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[Chronique] A2H – Libre

« Libre, j’ai pris plus de temps pour le faire [que les deux premiers albums, Bipolaire et Art de vivre] et puis j’avais un message à défendre, un état d’esprit, un délire visuel : donc pour moi, c’est réellement le premier album d’A2H. » Ainsi se confiait le rappeur lors d’une interview réalisée en mars dernier, quelques semaines en amont de la sortie de son troisième (et premier, donc) album, Libre. Restons calme, mais disons-le franchement : il s’agit probablement d’un des meilleurs projets de l’année, et très clairement du meilleur album d’A2H. Décryptage.

 

Commençons par poser le contexte : A2H, la trentaine, kickeur, beatmakeur, mélomane passionné et rider inassouvissable, est dans le game depuis un bout de temps. Fort d’une dizaine de projet, en solo ou avec d’autres emcees de renom, A2 putain d’H est aussi producteur, et gère maintenant des artistes sur son label Palace Prod, sous lequel est sorti ce disque Libre. Au texte, au mic, à la production, à la guitare : A2H est omniprésent dans la conception du projet (on est partout !), réalisé en France par Palace et finalisé au Canada (pour narguer le game). Loin de négliger son rap à cause de tous ces impératifs (l’amer syndrome Dre), A2 nous livre un projet lyricalement et musicalement excellent : « quand la prod frappe, pas besoin de parler », ou « y’a du poids sous la mine, le texte prime » ? Ni la forme, ni le fond n’ont été négligé sur l’album, et les deux offrent beaucoup de contenu.

Multipliant les influences et les styles, l’album regroupe un grand nombre de beatmakeurs : Aayhasis, Dj Weedim, Kobe, Off The Wall, Ovaground Prod, Mem’s, Chilea’s, Didai, et A2 lui-même, donc, ont donné au disque une palette de couleurs aussi riche que réussie ; celle d’un rap qui vient et tient autant de la soul que du RnB, de la trap que du cloud, de la west coast que du 77. Abondance de synthés, que viennent rythmer cuivres et cordes d’une sincérité acoustique extrêmement bienvenue, sans aucune fausse note ni baisse de régime sur l’ensemble de la tracklist, d’une production irréprochable : le moindre élément du beat, les foules de variations dans chaque élément des prods, des voix, les basses massives, tout est retravaillé au millimètre. Pour reprendre la formule de cet éminent collègue de l’ABCDR, « Libre, c’est un peu la quintessence d’A2H ».

 « Regarde un peu comme ça bosse, fini d’parler des putains
J’veux ma tisse-mé, j’veux mes gosses, ma piscine et mon butin
La rime est simple, un peu moins de multi-syllabes
J’fais du son pour les gens, j’entends les puristes qui braillent »

Pas du son pour les puristes, non, mais les véritables amateurs de rimes propres et efficaces ne seront pas déçu. A2 reste fidèle à lui-même et à l’ambiance qu’on a tant aimé dans ses précédents projets, celle d’un rap chill, de love, qui n’invente rien : pas de paillettes, pas de grosse caisse, c’est la vraie vie, vice dans le crâne, femme sous les draps, un peu d’illicite ! Les rimes se multiplient sous l’inspiration d’un A2 plus chaud que jamais au mic : ça kicke, ça chante, c’est technique, mélodique, les flows aussi variés que les tempos, de quoi combler un vaste public. Quoi que vous cherchiez dans le rap, il est probable que vous le trouviez dans Libre : de la grosse trap fière et égotripée, par les siens et pour les siens avec S Pri Noir et 3010, aux morceaux plus accessibles, parfois carrément chant(onn)és comme Grandis un peu ou Branché, jusqu’à des tracks beaucoup plus cloud, voire carrément plânants, tant sur Décisions (avec Zéfire, de Montréal) qu’à la fin de l’album, en hommage aux nuits de Paname et à celles de la couleur de la pochette de Libre.

« Besoin d’smoke vite, genre trente spliffs de O.G., j’suis dans l’bolide, un grossiste, des copines / Je suis groggy, je peaufine des grosses lignes, veux du coffee, mon possee, les faux s’tirent / C’est réel, c’est comme ça qu’on fait les choses, te trompe pas dans les doses / Beuh d’Hollande, beuh d’Afrique, nuances de vert dans tous les cônes / Faut qu’j’arrête de parler d’ça, mais avant j’ai un ze-dou à cramer / Mec, tu connais déjà l’histoire, ça finira dans l’canapé, affalé »

Encore un morceau sur le bédo… au niveau des thèmes abordés, peu de surprises en effet, mais une profonde sincérité intimiste : plus encore que par le passé, le rappeur se livre sans filtre dans l’album. Dès le premier track, Pardonnez-moi, il évoque ses craintes à propos de son parcours, sa vie ou sa famille : « Mon daron m’a dit : fils, tu fais quoi de concret ? Mais tu dis quoi à ton daron si t’es grave pompet’ […] Comment tu veux lui dire : « Papa, faut pas t’en faire ? ». Si c’est son père que le rappeur évoque en premier, c’est à sa mère qu’il dédie un track complet, Mama, en featuring avec Zéfire, artiste de Montréal ; cet éternel mekanana consacre également deux tracks à ses conquêtes amoureuses, deux singles d’ailleurs, histoire de bien enfoncer le clou et de s’assurer que le message passe partout : A2 est vrai au mic, limpide, et s’il ne sait que parler de lui, c’est parce qu’il n’a rien besoin d’inventer pour afficher son talent à la face du game.

« Les rêves dans la rue, c’est faire le pèse sans la chute / Jamais la tête dans la pure, frangin, on saigne dans la lutte / Y’a plus d’partage, chacun veut son bénéf’ et la ture-voi / Pas d’maille et, dans les ténèbres, on assure grave / Mad Max, on a cramé la terre, on n’a plus d’voix / Des pule-cra, des putes crâmées dans des culs d’sac / Dans l’enfer, il n’y a plus d’place »

Je pourrais continuer vous à expliquer comment et pourquoi A2 rappe, mais enfin il l’a si bien fait lui-même que je ne peux que vous conseiller d’aller écouter sa brillante collaboration avec FlyntA la base, et là je crois que tout sera dit : « Quand t’es en sueur sur scène, y’a pas que le succès / Tu veux faire la diff’, rendre fière la mif’ / Que la mama valide, que le quartier rapplique, et on pète la tise / Ouais, j’ai tout misé sur ma team / Depuis gamin, je vais jamais au plus pratique / Je ne ressens aucune fatigue, au fur et à mesure ma plume s’affine« . A2H est toujours jeune et talentueux depuis, quoique légèrement moins jeune et encore plus talentueux pour ce nouvel album : je ne peux que vous conseiller, une dernière fois, de choper l’album : libre à vous.

À proposHugo Rivière

Entêté monocellulaire impulsif, sentimental, très humain et complètement dingue

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