancerai peut être en plein milieu d’un concert (rires)
T’étais un enfant prodige en fait. Le premier beat que t’as placé, tu avais quel âge ?
Prodige ouai pas trop… Ca fesait plus pitié qu’autre chose mais on etait mignon! Je devais avoir 17-18 ans. C’était pour un album de Mysa qui s’appelait Les Poésies Du Chaos.
C’est lui qui m’a fait placer mes premières prods. A la même époque, Sir Doums m’avait aussi pris un beat. Il m’avait renvoyé le morceau fini mais il n’est jamais sorti. Je pense qu’il a dû voir que je n’étais pas encore capable de mixer mes morceaux. Pour te dire, je ne me souviens même plus de comment s’est faite la connexion avec Doums. Lui non plus ne doit pas s’en souvenir non plus.
On va parler de ton nouvel album qui s’appelle Let The Ghosts Sing. Il est sorti il y a quelques semaines maintenant. Est-ce que tu peux le présenter en quelques mots ?
Je pense que c’est mon album le plus sombre et le plus organique. C’est un album fantomatique d’où le titre. Je me suis permis d’aller plus loin dans le registre dub-électro-bizarre. Dub n’est peut-être pas le bon terme d’ailleurs.
Tu avais conçu l’album avant de signer chez Jarring Effect ?
Au départ j’étais juste en booking chez eux. La composition de l’album s’est faite en deux parties.
Après la sortie de Lullabies for Insomniac, j’ai fait énormément de morceaux. J’avais quasiment un album de prêt. Finalement, j’ai trouvé qu’il n’était pas assez bon donc beaucoup de morceaux sont allés sur une réédition de Lullabies. J’ai gardé trois ou quatre de ces morceaux et j’ai composé le reste de Let The Ghosts Sing. Ça m’a pris entre un an et demi et deux ans.
Qu’est-ce que ça t’apporte concrètement de bosser avec un label comme Jarring Effect?
Au niveau booking, déjà c’est intéressant. Je n’avais jamais travaillé avec un booker et c’est vrai que c’est plus facile pour trouver des dates. Avant, je faisais tout moi-même. C’est la première fois que je travaille avec des gens en dehors du hip-hop. Bosser avec un label comme Jarring, c’est une autre vision des choses et une autre façon de travailler. C’est forcément bénéfique. Travailler avec un label, c’est faire des concessions. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose mais je n’avais pas forcément l’habitude avant. C’est quelque chose qui s’apprend quand on te dit par exemple « ce morceau ne devrait pas être dans l’album ». Ne serait-ce que discuter autour de ça, c’est un truc que tu ne fais pas quand tu es en autoprod’. Ils m’ont laissé beaucoup de champ libre. C’est toujours moi qui ai eu le dernier mot même s’ils m’ont donné pas mal de conseils. Au final, j’ai pu faire ce que j’ai voulu mais c’est une autre façon de travailler. Quand t’es en label, tu signes des contrats aussi. C’est la première fois que je signe un contrat. Je n’avais jamais signé de contrat de ma vie avant ça sauf des contrats de travail genre pour faire magasinier.