Affichage de 151 Résultat(s)
Interviews Rappeurs

[Interview] Alpha Wann – « Ma carrière solo est en parallèle de 1995. Je slalome. »

Alpha Wann, ce nom est devenu incontournable dans le rap français. Membre du groupe 1995 et du collectif l’Entourage, ce jeune homme de 24 ans trouve encore le temps, entre les tournées et ses diverses formations, de lancer son propre EP, Alph Lauren. Très attendu au tournant en solo, le rappeur à la rime aisée n’a pas déçu. Le Rap en France l’a rencontré. Sa timidité est frappante, mais sitôt que l’on parle de rap, sa langue se délie et il montre toute sa culture et sa fascination pour le hip-hop. Discussion autour d’un coca.

Es-tu content de la sortie de l’EP Alph Lauren et de l’accueil qu’il a reçu ?
Oui, je suis plutôt content. Les gens ont l’air d’apprécier donc je ne peux pas dire que je ne suis pas satisfait. Après, la sortie ne s’est pas passée sans encombre. Il y a eu des galères de distribution, des Fnac n’ont pas pu proposer le CD la première semaine. Une galère totale, les limites de l’indépendance.

Justement, tu as signé chez Believe. Tu peux nous en dire plus ?
Avec Lo, on a monté une structure, un label, qui s’appelle Don Dada Recording et on a sorti ce projet avec Believe. C’est juste un deal de distribution. Je leur ai apporté un produit fini à distribuer.

Comment as-tu travaillé sur l’EP ?
Je l’ai travaillé de manière différente, dans le sens où les deux feat sont assez vieux. Il y en a un qui date de 2011, c’est un des premiers morceaux que j’ai fait, celui avec Monsieur Nov et celui avec Infinit, je l’ai fait en 2012. Je suis parti à Nice pour l’enregistrer avec lui. Et le morceau avec Nov, je l’avais enregistré il y a très longtemps à l’époque où je bossais avec Kyo Itachi, on avait sorti un maxi vinyle, Mon Job, et j’avais gardé ce beat. Pour les autres morceaux, j’écris tout le temps. J’ai toujours des écrits. Je crois qu’il n’y a qu’un seul que j’ai fait d’une traite, L’Histoire d’un type bien, en une soirée et un matin. Et Bustour, je l’ai écrite dans le tour bus avec 1995.

Il est sorti en vinyle ?
Pas encore. On est en train de travailler la pochette avec Lo.

 Tu écris tout le temps, tu grattes sur des prods ou tu écris d’abord et tu vois après ?
J’écoute un son, un mec va dire quelque chose, ou je crois avoir entendu un truc, et après ça me donne une idée. J’écoute un son, ça m’inspire et après je coupe le son. Je peux aussi écouter un album entier et me dire à la deuxième ou troisième piste que j’ai envie d’écrire. J’écris surtout pour garder la forme. C’est spécial. Si tu as envie d’avoir toujours des écrits de haut niveau, il faut que tu n’arrêtes pas de les travailler. Ça demande du travail. Tu ne peux pas faire de l’avion pendant six mois et retourner en studio et être un champion.

Tu peaufines tous tes textes, tu les retravailles ?
Dans tout ce que j’écris, je dois en jeter 70 %. Pas parce que c’est nul, mais parce que parfois ça peut tourner en rond. Mais je le fais, je les écris parce que si ça se trouve, un jour j’aurais un truc qui va rimer avec ça. Ça peut permettre de trouver un nouveau truc donc je les peaufine tout le temps. J’enlève des choses. Dans un morceau, s’il y a quatre mesures en plus, je les enlève parce que je ne les trouve pas terrible. Il faut d’abord que je trouve ce que je vais dire, soit que je parte d’une idée ou d’une inspiration. Premier jet et j’y vais. Mais je laisse toujours murir trois-quatre jours. Pour mes morceaux à moi.

Tes structures de rimes sont particulières. Tu joues dessus ?
Avant, dans L’Entourage, quand on était plus jeune, on voulait tous être le plus technique. A force de faire ça, ça n’avait plus de sens, ça n’avait ni queue ni tête. On a voulu revenir à un truc plus sobre. Une fois qu’on fait ça, c’est là que l’on peut développer du style et de la technique. Je ne voulais pas que ça rime comme les autres, que ça tombe comme les autres. C’est devenu naturel. Ça vient tout seul ce découpage de mots. Je ne veux pas que ça tombe comme les gens s’attendent. Il y en a trop où je sais comment ça va tomber ou quelle va être la rime et ça me dérange. Pas avec tout le monde. Il y a une certaine façon de le faire. Il y a des gens qui prétendent un truc mais en fait ça n’a pas de sens. Alors que ceux qui ne prétendent rien et qui le font, ça le fait parce que c’est naturel. C’est brut chez eux.

Tu choisis tes instru en fonction de ton flow et de la manière dont tu vas poser dessus ou on pourrait t’entendre sur un style totalement différent ?
C’est totalement une question de goût, si j’aime ou pas. Souvent, les trucs que j’ai utilisés, je l’ai su dès le début. Il y a des trucs que j’écoute plein de fois, que je sélectionne et que finalement je trouve nuls. Je me demande juste si j’aime.

Tu enregistres où ?
On a un studio avec 1995 donc ça me permet de le faire.

Qui sont tes producteurs préférés ?
Comme je sais ce que je veux faire, et que je travaille avec des gens qui savent ce que je veux faire, tout se passe bien. Mais il y en d’autres que j’aime beaucoup comme IKAZ, Lubenski. Mais pour moi, c’est plus VM The Don, qui a produit quatre sons sur l’EP et Lo. Sinon, il y a 1up World, Kyo Itachi aussi. Je suis encore à la recherche de ce que je veux faire. Il faut que je trouve une ambiance, une marque. Un grand rappeur, à un moment, ça doit aller avec un genre. Snoop, quand c’est arrivé, ça allait dans un style. Il faut que je trouve cette sonorité particulière encore. Il ne faut pas non plus que ce soit trop original sinon c’est nul.

Interviews Rappeurs

[Interview] Hippocampe Fou : « Je commence à avoir une bonne synthèse de la forme et du fond. »

Tu peux nous raconter doù vient le mec derrière lhippocampe ?
La légende veut que je sois le fils de Poséidon et que j’aie grandi sous la mer. C’est la version officielle, celle que je donne en interview d’habitude. Mais en vrai, je suis juste un passionné de cinéma qui a suivi un parcours classique.

Tu aimes le cinéma depuis tout petit ?
Oui, c’était ma vraie première passion. La musique est venue plus tard. Je le précise parce que mon père est musicien et qu’on pense que ça vient naturellement. Mais non, j’étais à fond dans le ciné.

Donc tu arrives à la musique plus tard.
Exactement. Quand j’ai commencé mes études de ciné en fait. J’ai découvert le rap via Ghost Dog de Jim Jarmusch et ça a été un déclic. Dans ce film, il place la culture des films de mafieux, celle des samouraïs et le hip-hop au même niveau. Ça m’a tout de suite intrigué. Je retrouvais quelque chose dans les rythmiques et je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça.

Cest plutôt rare de voir un rappeur venir au rap tard. Généralement, ça prend à lenfance ou ladolescence puis on souvre à dautres cultures après.
J’aime le rap depuis longtemps mais je ne vais pas m’inventer une vie, le rap n’a jamais été pour moi une porte de sortie ou une manière d’extérioriser des frustrations.

C’était bien lidée de ma question, cest peut-être le signe dun changement d’époque.
J’ai commencé à écrire et à m’intéresser au rap quand TTC, La Caution etc. ont commencés à sortir. Ça n’a rien à voir avec eux mais c’était le début d’un courant alternatif. Il y avait aussi Java, d’ailleurs. Donc pour moi, c’était déjà possible et envisageable de faire du rap qui parle de tout et n’importe quoi.

On pouvait déjà sortir de l’étiquette quartier si on fouillait un peu.
Voilà, tu pouvais t’éloigner des codes. Après, il y a eu l’essor de ce gangsta-rap au cours des années 2000 qui ne me parlait pas du tout. C’était trop froid, même au niveau des productions. On dirait l’ancêtre de la trap mais sans ce côté bounce qu’il peut y avoir maintenant.

Cest étrange parce que le rap racailleux des années 2000, hormis quelques albums, est rejeté presquen bloc maintenant alors quil a vraiment phagocyté le mouvement à une époque.
C’est vrai. Mais je respecte tous les artistes et tous les genres musicaux. Pourquoi on pourrait faire du rap un peu étrange et marrant et pas du gangsta rap ? Mais c’est vrai qu’on ne voyait que ça à une époque et c’est vraiment resté ancré dans l’opinion publique.

Puisquon parle des années 2000, je crois savoir que tu es venu au rap par le slam.
Oui, mes premiers textes étaient des a cappella dans des soirées slams. Je me testais et je faisais des flows déjà rapides. C’est un bon galop d’essai parce que tu vois tout de suite ce qui marche ou non. Je refais des soirées slams maintenant et ça me met une pression que je n’avais pas avant. Je fonctionne par période. Parfois je bosse le fond : j’ai besoin de défendre mon univers et de développer mon discours. Puis après tu vas te prendre une claque d’un rappeur et tu vas te rappeler que le flow est à la base du genre. Donc tu vas partir sur des textes à flow très technique. Le but, c’est d’arriver à allier le fond et la forme.

Cest une émulation perpétuelle.
C’est ça. Je sais que j’ai progressé, je commence à avoir une bonne synthèse des deux. En live, il y a des moments où je suis dans la technique pure et les gens crient. Ils apprécient l’exercice comme un batteur qui ferait un solo. C’est jouissif comme sensation. Sur mes nouveaux aqua-shows, je veux faire la même chose mais en offrant plus de thèmes et des morceaux plus calmes par moment.

Lavantage dun texte très technique, cest quil nécessite plusieurs écoutes pour lappréhender correctement.
Oui mais pour faire ce genre de textes, il faut bien sélectionner ses syllabes. Certaines sont bannies tout simplement parce qu’elles sont très dures à prononcer rapidement. Alors tu choisis des consonnes faciles à enchainer et forcément tu ne peux plus dire ce que tu veux. Tu es tributaire de l’enchaînement des sonorités.

Tout en gardant une certaine musicalité quand même. Cest Orelsan qui disait que « si tas du flow et pas dparoles, tu seras jamais plus fort que Scatman ».
A l’heure actuelle, des gars comme lui et Stromae sont vraiment au-dessus du lot. Ils ont réussi à aller au-delà du rap sans faire dans le niais. Il y a quelque temps, j’avais envie d’aller voir Orelsan et de lui dire « tas vu, jarrive à rapper super vite et en plus jai des paroles. » Mais c’est pas mal aussi de faire des textes sans prouesse technique, juste pour le texte. C’est là où Orel est fort, il n’y a pas d’esbroufe chez lui. Il ne se cache pas derrière sa technique.

Interviews Rappeurs

[Interview] Rocé : « Je n’attends pas la médaille ou la bonne note des critiques, je suis au-dessus de ça. »

Alors que la pluie commençait à s’abattre sur la fête de l’Humanité, ROCé a répondu à nos questions. Une interview courte de quinze minutes, mais grande de sujets. Le bonhomme nous parle de live, mais bien au delà de conscience politique, de la musicalité des scratchs, et des pièges des retournements de veste.

Comment as-tu commencé à rapper en public ?
ROCé : J’ai commencé la scène assez jeune, dans des lieux associatifs, les fêtes de quartier. Et puis, j’ai fait ma première tournée assez tard, en 2005/2006, j’en étais déjà à mon deuxième album. Après j’ai écumé aussi pas mal de scène en France et aussi à l’étranger, en Allemagne, en Hollande, en Algérie…

Durant ces voyages, tu as pu te rendre compte des différences de réaction des publics ?
ROCé : Le public est à l’écoute, il est assez réceptif. Nous, sur scène, on fait en sorte d’avoir une bonne dynamique, d’être toujours en interaction avec le public. De faire ça vraiment comme une performance, un travail qui mérite un entraînement pour pouvoir être mis sur scène. A partir de là, le but c’est de laisser les gens un peu bouche-bée. Montrer une performance, comme il peut y avoir la même logique dans la danse. C’est à force d’entraînement qu’ils arrivent à faire leurs figures. C’est pareil, on peut faire ce que l’on veut à force d’entraînement. L’idée, c’est de bluffer le public.

Tu parles d’entraînement, comment se prépare une tournée ?
ROCé : Avec DJ Karz,  l’idée c’est d’être en interaction. Parfois il va prendre le micro, d’autres fois il va couper des morceaux pour mettre ma parole en avant. On n’est que deux sur scène. A une époque, j’ai eu un live band, mais aujourd’hui le but c’est de montrer qu’à deux on peut faire des choses aussi grandes qu’avec un groupe. A l’heure actuelle, la plupart des gens vont mettre un live band en cache-misère. En plus, certains programmateurs sont assez réticent au fait qu’il n’y ait qu’un rappeur et un Dj. C’est vraiment de l’interaction, le but c’est de mettre la barre très haute, de manière très épurée. C’est assez représentatif de ma musique. C’est assez épuré, avec beaucoup de lyrics. Il faut surtout que ça envoie.

Justement, les détracteurs disent souvent que le rap n’est pas musical.
ROCé : C’est question de goût. Moi, je pars du principe que pour changer les enjeux de la musique, il faut de la pureté et pas de la fusion. Ça veut dire que si demain je ramène une chanteuse ou un chanteur, avec des violons de musique classique, pour montrer que je suis ouvert d’esprit et que je fais de la fusion, je change quoi ? Au final, ça va être juste pour avoir les applaudissements bien-pensants des critiques. Mais je ne vais changer aucun enjeu. On change les enjeux avec la pureté même, l’essence du mouvement . Que ce soit dans le cinéma, dans la musique etc. La poésie c’est la poésie. Si les gens n’aiment pas la poésie, ce n’est pas parce qu’on va mettre des notes de musique, qu’on va faire évoluer la poésie. La poésie restera la poésie, on aura juste fait de la fusion. Le rap c’est pareil. Par exemple, on ne dit pas « les percussions c’est pas de la musique parce qu’il n’y a pas de tonalités perceptibles comme les tonalités d’un piano.» Les percussions restent de la musique. Le rap, c’est de la musique. Je n’attends pas la médaille ou la bonne note des critiques, je suis au dessus de ça.

D’ailleurs, ce qui t’importe c’est le retour du public ?
ROCé : Déjà, ça va commencer par moi car ça va être un accomplissement personnel. Puis bien sur, ça va être le retour du public. Comment le public perçoit l’énergie du disque ? Puis c’est surtout le long terme. Je fais une musique qui n’est pas facile, avec beaucoup de texte. Sur le court terme, même les gens qui me connaissent n’arrivent pas à donner un avis sur mes albums. Ça ne les intéresse pas. Je suis dans une temporalité qui est à l’écart de la temporalité mainstream dans laquelle on vit.

Quand tu es en phase de composition, penses-tu déjà au live ?
ROCé : Avant non, mais pour cet album ça a été le cas. C’est vrai qu’à un moment, on se pose la question « est ce qu’on a envie d’écrire des textes trop parsemé de réflexions ? » Du coup, comment on le fait sur scène? Les gens n’ont pas le temps d’écouter, ils ne peuvent pas bouger leur tête. C’est assez frustrant d’ailleurs. Il y a aussi un côté énergie que l’on veut donner, d’une manière assez généreuse. Si les textes sont trop remplis, on n’y arrive pas. C’est la symbiose des deux que j’essaye de faire.

Tu as fait ta première tournée après ton deuxième album. Pourquoi ça ?
ROCé : J’ai toujours fait des concerts, je n’ai jamais arrêté. Mais par contre, ce n’était pas dans une organisation vraiment construite de tournée. C’était des concerts à droite, à gauche, parsemés. A partir du deuxième album, j’étais avec des tourneurs et on a pu vraiment partir sur une tournée.

Aujourd’hui tu es à l’Huma, qui est à l’origine un festival engagé. Le choix de tes dates, est il important ?
ROCé : En toute honnêteté, je ne suis pas fan des programmations de l’Huma, parce que je ne les trouve pas assez engagées, elles n’ont pas assez de caractère. Maintenant je suis très content d’y jouer, parce que c’est quand même une superbe exposition et qu’il y a l’histoire de ce qu’est la fête de l’Huma. Je trouve ça juste dommage qu’ils ne suivent pas la cohérence de ce que c’est. Mais je suis content d’y être pour ce que ça représente.

Interviews Rappeurs

[Interview] Espiiem : « Je suis en train de me bâtir, de me construire. »

Espiiem, un nom bien connu dans le rap game. Salué pour son talent, son éloquence évidente et son savoir encyclopédique, il apparaît dans la plupart des coups de cœurs de passionnés. Son mini-album Haute Voltige est sorti en début de mois et a confirmé combien il fallait désormais compter sur Le Noble. Doux, posé et réfléchi, l’homme est à l’image de son flow. Pendant l’interview, on découvre un artiste sincère, en phase avec sa musique et avec qui il fait bon discuter. Espiiem, un nom qui gagne à être connu en dehors du rap game.

D’où viens-tu Espiiem ?
Mon parcours est un peu sinueux parce que je suis issu de la formation Cas de Conscience qui est une formation très rap, des grosses sonorités New Yorkaises, assez sombres. Puis, j’ai basculé vers un autre groupe, qui est The Hop, qui est à mi-chemin entre Soul, Jazz, avec beaucoup de musiciens et une chanteuse. Et en solo, je fais un peu le lien entre ces deux influences très différentes. J’arrive à me frayer un chemin un peu étrange entre toutes ses sonorités-là pour faire ce que je fais maintenant avec Haute Voltige. Je ne sais pas encore vraiment que sera la suite. Mais en tout cas j’espère que ce sera lié à davantage de compositions, faire appel à pas mal de musiciens et essayer de développer toujours un son assez différent, qui me plait.

Qu’est ce que tu tires de chaque étape ?
On était quatre dans Cas de Conscience. C’était pour nous le moyen de progresser, c’est vraiment ce qui m’a formé. On écrivait tous, puis on se voyait pour faire le bilan, se jauger les uns. Ça m’a donné une véritable assise en tant que MC. Avec The Hop, j’étais MC dans un groupe de musiciens, ça m’a donné une approche plus musicale pour aborder un morceau dans sa globalité. Ça m’a apporté un savoir-faire sur les structures de sons. Je sais maintenant choisir les instruments par rapport aux morceaux. Maintenant en solo, je prends du plaisir. Grace à mon parcours, j’ai l’assurance de savoir ce que je fais.

Comment les connexions se font avec tout ton entourage ? Dans The Hop il y a Kema et Sabrina. Sabrina travaille avec Jimmy Whoo qui a le studio Grandeville.
En fait, avec Jimmy Whoo, on était en classe ensemble au lycée, donc on se connaît depuis très longtemps. Sabrina, ça s’est fait via The Hop. Les connexions se sont faites très naturellement parce qu’on trouvait qu’il y avait un talent mutuel. Avec Sabrina, ils ont bien accroché donc ils ont fait des morceaux ensemble. Tout s’est fait vraiment naturellement et on se connaît tous un petit peu. On fait chacun nos projets avec les avis des autres donc les connexions se font au feeling parce que l’un connaît un beatmaker, un studio, un autre artiste et puis ça fait d’autres liens et ça ne fait que croître.

Et The Hop, c’est fini aujourd’hui ?
The Hop, ce n’est pas fini pour l’instant, on va dire que c’est en phase de stand by. On est très nombreux, donc au niveau de l’organisation, c’est à chaque fois compliqué de mettre un morceau en place. L’un travaille, l’autre est en vacances… Chacun se dirige sur ses propres projets. Il y a Loubenski, qui était le bassiste et qui fait ses propres projets avec Sabrina. Il y a Benjamin, le batteur, et Kema, l’autre rappeur qui font leur truc, donc on part plus sur nos projets solos. Mais, j’espère, en tout cas, pouvoir revenir sur cette formation pour quelques morceaux. Ils prendraient plaisir à le faire aussi. On reste très en contact. On suit ce que fait chacun de très près, mais pour l’instant, il n’y a pas de morceaux estampillés The Hop à venir.

Les rappeurs travaillant avec des musiciens sont assez rares dans le milieu, comment tu y es venu ?
En France, ça n’a pas été fait énormément parce que les gens associent peut-être les instruments à quelque chose de trop léger, de manière presque péjorative. Ils auraient peut-être le sentiment, à tort, de perdre ce côté rue, ce grain. Alors qu’au contraire, ça permet d’ouvrir encore plus ta musique, d’aller encore plus loin. C’est pour ça que ce n’est pas fait suffisamment. Et puis, on est arrivé maintenant à une génération, où même les musiciens, qui sont dans The Hop par exemple, ont écouté beaucoup de rap et ça leur fait plaisir d’apporter leur touche sur cette musique. Peut-être qu’il y a 20 ans, les musiciens n’écoutaient pas de rap donc le brassage se faisait moins facilement. C’est aussi pour ça que j’espère qu’on va en voir davantage.

On sent qu’il y a toujours une alchimie entre ton texte et la production. C’est voulu ?
Je suis content que tu mettes ce point là en évidence parce qu’avant j’écrivais sur des instrus, parfois même sur les morceaux d’autres artistes. Maintenant, j’écris uniquement sur mes instrus pour vraiment être dans l’esprit. Donc je suis content que tu puisses ressentir cette symbiose. Comment je fais ? Ça se fait naturellement. Dans le processus créatif, avant ce n’était pas le cas. Je faisais un peu à droite, à gauche. Maintenant, j’ai besoin d’avoir l’instru pour pouvoir partir. Même en ayant des instrus originales, ça te permet de pouvoir être original, d’essayer de t’adapter au niveau de la prod. Donc je pars de l’instru pour pouvoir y apporter ma propre touche et être réellement en adéquation avec elle.

Tu n’écris jamais avant d’avoir une prod’ ?
Avant c’était le cas. Maintenant ça peut arriver, à des rares occasions. Tu peux être dehors, avoir une phrase qui te vient, puis une seconde, donc tu commences avant. Mais des morceaux entiers, maintenant non. J’essaie de pousser mon innovation de la musique plus loin et d’être en phase directe avec mon instru.

C’est une vraie démarche artistique. Tu te considères comme un artiste ?
Ah … Bonne question. Pour moi, être un artiste ce n’est pas uniquement le fait de produire de l’art. Ce n’est pas parce que, à mon sens, tu vas faire un morceau ou un CD que tu es un artiste. Sinon, tu peux dire que n’importe qui est un artiste. Mais pour moi, artiste dans le sens noble du terme, c’est presque quelque chose qui s’acquiert. Il faut y réfléchir mais le fait qu’il y ait une osmose parfaite entre ta vie, ce que tu es et l’art que tu proposes, je pense que c’est quelque chose qui s’acquiert au fil du temps. Je pense qu’on devient artiste et on le cherche. Ce n’est pas uniquement le fait d’en produire qui te rend artiste.

Interviews Rappeurs

[Interview] 2-zer : « Quand tu es tout seul, tu vas plus vite mais en équipe tu vas plus loin. »

2Zer Washington fait partie de cette nouvelle génération de rappeurs qui en veut. Membre de L’Entourage et du S-Crew, dont l’album Seine Zoo (sortie le 30 septembre) est très attendu, il se différencie par un flow souriant et une écriture dans laquelle il se raconte. Franc, sympathique et sincère, il a répondu aux questions du Rap en France. 2Zer : un sacré numéro.

D’où viens-tu et comment as-tu eu le déclic rap ?
J’ai grandi dans le 20e arrondissement, près de Ménilmontant, dans un quartier qu’on appelle la banane. Depuis que je suis petit, on a toujours écouté du rap. Le premier CD de rap que j’ai écouté, c’était Coolio Gangsta’s Paradise. J’étais tout petit et ça m’a vite passionné. J’ai vu que l’école n’était pas pour moi donc je me suis dit que j’allais faire ça. C’est un truc qui m’inspire, qui me donne envie. C’est une manière de s’exprimer, sans forcément se livrer à une personne en particulier. Même s’il y a beaucoup de gens qui écoutent, au final tu es moins timide de rapper ton texte que de parler directement à une personne de ce qui te touche, de ce qui arrive. À l’âge de 11 ans, avec mes potes pour rigoler en cours, on prenait des paroles de rappeurs, on les modifiait un peu. De fil en aiguille, j’ai commencé à écrire mes textes.

Pourquoi 2Zer Washington ?
C’est une longue et bonne histoire. Ça a été du feeling. Je me suis habitué à mon blaze. Comme les lycées sont dans tout Paris et pas seulement dans ton quartier, tu te fais plein de connaissances de personnes d’autres quartiers. On me demandait d’où je venais et je répondais toujours du 2 zéro. À la fin, on a enlevé le o et les gens m’appelait comme ça : 2zer. Washington, c’était pour rire sur Denzel Washington. Je l’ai marqué sur Facebook et c’est resté.

Tu ne regrettes pas ?
Non, maintenant c’est mon blaze et je n’ai pas envie de le changer. Ça me convient. Je n’ai pas de problème avec ça.

Et ton gimmick « Tu connais pas 2Zer » vient d’où ?
Il y a 5-6 ans avec mes potes, on a fait une vidéo pour rire. On allait voir les gens dans la rue, on les filmait et on leur demandait de dire « Tu connais pas 2Zer ? ». J’ai mis la vidéo sur Internet. Les gens ont vu la vidéo et ils me disaient toujours « Tu connais pas 2zer ? ». Et c’est resté.

Tu peux nous raconter un peu ton parcours avant le S-Crew avec Lyricalchimie ?
À la base, j’ai rencontré Lyricalchimie via Bloopa Looza. À l’époque je trainais avec lui, un mec du quartier nous avait présentés. Ce sont des connexions improbables. On s’est connu dans la rue. Il a vu que je rappais dans mon coin, il m’a dit « Je vais te présenter des potes à moi Lyricalchimie, ils sont dans le délire rap à fond ». Vers mes 16 piges, je ne connaissais pas trop les opens mics, je n’étais pas encore dans ce délire. J’étais rappeur dans mon coin, je faisais mes trucs avec les rappeurs que je connaissais. Il n’y a qu’eux qui m’écoutaient. De connexion en connexion, j’ai rencontré Cas de Conscience, L’Entourage. On s’est rencontré dans les opens mics. Au début j’ai eu un bon feeling avec Poochkeen et Lyricalchimie. Au final, on s’est dit « Pourquoi ne pas faire un projet commun ? » Bloopa Looza avait un peu arrêté d’écrire à cette époque là. Il a participé sans en faire partie intégrante. En parallèle, on a aussi créée Tribus de L’Est avec B. Looza. On s’est dit qu’on pouvait faire un groupe à deux. C’est vraiment plus Lyricalchimie qui s’est concrétisé.

Votre projet a eu un succès d’estime non ?
Oui, il a eu un petit succès dans le milieu underground. Les gens ont bien aimé. Il y avait des personnes que je ne connaissais pas qui m’arrêtait dans la rue pour me dire que c’était bien. C’était fou. C’est là qu’on a vu l’impact de partage de L’Entourage. Quand quelqu’un sortait un projet, tout le monde le partageait.

Vous vous êtes séparés ?
Après le projet, Poochkeen avait ses bails à faire, un solo, Ouhhz aussi. Moi je me suis retrouvé solo, j’ai continué le rap. Je me suis mis à côtoyer les mecs de L’Entourage. Depuis le début, je  trainais pas mal avec les mecs du S-Crew. C’était un lien d’amitié fort, avant le rap. On s’est connu par rapport à ça, on a vu que l’on avait la même passion, la même culture, les mêmes goûts. Ils m’ont d’abord invité sur leur projet Même Signature. J’étais beaucoup avec eux donc j’ai fait beaucoup de sons. Au final, on a vu que ça marchait bien 2Zer S-Crew, on était devenu comme des frères avec le temps. On a vu que ça devenait vraiment sérieux donc ils m’ont dit que si je voulais rejoindre l’équipe, j’étais le bienvenu. S-Crew c’est vraiment une équipe de frères avant d’être une équipe de son.

Tu as développé ton propre timbre et flow et c’est ce qui fait que l’on te reconnaît au premier mot. Est-ce que tu as travaillé en ce sens ?
Ça a été long de trouver mon propre style. Au départ, tu n’as pas vraiment de style, tu fais un peu de tout, tu essaies. C’est vraiment de l’expérimentation. On va dire que quand j’ai eu 17 ans et que j’ai commencé à me mesurer aux autres dans les open-mics, j’ai beaucoup appris. J’ai vu plein de gens qui avait plein de style. Je me suis dit « il faut que j’ai mon truc et que je développe ça ». Ce que j’ai fait de mon côté. Après c’est au feeling, c’est juste moi. Quand je parle ou quand je rappe, c’est à peu près la même chose. Je parle vite donc je rappe vite.

Comment tu le décrirais ?
Comme je t’ai dit, c’est beaucoup au feeling. C’est vraiment ce qu’il va se passer dans ma vie. J’ai vraiment besoin de ça pour écrire. J’ai besoin d’être inspiré par ce qu’il se passe tous les jours. C’est à dire que je ne vais pas me mettre à écrire parce que je dois écrire. C’est vraiment une instru, un truc que j’ai vécu qui va me donner l’inspiration.

Interviews Rappeurs

[Interview] Walter : « J’essaie de rebondir sur des rimes que l’auditeur n’attend pas. »

Walter est un rappeur étonnant qui joue des mots et semble très préoccupé par les structures de rimes. La musique, la culture, l’énergie qu’il crée, Le rap en France est allé à sa rencontre pour essayer de connaître un peu mieux ce MC du 77, ses envies, ses projets ou encore son histoire avec le rap. Entretien. 

Qui est Walter et d’où vient-il ?
Je viens d’un collectif du 77 qui s’appelle le Val Mobb. C’est un jeu de mots avec un regroupement de villes nouvelles qui s’appelle le Val Maubuée. C’est un secteur où il y a beaucoup de choses qui se font dans le rap et dans l’électro. C’est ma première famille de sons.

On a pu te voir dans différents groupes, tu peux nous éclaircir ça ?
Le premier groupe que j’ai monté, c’était Artisans du Mic (avec Moax, Lemdi & Smoof).  Et aujourd’hui il existe une formation entre des rappeurs du Val Mobb et qui s’appelle Nouveaux Mutants (Daiz Diggi, Moax, Lemdi, Nitro et Moi). Je fais partie de plusieurs familles de rap. La première c’est le Val Mobb.

La deuxième, c’est Ol’ Kameez ?
Voilà. Il y a deux ans et demi, j’ai commencé à rencontrer plus des gens de ma génération, avec qui je me suis bien entendu au niveau de la vision du rap, ce que les mecs faisaient et aussi au niveau des influences. Dans tout ça, on a créé un groupe, Ol’Kameez avec Skyle. Je l’ai rencontré, on a fondé le groupe et on a fait un  premier projet en janvier 2012, produit par Dooze et par Goomar. Ce sont des beatmakers avec qui je travaille beaucoup. J’aime beaucoup leur univers.

On t’a effectivement vu avec beaucoup de rappeurs de la nouvelle génération.
Parmi toutes les connexions qui se font, j’ai rencontré Lomepal, avec qui on a fait la compile 22h-6h. Là, pareil, ça a été l’occasion de se rapprocher de pas mal de rappeurs de Paris que je ne connaissais pas avant : Bhati, Mothas, Black Sam (BPM), Naïad, Georgio puis aussi des connexions avec la Belgique avec des gars comme Patee Gee & Caballero. Plein de choses se sont formées. Aujourd’hui je travaille aussi avec le Bohemian Club (avec mes gars Orus, Zoonard et Goomar). Il y a beaucoup de noms, mais c’est à peu près tous les collectifs ou les crews dans lesquels je gravite.

Tu as déjà sorti plusieurs projets.
Oui, il y a eu Petits Meurtres entre Amis en mai 2011, que je considère comme une compile. J’avais envie de rassembler un paquet de gens avec qui j’ai évolué pendant longtemps. Donc les gars du Val Mobb, Skyle, Nek, Alpha, Nino Ice etc. Après, il y a eu Ol’Kameez Volume 1, avec Skyle donc. En juin 2012, j’ai sorti 22h-6h avec Lomepal et enfin l’album du Val Mobb en juillet dernier. Ça, ce sont les projets sortis. Sinon, il y a plein de trucs qui arrivent. Le Ol’Kameez Volume 1.5 courant octobre et le Vol.2 début 2014. On ne s’arrête pas.

Ce n’est pas trop dur de combiner ton « vrai travail » et la musique ? Est-ce que tu comptes te consacrer au rap ?
Franchement, c’est à l’étude encore. Je n’ai pas vraiment de réponse, parce que pendant longtemps, ce que je pensais, c’était réussir à faire de la musique par passion. Pas comme un hobby, mais vraiment un truc qui m’accompagne, dans lequel je m’accomplis. Parce que j’aime faire de la scène, des morceaux, des radios. J’aime me retrouver avec des potes avec qui on fait du son. J’aime aussi faire des soirées avec des potes où on ne fait pas vraiment du son, mais on reste dans cet univers, on décortique la musique. Plus je m’implique et plus je m’éloigne d’autres aspirations. Et en même temps, je ne perds jamais de vue qu’il faut réussir à être polyvalent et avoir d’autres inspirations. Ne pas forcément se cantonner au rap.

Comment s’est fait Petits Meurtres Entre Amis ? Tu fonctionnes beaucoup avec des featurings. Quelle était l’intention de création ?
Petits Meurtres, je l’ai sorti parce que je commençais à avoir un gros panel de morceaux. Il y en avait avec des potes du Val Mobb puis j’ai commencé à faire des freestyles avec des gens de ma génération. J’ai bien aimé toute cette alchimie. Je n’avais pratiquement rien fait, j’avais envie de sortir des projets. Je voyais que ça devenait assez possible. Il y a ceux que je connaissais depuis longtemps et ceux que j’ai rencontrés à des concerts, des freestyles. On s’est invité à des sessions studios, on a fait des morceaux, on a pas mal creusé. J’ai vu que j’avais une quinzaine de morceaux. Je me suis dit : « Vas-y, je vais sortir une compile, ça va me motiver à faire des projets par la suite ». Je suis assez content aussi des instrus. Il y a quelques-unes à moi mais j’ai arrêté maintenant. Sinon, il y a DJ Lumi, Dooze et Nino Ice pour la majorité des productions.

Interviews Rappeurs

[Interview] Moïse The Dude : « Mes goûts en rap français vont du Klub des Loosers à Booba. »

Moïse est, aujourd’hui, en solo. Il vient de sortir, en mai dernier, son premier EP : The Dude vol.1. Pour l’occasion, un jours pluvieux, place de Clichy, il a répondu à nos questions autour d’une bière. Suit une rencontre, où le garçon parle de son projet et du concept Lebowsky. D’égotrips et de rap sudiste. Du Bhale Bacce Crew et de son envie d’aller voir ailleurs. 

Si tu devais te présenter, que dirais tu ?
Je m’appelle Moïse et je suis rappeur, depuis un peu plus de dix ans. A la base, j’ai commencé avec le collectif Bhale Bacce Crew, qui est un sound system reggae / hip hop. Au bout d’un certain temps, j’avais envie de faire quelque chose de plus personnel et qui se détache de l’univers du collectif. Donc dans un premier temps j’ai fait deux projets, avec Cosmar, qui vient lui aussi du collectif. On a sorti deux albums, tous les deux produit par Dj Monkey Green. Après ces deux albums, j’avais envie de faire un truc tout seul. Il me fallait la maturité pour trouver le bon concept. Donc me voilà en  solo !

Tu parles de rap sudiste…
J’écoute 90 % de rap au quotidien et dans ces 90 % il y a 80 % de rap sudiste américain, en gros les scènes de Houston, Atlanta, Miami, la Nouvelle Orléans. C’est le rap que je préfère écouter. Je connais très bien le rap New-yorkais, j’en ai énormément bouffé, mais un moment donné je me suis pris le rap sudiste en pleine tronche et je me suis passionné pour cette sous culture qui a ses particularité : les rythmes sont lents.

De rap alternatif aussi…
C’est parce que j’ai l’impression d’être assez proche de la scène dite spé, de l’époque des TTC et autres. Je fais un truc qui s’inscrit sûrement dans cette mouvance-là, alors que c’est quelque chose qui n’existe plus du tout aujourd’hui. Je ne fais pas du Booba, alors que c’est ce qui marche en ce moment. Je ne fais pas un rap ghetto. Pour être prétentieux je fais un truc qui n’appartient qu’à moi, car mes références sont diverses.

D’ailleurs en référence, tu cites Booba et Doc Gyneco…
C’est pour montrer qu’il faut faire des grands écarts, que tout ça c’est le rap. J’écoute tout.

Mais précisément, quelles sont tes références ?
Au départ, c’est les grands classiques : IAM, NTM, l’âge d’or du milieu des années 90 du rap français. Après on arrive sur toute cette vague spé, avec Le Klub des Loosers, La Caution ; et puis en parallèle le rap sudiste américain qui est arrivé jusqu’à mes oreilles. Mais mon rappeur préféré, c’est Serge Gainsbourg.

Pour ton Ep, tu incarnes un personnage, est-il si différent que le Moïse que j’ai en face de moi ?
On va dire que c’est 50 / 50. Pour cet Ep là, je me suis fixé sur le personnage du Big Lebowsky et ça m’a donné une ligne directrice. Par-dessus ça, j’ai brodé avec Moïse, avec ce que je peux avoir envie de rapper. C’est pour ça, que c’est un mélange de clin d’œil au film et le reste. Le reste c’est moi.

C’est donc plus un concept autour d’un Ep, qu’un projet dans l’avenir…
Là, c’est sûr que le concept est en place sur cet EP. Après dans le titre j’ai mis Vol.1, pour donner une suite. Enfin je te dis ça j’en sais rien, car le truc vient de sortir et qu’il faut qu’il vive sa vie. Mais dans l’absolu j’aimerai bien donner une suite, faisant évoluer le personnage. Là, j’estime avoir fait le tour de ce que je pouvais faire, en faisant des clins d’œil explicites au film. Donc la suite, même si ça sera The Dude, probablement Vol. 2, ça sera un Dude, un petit peu différent, avec d’autres angles d’attaque, mais il y aura toujours Moïse derrière.

The Dude, ton nom de MC est aussi une référence ?
The Dude, je le pique carrément à un rappeur de Houston, qui s’appelle Devin the Dude. D’ailleurs je fais complètement comme lui, parce que pour son premier album il s’appelait Devin, tout court, et le nom de son album était The Dude. Et c’est resté Devin the Dude… Du coup, je fais un gros plagiat.

Le Big Lebowsky est fainéant et amateur de bowling, c’est un peu toi ?
Gros fainéant pas tant que ça, car il faut vivre ! Ce qui m’intéressait ce n’était pas de passer pour un fainéant, mais j’aime bien l’idée d’un personnage qui ne culpabilise pas s’il ne fait rien. Parce que c’est un fainéant mais qu’en définitive, il fait ce qui lui plaît. Et moi j’aime bien faire ce qui m’intéresse et me foutre du reste. Après le bowling c’est marrant…

Certains disent que c’est le film de la coolitude, ça te correspond plus ?
J’avais clairement envie de dire fuck à un tas de chose, en gardant le sourire, et en restant cool.

Cette coolitude, c’est un moyen de tourner la page sur quelque chose de plus politisé et militant ?
C’est une manière de tourner la page, de dire que je peux faire quelque chose d’autre. C’est une autre facette de ce que j’ai envie de faire. Puis je ne renie pas du tout Bhale Bacce, au contraire. Mais j’avais déjà commencé avec Cosmar, dans le projet Moïse et Cosmar, à prendre la tangente. Et là, j’enfonce le clou !

Parlons précisément de ton EP ? Présente-le nous !
C’est 7 titres de nonchalance cool, teintés d’arrogance et de j’en ai rien à foutre de vos gueules, mais vous me faites marrer quand même. Et je suis le meilleur mais personne ne le sait. Ouais c’est un peu ça l’esprit du truc.

Il y a beaucoup d’égotrip.
Je voulais exactement être en équilibre sur l’égotrip pur et dur, figure imposée du rap. Je kiffe l’égotrip, mes premiers textes étaient de l’égotrip, c’est un genre que je n’ai jamais vraiment abandonné. Malgré tout, pour me l’approprier j’ai cherché à être dans cet équilibre entre l’égotrip pur et la dérision dans l’égotrip. Du coup ça collait bien avec le personnage.

Est-ce une façon de ne pas tomber dans des clichés ?
Les clichés du rap je m’en fous, car j’aime tous les raps. Mes goûts en rap français vont du Klub des Loosers à Booba, alors je n’ai vraiment pas de problèmes avec les différents genres. Je ne suis pas nostalgique d’une certaine époque, comme certains. Mais, c’est vrai qu’en tant que rappeur j’essaye de ne pas trop être dans le cliché. J’y suis aussi de temps en temps, car c’est libérateur. La plupart du temps, j’écoute 90 % de rap. Alors les clichés je les connais, je les assimile, je les accepte. Quand on connaît la culture rap, on sait d’où ils viennent les clichés. Bien sûr qu’il y a des excès et des dérives. Mais malgré tout, la violence, les femmes, la drogue, ça ne vient pas de nulle part. Ce n’est pas un rappeur qui s’est levé un matin « je veux mettre des filles à poils dans mon clip, et ça va être cool ». Non, il y a des fondements à tout ça. Alors avec les clichés, je n’ai vraiment pas de problème, j’essaye juste d’être subtil.

Sur tes sept pistes, tu as différentes personnes qui s’occupent des prods, comment tu choisis ? Comment se passe les collaborations ?
Sur les sept pistes, il y a déjà Monkey Green qui me suit depuis Bhale Bacce. Il m’a fourni trois prods. L’avantage avec lui c’est qu’il a des centaines de prods, j’ai donc pu piocher ce qui me semble le mieux pour le texte que j’ai. Parfois je n’ai pas le texte, j’ai juste la prod et j’écris dessus, directement. Monkey Green c’est vraiment ma base, je vais d’abord aller voir ce qu’il a en magasin, et après les autres beatmakers, c’est des gens que j’ai rencontré sur le net, que j’ai croisé dans la vie. C’est au coup de cœur. Si ça me plait, je prends ce qu’on me propose.

Et toi, tu mets la main à la pâte ?
Non je ne mets pas vraiment la main à la pâte, sauf avec Monkey Green, parce que c’est lui qui a, techniquement réalisé l’EP. Là je l’accompagne beaucoup dans les phases de mix et même sur certaines de ses prods. Du coup, comme je suis proche de lui, l’avantage c’est que je peux donner les directions, avoir quelques exigences.
Sinon pour les autres beatmakers, je touche à la structure. Enfin ce n’est pas moi qui le fait, mais je vais dire au beatmaker « ton morceau, il est cool, je vais le prendre, mais je veux que tu fasses telle structure ». C’est à dire que je donne mes directions pour mettre la partie refrain à tel endroit, de telle durée…

Et pour tes textes, la phase de création se passe comment ?
Ça dépend. Il y a des textes que je vais avoir écrit en entier sans avoir de prod’, du coup après il faut que je cherche le son qui va vraiment aller. Et parfois ça m’arrive d’avoir un bout de texte et de trouver la prod’ et du coup je finis le texte en connaissant la musique. Et des fois, même si c’est plus rare sur cet EP, ça m’arrive d’écrire le texte en direct, juste avant d’enregistrer.
En général ça part d’un truc réel. J’ai des mots, des formules, des phrases, des images, des situations, et à partir de là j’ai des choses qui s’ouvrent, que je déforme. Une rime en appelle une autre. Parfois je cherche la rime. Parfois je recherche ce qu’il faut mettre entre deux rimes, il faut que je remplisse.

Là, tu as un concept autour d’un film. Les références de ton écriture, ce sont le rap, les films, l’art en général ?
Ici, c’est forcément pas mal le film. Mais le rap en général aussi. Parce qu’il y a des figures de style, il y a un ton, il y a effectivement le côté égotrip… Mais tout peut m’inspirer car comme on dit toujours « Oui la vie m’inspire »… Mais c’est vrai que j’aime m’inspirer de toutes les œuvres d’art, les films, les peintures, les livres. D’ailleurs avec les bouquins, je me suis souvent dit que j’aimerais en faire des adaptations musicales. Après il faut avoir l’inspiration, et ça ne vient pas toujours.

Tu t’attaches beaucoup au visuel, d’ailleurs tu viens de sortir un clip, est-ce important aujourd’hui d’avoir une image à côté d’un projet musical ?
Aujourd’hui c’est très simple, si tu n’as pas de clip, ton son n’est pas écouté. Vraiment. Ça en est même dramatique. Je le vois en soirée, avec des amis, on écoute de la musique sur Youtube. La dictature Youtube, c’est un truc de fou. Donc je fais des clips parce qu’il faut en faire, mais aussi parce que ça me plait. J’aime bien faire le con devant la caméra.
Et puis là, avec le personnage, ça se prêtait bien au visuel. Rien que les habits ça pose déjà une ambiance.

Youtube et internet sont quand même une chance pour diffuser facilement de la musique…
Je pense qu’internet est à double tranchant. C’est très bien de pouvoir diffuser ses sons, plus ou moins, au plus grand nombre, sans que ça coûte à qui que ce soit. Mais le problème, c’est que tout le monde peut le faire. Il suffit d’avoir un micro, un ordi et un 5d. On le voit tous les jours, sur les réseaux sociaux. Ça crée des embouteillages et un zapping. Je me dis que les gens n’ont pas assez de temps de cerveau disponible pour tout le monde. Alors il faut se démarquer, il faut être le meilleur. Mais ça aussi ça ne veut rien dire, car tu es dépendant des modes et des gens.

Pour en revenir à ton rap, toi qui vient d’un collectif nombreux, envisages tu des featurings ?
Sur ce projet-là, honnêtement je n’avais pas envie d’avoir de featurings. Le concept est tel que j’imaginais mal d’autres rappeurs dans cet univers-là. Ceci étant, sur le Vol.2 peut être. Mais là, j’avais envie de tenir la baraque tout seul.

Comment et pourquoi on passe d’un collectif tel que Bhale Bacce à Moïse tout seul ?
Bhale Bacce est assez militant dans l’esprit et dans les textes. Pour dire les choses franchement, je n’avais plus envie d’écrire des choses engagées. D’ailleurs, je n’étais pas le membre dont les textes étaient les plus militants, j’étais dans cette chose plus introspective mais avec un côté vision de la société. J’en avais juste marre, j’avais envie d’autre chose. C’est complètement un grand écart, mais entièrement assumé. Je suis dans une musique de divertissement mais avec quelques subtilités. Je m’inscris dans quelque chose de plus rap.

Dans cette transition, tu as sûrement perdu une partie de ton public ?
Oui, ça c’est un problème. J’ai forcement perdu une partie du public Bhale Bacce qui n’adhère pas à ce que je fais aujourd’hui. Ce qui est normal et que je comprends. La difficulté est de conquérir un public nouveau, du coup tu as le sentiment de repartir à zéro. Parfois, ça génère un peu de frustration. Mais je n’ai pas envie de refaire du Bhale Bacce pour ravoir un public, pour capitaliser sur la popularité du groupe.

Le rap médiatisé est plutôt un rap gangsta ou  parfois conscient, tu aimerais que le rap prenne une autre direction, celle de la musique de « divertissement » ?
Le rap c’est beaucoup de chose, donc je n’ai pas envie qu’il prenne une direction en particulier. Que tous les styles de rap puissent être représentés. Comme je te disais tout à l’heure je peux écouter La Rumeur comme je peux écouter Seth Gueko, et je vais avoir le même plaisir à les écouter mais je ne vais pas y chercher la même chose. Il faut que le rap garde cette diversité-là. Après médiatiquement, le problème c’est que lorsqu’on invite un rappeur à la télé, c’est pour lui parler de société et pas de musique. Il est très mal représenté et surtout les gens qui en parlent n’y connaissent rien.

C’est aussi une musique populaire, mais mal aimée…
Le rap a mauvaise réputation, il est maltraité dans les médias, même aux Victoires de la Musique il n’y a pas de vraies catégories. Les mecs ça les fait flipper, c’est épidermique. Pourtant c’est une musique qui vend des disques. C’est une musique qui reste marginale. Pourtant une poignée d’artiste sont très médiatisés. Après ce n’est peut-être pas pour les bonnes raisons. Et ce ne sont peut-être pas les bons…
En ce moment, je me pose vraiment une question. On se réjouit que le rap ait pénétré toutes les couches de la société mais parfois je me demande si ce n’est pas une mauvaise chose. Ne devrait-elle pas rester une musique de niche ?

Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à le partager avec les petites icônes ci-dessous, et à rejoindre la page facebook ou le compte twitter pour suivre les actualités que Le Rap en France vous propose.