Les classiques jouent toujours un grand rôle dans l’histoire d’un genre musical ainsi que dans son exposition et sa légitimité. Ils sont les balises d’un océan sonore qui permettent de guider les marins néophytes, perdus bien souvent dans l’immensité d’une production inégale. Pourtant, les critères d’attribution de ce label sont difficiles à déterminer et les classiques se voient parfois contestés, selon l’expérience individuelle de l’auditeur. Reste les critères objectifs que sont l’impact médiatique, la qualité de l’artistique ou encore la durabilité. Art de Rue fait partie de ces classiques, dans lesquels on trouve autant de morceaux de choix que de menus détails qui viennent gâcher un projet d’une ampleur colossale. Malgré cela, il reste un classique, ancré dans une époque révolue, qui en est presque d’ailleurs l’ultime témoin.
Tout n’est pas si facile
« On était tout jeunes, tout fous, tout fougueux comme des chiots lâchés qui font plein de conneries, […] ils n’ont pas conscience de la douleur » Sat in cosmichiphop.fr – 2000
Après un premier album déjà dans la légende du rap français, une mixtape elle aussi reconnue par tous et un album solo d’un de ces membres, la Section Nique Tout avait pris de la bouteille. Des studios italiens et New-Yorkais arpentés avec (et grâce) aux grand frères d’IAM, la FF revenait avec une maturité artistique qui allait porter la production phocéenne à un nouveau niveau. Malheureusement, difficile de faire l’impasse sur les grands défauts de ce disque, dont certaines tracks sont presque anecdotiques, tant par leur contenus que par l’interprétation.
Ainsi Imagine ou Histoire sans fin offrent un discours assez peu intéressant, aux paroles peut être un brin démagogique, ou alors naïves, assemblées sur des beats peu entrainant, au Mcing largement en dessous des possibilités des quatre phocéens dans le vent. De même sur Esprit de Clan, genre de posse cut réunissant la crème de la scène marseillaise d’alors, avec 3éme Oeil, Costello et Venin, qui malgré cette affiche, peine vraiment à marquer les esprits. Ayant pourtant tout sur le papier pour réussir, cette association qui « se bat pour la même cause sans faire partie du même camp » n’arrive pas à pointer au-dessus du lot. On ne reviendra pas non plus sur le très largement dispensable Check, I, I, I…
Les choix musicaux sont d’ailleurs parfois contestables, avec une paire d’instrus en dessous, dont la plutôt énervante Entre 2 Feux, le fameux piano larmoyant (samplé d’un morceau du groupe TOTO) de Mystère et Suspens, ou encore et toujours celle de Check I, I, I. Pone, Le Rat Luciano et Djel ont assurément fait un bon travail sur l’ensemble de l’album mais ces quelques faiblesses viennent quand même entacher le bilan. Outre ces quelques morceaux, un des gros points noirs du disque reste sans conteste Menzo. Le MC est depuis ses débuts la lanterne rouge du groupe, tant lyricalement que techniquement et comparé aux autres, il fait parfois (et sans mauvais jeu de mot) bien pâle figure. Il suffit de voir comment son couplet sur Dans la Légende fait plonger la démonstration lancée par ses collègues pour se soulager que la plupart de ses apparitions soient à la fin des morceaux.
Le coup de poing
« Le Rat vient de terminer son album solo Mode de vie…Béton Style. Sur le ton de la plaisanterie, je lui dis que demain on attaque le nouveau FF. Il me répond « Demain on attaque ». Ca commence comme ça. » Sat in ABCDRduson – 2010
Mais alors, Art de Rue est-il un si grand album malgré ces défauts ? Bien évidemment, car les grandes qualités de l’album prennent le pas et nous font oublier ces moments de disgrâce. Car si Menzo reste clairement à la traîne, les autres MC assurent et livrent d’excellentes performances, articulées autour de freestyles et de phases chargées d’authenticité, si chère au rap de rue et depuis, au rap tout court. Si Sat n’a jamais été un grand technicien lyrical, sa voix rauque et la course engagée contre l’instru sur certains morceaux peuvent le faire décoller rapidement, aussi bien en termes d’émotion que de rythme. Ses couplets sur Tonight, Filles, Flics, Descentes, ou encore son solo On s’adapte démontrent ses talents de MC, entre rythme et poésie. Au-dessus de Sat, on retrouve les deux locomotives du groupe. Le Rat Luciano, bien que fatigué après son album solo et un peu trop en retrait ici, et Don Choa forment la partie technique et rythmique du groupe. Entre la métrique calibrée et le flow parlé du premier (sur Les Miens m’ont dit ou Filles, Flics, Descentes notamment) et les fulgurances lyricales du second – la fameuse accumulation « On explose, extorque, exporte, explore, sexe, tox, escorte, vexe porcs et fuck ! » sur Art de Rue – et son sens du rythme, ce duo forme tout ce que l’on attend d’un album de rap.
Des grands MC pour de grands morceaux quand même. Art de Rue et Haute tension formant presque u nouveau genre à eux seuls : le banger street, ou le hit fleurant le bitume. On bouge la tête sur ces tubes qui viennent « de Mars mais pas celui de Pagnol », formant des hymnes rapologiques à un art définitivement urbain. Dans la légende, Petit Bordel ou On s’adapte squattent le haut du panier aussi pour finir sur Tonight, ode à la nuit marseillaise, regorgeant d’anecdotes et d’observations qui réveilleront des souvenirs chez chacun d’entre nous pour un morceau d’une portée quasi universelle. Des morceaux excellents, qui ne prennent pas une ride et qui pourraient pour certains être montrés dans les écoles, comme on dit dans le jargon sportif, recalant de nombreux MC actuels. « Si tu deviens muet, on exprimera ces choses à ta place.» Bien sûr, au milieu de ces défauts et qualités, on retrouve tout un tas de composantes qui font de cet album un classique, témoin de son époque et bien plus encore. Si Dieu veut inaugurait, avec d’autres en leur temps, un genre de rap particulier, que l’on estampille de l’épithète street. Un rap de rue, qui se fait porte-parole des petits, au travers de revendications, d’histoires et d’anecdotes ou encore d’idées passées au travers du son.
Au-delà de l’impératif de représentation de sa ville ou de son quartier, le rap street se veut le porte-parole d’une population le plus souvent défavorisée, aspirant à une plus grande reconnaissance sociale. Des phases telles que « Dédié à ceux et celles, qui mènent des vies de chiens ou de chiennes » (Sat – Mystère et Suspens), « J’mérite pas la légion d’honneur pour narrer ce qu’il se passe autour » (Sat – Filles, Flics, Descentes) ou encore «Et si tu deviens muet on exprimera ces choses à ta place. Pourquoi ? Parcequ’on fait partie de la même classe » (Le Rat Luciano – Les Miens m’ont dit) montent bien cette volonté de s’effacer devant la parole portée, dont la structure de base est la thématique du Nous contre eux. Par cet effacement, cette neutralité du MC veut « instituer le Nous en communauté de tous ceux qui souffrent », comme l’écrivait le sociologue Anthony Pecqueux dans sa thèse La politique incarnée du rap.
La conclusion.
« Même s’il y a des titres durs, « Art de Rue » est un album fou-fou, un album de mecs qui ne veulent pas basculer dans le monde adulte mais rester adolescents toute leur vie. » Sat in ABCDRduson – 2010
C’est aussi ce phénomène qui a porté cet album au niveau de classique. Véritable emblème du rap street et démonstration d’une rhétorique populaire, couplé à un succès public comme en a connu cette période bénie du rap, Art de Rue fût une déferlante, donnant l’illusion concrète aux jeunes, aux défavorisés, prolétaires, immigrés et toute autre catégorie de population que leur parole pouvait être entendue au plus haut niveau et que l’art populaire pouvait accéder enfin à de véritables lettres de noblesse. Néanmoins les limites de l’art ont vite été atteintes et l’on voit aujourd’hui que les disques comme Art de Rue n’ont trouvé de véritables échos que dans les walkmans des auditeurs. Le Nous contre eux ne s’est pas mué en Nous avec Eux et reste plus que jamais d’actualité, mais pas forcément dans le rap, qui s’est dirigé par la suite vers des thématiques plus violentes, plus dures, moins media-friendly, faisant de l’album de la FF un des derniers témoins de ce genre.
Ce que l’on voit à travers cet album, c’est que les critères de classique dépassent largement l’artistique et que malgré des faiblesses, un album peut se hisser à ce rang. « Au bon endroit, au bon moment, c’est comme ça que l’histoire se fait » clame Le Rat Luciano dans Haute Tension, définissant ainsi l’engouement et la reconnaissance de cet album, dans lequel beaucoup se sont retrouvés. Art de Rue est aussi presque l’ultime représentant de ce genre, 2001 formant cette date charnière du rap, à laquelle la plupart de ses représentant vont se diriger vers d’autres styles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la même année, Booba sortait son album Temps Mort, autre grand classique. Alors que Art de Rue signait d’une belle manière la fin (relative évidemment) de ce rap simple et spontané, Temps Mort sera le fer de lance de la nouvelle génération, portée par un imaginaire violent, plus individualiste et moins accessible.
Temps mort est sorti 2002, et une année dans le rap fait toutes la différences!
Simple et spontané comme vous dites, voilà pourquoi j’aime cet album. Pas de prise de tête, les instrus sont efficaces, les paroles parfois un peu légères mais y a quand même de bons trucs. Choa et Luch’ sont bons dessus (le couplet de Choa sur Haute Tension par exemple), Sat fait quand même de bonnes prestations et Menzo ne rabaisse pas le tout.
Pas mal de scratches aussi et ça c’est cool.