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Interviews Rappeurs

[Interview] Camélia Pand’or : « C’était la plus belle expérience de ma vie. »

Ça faisait un très long moment que l’on souhaitait rencontrer Camélia. On voulait lui parler de beaucoup de choses notamment de cinéma puisqu’on la savait cinéphile. C’est  donc avec grand plaisir que nous l’avons croisée avant la projection de Max et Lenny dans lequel elle joue le rôle principal. Entretien. Tu peux nous raconter comment …

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[Interview] Liqid : « On arrive avec un album pas du tout à la mode et je trouve ça vraiment super »

Le 12 janvier dernier, Imbéciles Heureux, le dernier album de Liqid & Tcheep, sortait sur la plupart des plates-formes de téléchargement légales. L’occasion pour Le Rap en France d’aller poser quelques questions à l’ancien membre du groupe lyonnais Les Gourmets. Un entretien cool et plein de spontanéité, à l’image de son album, où l’on a …

Interviews Rappeurs

[Interview] La Canaille : « Quand tu as un projet subversif, il ne faut pas t’attendre à ce qu’on te déroule le tapis rouge. »

Peux-tu m’expliquer en quelques mots, pour ceux qui ne connaîtraient pas, qu’est ce qui se cache derrière « La Canaille » ?
Moi, je définis la Canaille comme un projet artistique où j’écris les textes et où je m’entoure aussi de musiciens. Du coup, la formation musicale qui est derrière moi à chaque album peut changer. Moi, je m’entoure de musiciens qui peuvent être touchés par ce que j’écris et qui se disent « Voilà, moi j’ai envie de défendre ce propos-là ». C’est ce qui en fait un projet artistique collectif, dans lequel je suis le référent. Je l’ai monté en 2003 et il n’y a qu’une seule garantie, c’est que j’écrive tous les textes.

Justement, le processus de création d’un morceau, c’est une impulsion de groupe, ou l’étincelle vient de toi, à la base ?
Le texte, c’est vraiment ma partie. C’est-à-dire que personne n’a droit de regard dessus. C’est ce que je dis, ce que je ressens, ce que j’ai envie d’exprimer. Après forcement, on débat entre nous. Ce n’est pas une dictature. Ce n’est jamais arrivé que j’écrive un texte et que les gars viennent me dire « Ouais, Marc, j’me reconnais pas dans ce que tu dis… » donc on tombe vite assez d’accord sur le texte. Et après la musique, ça fonctionne en deux temps. C’est-à-dire que j’ai besoin d’une petite atmosphère, d’un petit thème musical qui va m’aider à développer un imaginaire, qui renforce la thématique que j’ai envie de traiter. Je vais commencer à élaborer la pensée et une fois que j’ai fini, on peut passer à la deuxième phase musicale, c’est-à-dire l’arrangement. On se dit « Okay, on a ça comme matière au niveau des mots, comment on va trouver le meilleur moyen pour que ces mots résonnent ».

Donc le morceau se construit vraiment autour de ton écriture ?
C’est ça, d’abord il y a une petite boucle musicale, un petit climat qui va me permettre d’écrire, parce que je n’écris jamais sans son. Après, on rentre dans le lard de la musique, on rentre dans les arrangements et là, ça peut prendre plus ou moins longtemps. Il y a des morceaux, on fait 3 instrus avant d’être contents, puis y’en a d’autres d’entrée de jeu, dès la première ébauche, ça nous convient , on garde ça et on explore un peu plus loin pour finir le titre, quoi.

D’où tires-tu ce goût pour le réel ? D’où te vient cette inspiration ?
Je pense que ce sont aussi les influences artistiques qui m’ont vraiment touché quand j’étais plus jeune et qui me parlent toujours d’ailleurs. Moi, les plumes et les artistes qui vont me toucher, je vais pouvoir me reconnaître dans ce qu’ils décrivent, dans leurs pensées, dans leurs coups de gueules, leurs histoires. En gros, ce sont des clefs de lecture sur le monde et moi c’est ça que j’attends de la poésie. C’est-à-dire que j’aime la poésie quand elle a les pieds collés dans la réalité. Elle peut être plus ou moins métaphorique mais il faut que ça me parle d’ici et maintenant, tu vois ? Moi, mon énergie quand j’écris, c’est une énergie qui est contre. Contre l’industrie du divertissement, contre ce capitalisme exacerbé, contre la facilité… J’essaye d’être le plus exigeant possible. Et d’abord par rapport à moi. Quand j’écris, c’est d’abord une torture. Je suis sans-pitié avec moi-même. Avant de finaliser un texte et de me dire « Ok, ça me représente », ça peut mettre plus ou moins longtemps. Mais au final, c’est ce que je dis dans un morceau qui s’appelle Décalé, le temps que tu mets à écrire, il importe peu, ce qui importe, c’est le rendu final. Alors après, qu’il ait été écrit en deux/trois jours ou trois mois, on s’en fout.

Pourquoi t’exprimer par le biais du rap ?
Le rap, c’est mon entrée dans la musique. Parce que je devais avoir treize ans quand je suis rentré dans le rap. Dans la cité dans laquelle j’habitais, c’était la musique des grands frères, tu vois ? Puis moi, ça m’a tout de suite touché parce que ça décrivait ce que je vivais. Les conditions de vie, les états d’âme, les colères, les peines, les joies, cette ambiance de quartier… Je me reconnaissais pleinement dans ce que cette plume du bitume décrivait. A tel point qu’à un moment donné t’en as gros sur la patate donc tu commences à écrire quelques textes juste comme un exutoire, parce que t’as un trop plein et que t’as envie de le poser. Puis après, Il y avait des MJC, on nous avait mis des platines, on a commencé à mettre ces textes-là en musique, sans trop d’ambitions mais juste pour le kif. Et de fil en aiguille on s’est professionnalisé et on en arrive à ce troisième album de la Canaille. Voilà. Mais ce n’était pas un choix d’entrée de jeu. Je ne me suis pas dit à un moment donné « Okay, j’vais en vivre. » d’abord c’était avant tout un besoin de lâcher les choses sur papier. Ça fait du bien de les cracher, ton fardeau s’allège

Et le rap est le meilleur moyen d’expression pour ça ?
Moi, ce que j’aime dans le rap, c’est que c’est quelque chose qui est propre aux quartiers populaires. C’est propre à nous. Quand je dis nous, ce sont tous ceux qui sont issus des quartiers populaires. Et j’aime bien ça. J’attends du MC qu’il me redonne de la dignité. C’est-à-dire que quand il monte sur scène, je veux me reconnaître dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait. Et puis j’aime le texte, forcément, c’est la raison pour laquelle je suis rentré dans le rap, mais j’aime aussi le groove. Cette rythmique, tu vois [Il claque des doigts] cette façon de bouger de danser, le côté un peu crade, le côté « on a jamais fait de solfège, mais on fait du bruit quand même avec des machines, on se démerde. » Je pense que je serais né dix ans avant, j’aurais été punk. Pour moi, le keupon et le peura, c’est la même énergie de base, c’est « Fuck ! ».

Dans une interview pour Rue89 avec le guitariste Serge Teyssot-Gay , tu disais ne plus te reconnaître dans la musique engagée actuelle car elle avait perdu cette notion revendicatrice.
Ça c’est la retranscription des journalistes, je n’ai pas dit ça. Ce que je pense c’est qu’effectivement, dans le rap ce qui est mis en avant, mais ça c’est propre à toutes les musiques, ce n’est pas la qualité. Si tu veux de la qualité, si tu veux du contenu et de la forme, c’est les projets que tu dois chercher, tu dois être curieux.

Mais elle existe encore, cette scène subversive et révoltée ?
Ah bien sûr ! Simplement, ce n’est pas du tout celle qui est mise en avant. Là où est le problème, c’est que l’on est dans l’hégémonie de la culture du divertissement. Moi ça ne me dérange pas qu’il y ait du divertissement bête et méchant mais ce qui me casse les couilles c’est que ce divertissement écrase tous les autres styles de musique, toutes les autres propositions artistiques. Et du coup, tu n’as plus de moyen de t’exprimer. Et ça c’est une dictature. Je m’élève contre ça ! Après, qu’il y ait une proposition artistique pour ceux qui ont fini leur journée de travail et qui ont envie de se détendre, sans souci ! De toute façon, la musique est là pour ça. Il y a plein de styles, c’est fait pour plein d’oreilles différentes. Mais là, en ce moment, on est vraiment dans une dictature de ce divertissement-là. Si tu ne te places pas comme ça, putain c’est la guerre pour avoir de la visibilité. C’est ça qui est insupportable.

C’est ce que tu dis dans des morceaux comme Salle Des Fêtes ou Décalé.
Ouais exactement ! Ce que je dis, c’est que je n’en ai rien à foutre. Je suis décalé, entièrement, sans réserve. Vous avez beau continuer à faire vos saloperies, je ne vais pas craquer, je ne veux pas rentrer dans cette direction-là. Alors que je sais que ça aurait pu être beaucoup plus facile de défendre un projet quand t’es dans un truc consensuel. Forcément, quand tu as un projet subversif, il ne faut pas t’attendre à ce qu’on te déroule le tapis rouge.

Interviews Rappeurs

JP Manova – Dans « les coulisses » de « Longueur d’onde »…

Son parcours ressemble à celui d’une étoile filante croisant les autres, bien installées dans le décor depuis des années. JP Manova n’est pourtant pas l’un de ces MC’s tombés de la dernière pluie ! Un freestyle devenu incontournable pour la compilation Sang d’encre, aux côtés de La Rumeur et du Téléphone Arabe, un couplet posé sur J’éclaire ma ville de Flynt, une collaboration étroite avec Rocé sur son dernier album, quelques apparitions soignées sur divers projets (Liaisons dangereuses, Explicit XVIII, Hall School…), en plus de 15 ans, l’étoile a parcouru son chemin et gagné la reconnaissance sans attirer tous les regards sur elle. Alors forcément, la sortie d’un titre et d’un clip par cet « artiste de l’ombre » est un événement engendrant un grand intérêt ! L’abcdr du son, dont Zo était présent sur le tournage de ce clip, publiera bientôt une longue interview du MC et nous a déjà relayé un beau dossier pour annoncer son retour. En attendant, JP Manova a accepté de nous raconter la petite histoire de ce morceau, prélude au réveil d’un maître d’œuvre qui ne s’est jamais vraiment endormi.

Une copie devenue originale

« Je n’avais pas spécialement de désir de sortir de l’anonymat mais je n’ai jamais arrêté de faire de la musique depuis toutes ces années, du coup je me retrouve avec l’équivalent de plusieurs albums sur mon disque dur ! Mais je ne regrette pas d’avoir attendu et je prépare actuellement des morceaux tout frais ! C’est un moment favorable pour sortir des choses… »


« Longueur d’onde » est donc le premier né d’un projet qui prendra la forme d’un EP 9 titres dans quelques semaines. L’anciennement nommé JP Mapaula a enflammé les esprits avec cette première mèche allumée, qui se révèle être, dans sa version d’origine, une face B du titre Numbers on the board de Pusha T, produit par Kanye West. « L’idée est partie de Corrado, qui m’a proposé de présenter mes diverses apparitions avec le projet « Built to last », raconte JP Manova, « il m’a envoyé l’instru de Kanye West, j’ai écris un texte et on est partis faire le clip à Toulouse ». Mais perfectionniste dans l’art et dans l’âme, JP Manova ne se satisfait pas de ce premier résultat. « On n’avait pas assez préparé notre coup et on est donc repartis faire un clip à Paris ! On a intégré les deux danseuses, Lady Ny et Yessenia Al, et j’ai appelé quelques potes qui ont accepté de venir ».

Les potes en question : Rocé, Flynt, Ekoué, Daddy Lord C, Deen Durbigo et MC Solaar ! « J’ai rassemblé des personnes avec lesquelles je travaille ou avec lesquelles j’ai tissé de vrais liens d’amitié, il n’y a pas d’apparitions de courtoisie ! ». Le clip est rapidement monté par Pilou Guetta (qui a monté notamment le clip Assis sur la lune de Rocé), mais l’histoire ne s’arrête pas là et JP Manova en dévoile la partie la plus intéressante : « On a mis des versions bêta sur Youtube et le service de protection des droits a grillé la face B ! On a demandé les autorisations à la boîte de Kanye West qui ne nous a pas répondu. Du coup je suis allé chercher le sample qu’il avait utilisé pour faire le son et je me suis rendu compte qu’il avait juste pris une boucle. J’ai repris la boucle et j’ai produit quelque chose à ma sauce en gardant quand même le même esprit vu que ma voix était déjà posée ! Pilou Guetta s’est arraché les cheveux lorsque je lui ai dit que j’avais refait le son. La veille de la sortie du clip, on était encore sur le montage à deux heures du mat’ ! Pilou a fini l’étalonnage quelques heures avant la sortie… ».

Au final, Longueur d’onde est donc devenue une création originale, première pierre posée d’un nouvel édifice musical qui pourrait bien, à son tour, briller rapidement dans le décor. D’autres pierres devraient d’ailleurs être posées rapidement, et l’une d’entre elles – le clip « Is everything right ?? »  tourné lors de la Fashion week 2014- n’a pas attendu la publication de cet article pour atterrir sur la toile récemment. Quant à l’envie de monter sur scène, elle se fait également ressentir, depuis que JP Manova en écume régulièrement avec son ami Rocé, pour la tournée de Gunz N’Rocé. Après un premier rendez-vous déjà conclut avec le public, à l’occasion de la soirée de lancement du festival « Terre Hip Hop » à Bobigny, une deuxième date est programmée, le 14 mars prochain, aux Mains d’Oeuvres de Saint-Ouen.

Interviews Rappeurs

[Interview] Caballero x JeanJass : « Si ça ne paye pas, on fera autre chose ».

C’est à l’occasion du concert de Lomepal au Petit Bain le week-end dernier que nous avons pu nous entretenir avec Caballero et Jean Jass, les deux MC belges ayant fait le voyage de Bruxelles jusqu’à Paris pour soutenir leur pote et rapper quelques titres de leurs derniers EP respectifs. L’argent, le public rap, Jul… Entretien plein de lucidité avec deux rappeurs qui gardent la tête sur les épaules.

Salut les gars. Le voyage jusqu’en France s’est bien passé ? J’avais lu dans une interview que vous vous déplaciez en train et en covoiturage. C’est toujours le cas ?

Caballero : Plus en covoiturage qu’en train.

Jean Jass : On a plus ou moins essayé tous les modes de transports existants.

Caballero : Mais celui qui est finalement le plus resté, c’est le covoiturage.

Jean Jass : Quand t’es en petit nombre et que tu n’as pas le permis comme Arthur et moi, c’est la meilleure solution.

Jean Jass, ça me fait penser à ce que tu dis dans le freestyle JJnédit précédant la sortie de ton EP, « souvent mon père me parle de voiture, j’y pense chaque fois qu’il y a du monde à Charleroi Sud ».

Jean Jass : Ça donne une rime drôle, mais en vrai j’aimerais pouvoir rendre service à mes parents, tu vois ce que je veux dire. Donc en vrai il faudrait que je passe mon permis. Mais j’ai déjà la théorie (= le code en Belgique), attention.

Caballero, j’ai écouté ton dernier EP, Le pont de la Reine. Dans le titre éponyme, j’ai l’impression que tu expliques qu’aujourd’hui malgré des couplets d’anthologie, tu n’es pas récompensé financièrement en rapport avec le temps et la sueur que tu as mis dans ta musique.

Caballero : Exactement. Bah en fait avec Pont de la reine, j’ai voulu faire un morceau d’introduction qui explique ma pensée le mieux possible. Premièrement, Pont de la Reine, c’est la traduction littérale de Queensbridge (quartier de New-York). Donc ça parle de ma référence ultime dans le rap, que ce soit au niveau des ambiances, de la musicalité ou des artistes. Je voulais déjà rendre hommage à ça. Après, c’était aussi une grosse métaphore. Une sorte de ligne du temps avec le pont, et la reine qui est ma musique. C’est un peu mon aventure dans la musique. Si on arrive au bout sans que le pont s’effondre, on aura gagné. Et les gens vont kiffer ou pas, mais ce que je dis aussi, c’est que ce n’est pas uniquement Queensbridge comme ambiance. La ligne du temps, elle m’a fait rencontrer d’autres influences, d’autres choses que j’avais envie de tester. C’est pour ça que sur Mérité ou Relax, je me suis un peu écarté de ça. Je le dis dès le premier morceau, comme ça je m’en lave les mains.

Mais du coup, si tu penses ne pas arriver de l’autre côté du pont et réussir, tu penses arrêter le rap ?

Caballero : Bien sûr. Ça c’est sûr et certain. Je pense que les gens doivent vraiment se rendre compte de ça. Je te le dis à toi et il ne faut pas le prendre mal, mais ce n’est même pas une question qu’il faudrait poser au final. Si je ne gagne pas d’argent avec ça, qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre à part arrêter cette activité ?

Tu ne fais que du rap dans ta vie ?

Caballero : Je ne fais que ça. De toute façon, si tu entends autant parler de moi… Si tu fais ce boulot à mi-temps, c’est sûr que tu ne peux pas donner la même énergie. Si déjà en donnant toute ma force, Je n’arrive pas à en vivre, imagine si j’ai un taf à côté…

On entend pourtant certains artistes dire qu’ils cumulent deux activités en même temps.

Caballero : Tu peux. Mais on m’entendra beaucoup moins, on me verra beaucoup moins, j’aurais beaucoup moins le temps de faire des clips. C’est mathématique. Mais c’est bien finalement que tu poses cette question. Car c’est vraiment un truc que les gens devraient avoir en tête. Ils nous voient sur Youtube, etc. Mais nous derrière, c’est la galère. On essaye de survivre comme tout le monde. Ce n’est pas parce qu’il fait beau et qu’on est en Espagne dans un clip (ndlr le clip de Mérité) qu’après je rentre chez moi en Mercedes. Loin de là. Si ça ne paye pas, au bout d’un moment, j’irai faire autre chose. Après ce n’est pas pour ça que j’arrêterais à tout jamais. Mais c’est sûr que tu me verras dix fois moins.

Ce que tu dis, ça me fait aussi penser à ta phase « avant j’avais peur de crier faut de l’argent » de la track Pas De Refrain ». Est-ce que ça rejoint un peu cette idée ? Ton rapport à l’argent a évolué ?

Caballero : Ouais ça a évolué. Avant, j’étais plus naïf. Je me disais que je ne faisais pas ça pour l’argent en vrai, que j’allais juste embellir l’art de la musique. Mais quand ça fait longtemps que tu fais ça, au bout d’un moment…

Jean Jass : Tu pratiques ça comme un métier.

Tu t’es donc lancé dans le rap de façon spontané et un peu naïve, et aujourd’hui, tu découvres le revers de la médaille.

Caballero : Exactement. Au départ, tu te dis que ce n’est pas important l’argent. Mais le temps passe, et tu te dis qu’en fait si, c’est très important.

Jean Jass : C’est aussi important si tu veux un son de bonne qualité.

Caballero : Si tu veux payer un mix, un studio, un ingénieur-son qui vient, un gars qui fait ton clip… Tout est payé dans cette merde.

Jean Jass : Pont de la Reine, on l’a enregistré avec le Seize, et on l’a mixé nous-même. Avec les heures et l’amour qu’on a mis dedans, on a fait ça comme si on faisait un boulot de professionnel. Moi, je passe tellement de temps à enregistrer des gens et à faire des instrus, que si je n’ai pas un minimum de revenus financiers, je vais droit dans le mur. Moi j’ai exactement le même avis que lui sur la question. Après c’est juste que je n’ai pas ressenti le besoin d’en parler.

Beatmakers Interviews

[Interview] Al’Tarba : « Empiler les samples, c’est ma façon de travailler. »

Son nom est Al’ Tarba aka Jules pour les intimes. Fournisseur de beat pour une bonne partie de l’underground français depuis près de 10 ans, il donne désormais avec brio dans le hip hop instrumental. Il était temps que nous le rencontrions. Plongée dans un univers de beats et de samples.

Quelle est la collaboration la plus marquante à tes yeux ?

Comme ça, je dirais Ill, Ony et Raekwon du Wu-Tang. En français, je te dirais Swift Guad. Mon groupe, Droogz Brigade et Lino

Lino ? Je ne savais pas que t’avais bossé avec lui.

En fait, il a fait un couplet avec un groupe qui s’appelait Cortège à l’époque et donc oui, il y a un couplet de Lino sur une de mes prods’.

Ce qui nous étonne dans ta liste, c’est l’absence de VALD. On a cherché et on ne trouve pas de traces de collaboration entre vous. On a mal cherché ou ça n’a jamais eu lieu ?

VALD, je le connais bien… On traine souvent ensemble. Mais figure-toi qu’on n’a jamais fait de son ensemble. Pour Vald, j’attends vraiment d’avoir l’instru qu’il faut. Avec mon groupe, on avait fait un son où il a failli poser. Cela ne s’est pas fait finalement mais c’est sûr qu’un jour, il y a un morceau qui va arriver avec lui. Encore faut il qu’il me valide une prod!

C’est assez bizarre parce que vos deux univers collent parfaitement.

Même lui me dit « Gros, ça fait je ne sais pas combien de temps on se connait et tu ne m’as jamais lâché une prod ». Il me met la pression, je crois qu’il m’impressionne en fait (rires). Ça fait un moment que je n’ai pas fait de prod’ hip hop puisque je suis plus tourné vers l’abstract. Par contre, j’ai pas mal d’instru pour mon groupe. On a quasiment tous les sons de prêt. Après ça, je vais surement me ré-ouvrir aux collaborations. Vald, c’est probablement un des premiers avec qui je bosserai.

Nos lecteurs ne s’en apercevront pas mais tu viens de Toulouse. Quel est l’état de la scène toulousaine ?

Tu as dû entendre parler de Furax. Au niveau de Toulouse, ça bouge énormément en termes de hip hop. T’as une salle comme la Dynamo dont tous les mecs de l’underground peuvent te parler. Demande à des mecs comme Paco ou Swift voire même L’indis. Je suis quasi sûr que tu n’auras que des retours positifs. C’est vraiment une super salle qui va malheureusement fermer bientôt à cause d’un hôtel qui va s’installer au-dessus. Ça risque de foutre un sacré coup.

Avant cela, tu nous parlais d’Ill Bill. Quand on fait une recherche sur toi, on lit beaucoup de référence à Nécro que tu cites comme ta principale influence. En France, l’horrorcore est un genre assez confidentiel ou tout du moins peu de gens s’en réclame. Si tu devais définir le genre en quelques mots ?

Pour moi, Nécro ce n’est pas de l’horrorcore. L’horrorcore, c’est des mecs comme Escham ou Three Six Mafia à l’ancienne où t’avais une grosse ambiance gothique. Necro a parfois des samples assez jazzy. C’est plus morbide qu’autre chose. D’ailleurs, il qualifie ça de death-rap.

La différence entre death rap et horrorocore semble quand même assez mince.

C’est des étiquettes donc la frontière est toujours mince. Après l’horrorcore, c’est surtout le groupe de RZA [Gravediggaz] où il revendiquait vachement cette étiquette-là. L’horrorcore pour moi, c’est vraiment des mecs comme Escham et son groupe Natas qui ont vraiment crée le genre mais aussi le nom. Je n’ai pas accroché plus que ça à ces trucs… Moi, mon truc c’est vraiment Necro. Necro donne dans l’horreur parfois mais ce n’est pas uniquement ça. C’est aussi le cul, la violence, l’humour sarcastique. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours de l’humour d’ailleurs (sourire). J’adore ces sons parce qu’il peut faire un beat psychédélique genre année 70, un truc jazz où il va rapper tranquillement ou un gros son avec un piano bien morbide. Il varie beaucoup et c’est ce qui le rend intéressant.

Aux Etats-Unis, Necro est un producteur assez respecté. A juste titre, parce que c’est un grand artiste. Pourtant il est assez sous-estimé en France. Tu es un des rares à le citer comme une influence majeure.

Necro, ce n’est pas un délire pour puristes même s’il a parfois des productions assez classique genre jazz qui sont assez lourdes. Pour moi, c’est le meilleur beatmaker dans le rap « pur et dur ». C’est le seul mec dont je connais toute la discographie et dont je suis l’actualité. J’ai d’autres influences en rap comme Jedi Mind Tricks. Je parle de l’époque où ils étaient encore Jedi Mind Tricks, c’est-à-dire quand Stoupe était encore à la production.

Si tu devais présenter Necro à un mec qui ne le connait pas, tu lui conseillerais quel disque ?

Underground, le classique (sans hésitation). Ah, non merde c’est un morceau ça…. Bah tu as Gory Days qui est son deuxième.

Perso, j’avais «  I Need Drug » en tête.

Ouais, c’est celui que je cherchais. Underground, c’est mon morceau préféré dans I Need Drug.
T’as la compilation Brutality part INecro fait toutes les productions et où les mecs de son label comme Ill Bill viennent rapper. Là-dessus, tu as des grosses tueries. Niveau instrumental, je pense que c’est là qu’il a fait ces meilleurs sons.

D’autres influences à part ça ?

Beaucoup de RJD2 et Dj Shadow. En ce moment, j’écoute beaucoup Clutchy Hopkins et Madlib.

Au vu des noms et du style plus abstract, je dirais que ce sont tes influences du moment. Si tu devais citer tes influences plus lointaines et par lointaine, j’entends celle qui t’ont poussé à devenir beatmaker, ce serait quoi ?

J’ai toujours écouté ces trucs un peu plus abstract même si c’est vrai que j’en écoute plus depuis 4-5 ans. Pour les influences qui m’ont amené au son, je dirais clairement Necro, RZA et Dj Mugs. C’est mes influences rap pur et dur. J’écoute pas mal de style différent. Par exemple, j’écoute aussi de la trap et des sons d’Atlanta. Je suis assez curieux de voir ce que donne un gars comme Kaaris. J’y vais doucement, genre morceau par morceau mais y’a des trucs là-dedans qui me font kiffer.

A première vue, quand tu écoutes ce que je fais, je suis sur des tempos plus lents. Mon style est plus boom-bap mais je ne suis pas fermé. J’essaye de rester ouvert à d’autres styles et sonorités. J’écoute aussi bien de la techno que de l’électro en passant par du punk-rock. Je me fous un peu de l’étiquette tant que le son me plait.

T’as commencé par faire du punk-rock d’ailleurs non ?

Pas exactement. J’ai vraiment commencé par le rap. J’avais un groupe quand j’avais 9 balais. Je ne suis pas sûr qu’on puisse appeler ça un groupe mais on s’amusait à kicker pour les kermesses et les trucs comme ça. J’ai une vidéo d’ailleurs que je sortirais peut être à l’occasion. Je la balancerai peut être en plein milieu d’un concert (rires)

T’étais un enfant prodige en fait. Le premier beat que t’as placé, tu avais quel âge ?

Prodige ouai pas trop… Ca fesait plus pitié qu’autre chose mais on etait mignon! Je devais avoir 17-18 ans. C’était pour un album de Mysa qui s’appelait Les Poésies Du Chaos.
C’est lui qui m’a fait placer mes premières prods. A la même époque, Sir Doums m’avait aussi pris un beat. Il m’avait renvoyé le morceau fini mais il n’est jamais sorti. Je pense qu’il a dû voir que je n’étais pas encore capable de mixer mes morceaux. Pour te dire, je ne me souviens même plus de comment s’est faite la connexion avec Doums. Lui non plus ne doit pas s’en souvenir non plus.

On va parler de ton nouvel album qui s’appelle Let The Ghosts Sing. Il est sorti il y a quelques semaines maintenant. Est-ce que tu peux le présenter en quelques mots ?

Je pense que c’est mon album le plus sombre et le plus organique. C’est un album fantomatique d’où le titre. Je me suis permis d’aller plus loin dans le registre dub-électro-bizarre. Dub n’est peut-être pas le bon terme d’ailleurs.

Tu avais conçu l’album avant de signer chez Jarring Effect ?

Au départ j’étais juste en booking chez eux. La composition de l’album s’est faite en deux parties.
Après la sortie de Lullabies for Insomniac, j’ai fait énormément de morceaux. J’avais quasiment un album de prêt. Finalement, j’ai trouvé qu’il n’était pas assez bon donc beaucoup de morceaux sont allés sur une réédition de Lullabies. J’ai gardé trois ou quatre de ces morceaux et j’ai composé le reste de Let The Ghosts Sing. Ça m’a pris entre un an et demi et deux ans.

Qu’est-ce que ça t’apporte concrètement de bosser avec un label comme Jarring Effect?

Au niveau booking, déjà c’est intéressant. Je n’avais jamais travaillé avec un booker et c’est vrai que c’est plus facile pour trouver des dates. Avant, je faisais tout moi-même. C’est la première fois que je travaille avec des gens en dehors du hip-hop. Bosser avec un label comme Jarring, c’est une autre vision des choses et une autre façon de travailler. C’est forcément bénéfique. Travailler avec un label, c’est faire des concessions. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose mais je n’avais pas forcément l’habitude avant. C’est quelque chose qui s’apprend quand on te dit par exemple «  ce morceau ne devrait pas être dans l’album ». Ne serait-ce que discuter autour de ça, c’est un truc que tu ne fais pas quand tu es en autoprod’. Ils m’ont laissé beaucoup de champ libre. C’est toujours moi qui ai eu le dernier mot même s’ils m’ont donné pas mal de conseils. Au final, j’ai pu faire ce que j’ai voulu mais c’est une autre façon de travailler. Quand t’es en label, tu signes des contrats aussi. C’est la première fois que je signe un contrat. Je n’avais jamais signé de contrat de ma vie avant ça sauf des contrats de travail genre pour faire magasinier.

Interviews

Quand le rap rencontre Barbe Bleue.

Il était une fois… deux univers qu’un mur infranchissable avait séparé : le monde des contes et le monde du hip-hop. Nombreux étaient ceux qui les avaient exploré mais la frontière tracée entre eux semblait bien éternelle. Pourtant, un jour, quelqu’un osa défier l’ordre établi ! La frontière était brisée, le mur s’écroula pour laisser entrer les contes au pays du hip-hop. Sur l’Île de la tortue, fondée par Sarah Mathon et Dr Nivu, Barbe Bleue pouvait retrouver une seconde jeunesse, prenant le nom de Blue pour devenir le personnage d’un opéra-rap fusionnant les genres, entre hip-hop, théâtre, littérature et poésie. (suite…)

Beatmakers Interviews Rappeurs

[Interview] Darryl Zeuja & Hologram Lo : « On avait vraiment des ambitions communes. »

A l’occasion de la sortie de leurs projets respectifs, la rédaction a été à la rencontre d’Hologram Lo et de Darryl Zeuja. Autour d’un verre, entres bonnes vannes et propos de fond, nous vous proposons un entretien en immersion avec deux mecs cools.

Darryl, tu es très productif. Tu as fait ton solo, l’ep avec XLR, celui-ci. Quelle est ta méthode d’écriture ?

Darryl : Beaucoup d’amour. J’écris quand j’aime, j’écris ce que j’aime et ça marche plutôt bien. Après, il y a beaucoup de nuits blanches et beaucoup de travail. J’ai des délais de productions assez aléatoire, il n’y a pas vraiment de méthode précise.

Est-ce que Lo s’adapte à l’écriture de Darryl ? Ou est-ce l’inverse ?

Lo : Jamais je ne m’adapte à l’écriture de quelqu’un. Mes productions me font penser à un univers alors je propose.

Darryl : Sur ce projet, on a fait beaucoup d’arrangement après l’enregistrement. Des jeux de synthé, des cuts, des effets sur la prod’ etc. Ça permet de montrer qu’on a vraiment travaillé ensemble.

Et ça te permet aussi de donner la direction que tu souhaites.

Darryl : Oui, ça permet de donner toute une identité aux morceaux. On a joué là-dessus mais sinon c’est très basique.

Donc tu lui as envoyé les instrus et il a travaillé dessus ?

Lo : Oui, c’est ça. Souvent quand il passe à la maison, je lui fais écouter des prods. Parfois, 1995 n’est pas trop fan mais lui kiffe alors il prend.

Darryl : C’est un peu notre marché aux puces.

C’est Le Bon Coin de l’instru, en quelque sorte.

Lo : (Rires) C’est un peu ça, c’est chez moi. Parfois, je fais des prods pour Nekfeu, il n’aime pas alors je les donne à Areno.

Il n’y a jamais de chutes dans les instrus du coup ?

Darryl : Si mais les gens ne se rendent pas compte. On pense qu’on ne fait que ce qu’on voit mais pour un texte, il y en a dix derrière. Idem pour les instrus. C’est le côté frustrant du taf mais c’est comme ça pour tout le monde.

On sent vraiment un amour du rap chez vous, ça vous vient d’où ?

Darryl : Je ne sais pas comment te dire. Je pourrais te faire une longue histoire comme te le dire en deux mots. Il se trouve que, pour ma part, je suis tombé dans le peura à cause des sapes des Chicago Bulls, des clips de Brooklyn, des baskets, des supers sons etc etc.

Lo : Je vais faire court. Le PSG, le 113, Nicolas Anelka

Darryl : Il y a même des gens qui représentent le hip-hop malgré eux. Comme il dit Anelka ou même Ronaldinho sont super hip-hop. Si t’aimes Anelka, c’est logique que tu aimes le rap.

Est-ce que tu penses être dans la continuité avec cet EP ?

Darryl : Tout à fait. Déjà parce que je continue (rires). Plus sérieusement, à fond. Beaucoup de gens vont oublier la virgule XLR dans ma discographie qui est importante mais je pense que c’est totalement la suite. On a apporté de la nouveauté, on a enlevé quelques trucs qui ne servaient à rien. C’est la suite de ce qu’il y a avant et c’est l’avant de la suite.

Si on te dit qu’on a trouvé ça plus musical que tes projets précédents, tu le prends comment ?

Darryl : Eh bien, c’est un fabuleux compliment que je partage avec Lo car c’était une mission qu’on s’était donné d’apporter de la musicalité à ce projet. On voulait qu’on sente sa présence surtout quand je ne rappe pas. C’est pour ça qu’il y a des petits skits de films, on voulait qu’il y ait vraiment de la vie dans ce projet. Ça fait super plaisir, il faut que tu le saches.

Il y a donc une grosse influence de Lo.

Darryl : C’est l’influence de Lo mais je suis venu vers lui en donnant mes orientations. Si on a fait ce projet, c’est vraiment qu’on avait des ambitions communes. Lui voulait un projet de rap très musical où il aurait beaucoup de présence et moi j’en voulais un où j’aurais moins de présence, où je pouvais chiller un peu.

En parlant de chill, tu as ralenti ton débit.

Darryl : J’ai ralenti le débit, exact. T’es bon, t’es bon ! Ça fait plaisir que tu l’aies remarqué.

En même temps, c’est compliqué de ne pas l’entendre.

Darryl : Tu serais surpris de voir comment les gens écoutent du rap de nos jours.

Lo : Les gens veulent juste savoir la marque de sa casquette (rires).

Darryl : Non mais exact, bien vu. C’est un souci de compréhension parce que je mangeais beaucoup de syllabe et c’était compliqué sur scène.

A ce point ?

Darryl : C’est dur voire presque impossible. Après avec beaucoup d’entraînement, ça se fait. Mais c’est un peu wack d’avoir absolument besoin d’un backeur sur scène. Donc j’ai ralenti. Et puis d’autre part j’estime que ce que je dis est important même si ça fait un peu le mec qui se branle la bite. Je dis des choses qui peuvent servir à des gens, qui me servent à moi en tout cas.

Tu vas faciliter la tâche de Rap Genius.

Darryl : Le nombre de fois où je vois des gens qui écrivent des phrases qui n’ont ni queue ni tête et qui les scandent comme si c’était ce qu’on disait… Tu as envie de leur dire « mais ma gueule, ça n’a pas de sens ce que tu viens de dire. » Je ne veux pas me cacher derrière des pseudos-flottements parce que c’est la mode de rapper vite maintenant. Je n’ai rien à cacher et je marche au ralenti.