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[Chronique] Abd Al Malik – Scarifications

Lorsqu’on évoque Abd Al Malik, les avis divergent. Mal aimé d’une partie du public rap, l’ancien membre de NAP a souvent fait l’objet de critiques. Rap trop lisse, trop aseptisé, slam, message trop consensuel, bien-pensance, caricatural, name-dropping littéraire à outrance, automythification, etc. Les charges sont nombreuses, parfois justifiées, mais c’est essentiellement de maladresse dont il s’est rendu coupable. On lui reproche d’étaler sa culture littéraire alors qu’il se veut un connecteur de culture. De prêcher le bien, le vivre ensemble, la spiritualité alors que l’époque ringardise les valeurs, adule les rois nihilistes. Malgré ce portrait peu reluisant, Abd Al Malik a toujours fait preuve de cohérence artistique et d’une ouverture musicale indéniable. Je vous invite donc à mettre vos aprioris de côté et à découvrir Scarifications, le nouvel Abd Al Malik.

Son 5ème album solo est composé de morceaux à l’identité forte qui n’ont pas leur pareil dans le rap français. Ce résultat n’est pas tant à mettre sur le compte d’Abd Al Malik que de Laurent Garnier. Ce dernier, DJ et compositeur de musique électronique, a réalisé et produit l’album, avec Bilal, le frère du rappeur. Il lui a donné son univers sonore, sa couleur, sa singularité. Le mélange rap-électro n’est pas nouveau, comme en témoigne Afrika Bombataa (ici), mais une collaboration de ce niveau est somme toute assez rare.

Ce brassage étonne parce que Laurent Garnier ne se contente pas d’apporter des éléments électro dans des instrumentations rap mais adapte sa musique électronique au milieu hip-hop. Pas de superficialité. Ce mélange peut surprendre et rendre Scarifications opaque à la première écoute. Cet album n’est pas taillé pour plaire à un grand public, comme peuvent le laisser penser les apparitions du rappeur à la télévision et dans les journaux généralistes. Le son est sombre, voire froid, et il faut sans doute quelques écoutes pour parvenir à entrer dans l’œuvre. On y entend alors les nuances de l’instrumentation, on y saisit alors la puissance qui s’en dégage.

Sur cet album, Abd Al Malik rappe. Sur chaque morceau, il offre des textes dépouillés du superflu qui lui valent une efficacité enfin atteinte. C’est une analyse sociétale pointue et pertinente qui nous est servie sur les treize pistes de son opus. Les thèmes sont peu novateurs mais bien menés et s’articulent autour de la rue. On passe de son enfance au Neuhof (C’est comme ça) à la couleur de peau (Tout de noir vêtu ici) en passant par la drogue (Initiales CC). Une inspiration que lui a apportée la préparation de son film Qu’Allah bénisse la France. Au-delà des thèmes plus urbains, son retour au rap est aussi marqué par de nombreuses références à ce milieu : NTM, IAM, Les Sages Po’, Lunatic.

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Bien sûr, on y retrouve son amour infaillible pour Wallen sur plusieurs morceaux mais surtout sur le plaisant Love U. On apprécie également le morceau Rain Man avec Matteo Falcone, traitant de la peur inhibant les relations sociales. L’hommage à Daniel Darc figure également parmi les titres les plus marquants de cet album. Sur Juliette Gréco, autre hommage, il sort du cadre, slame et se lâche sur le name-dropping, aussi bien littéraire, musical que cinématographique. Sur le même morceau, Laurent Garnier fait de même en proposant un final progressif et intense.

L’univers mécanique, robotique, rétrofurtiste édifié par la musique de Laurent Garnier amène une résonance nouvelle aux textes d’Abd Al Malik, les plongeant dans une dimension dystopique. Les douleurs de notre époque seront sans doute encore les douleurs de demain, telles des cicatrices qui ne s’atténuent pas. Scarifications. Le clip d’Allogène (ici) en est une bonne illustration, avec son univers futuriste dans lequel Abd Al Malik est vu comme un Alien.

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Abd Al Malik n’est peut-être pas le Roi de France, mais son album est artistiquement réussi et de surcroît excellemment bien produit. Scarifications est le produit d’un vrai duo rappeur-beatmaker dans lequel Laurent Garnier façonne Abd Al Malik pour son plus grand bien. Le strasbourgeois possède une vision du rap que peu ont et on ne peut que se réjouir d’un tel album, ne serait-ce que pour la curiosité qu’il suscite.

3 commentaires

  1. Album assez sordide il faut bien le dire. On savait Abd Al Malik obsédé par son image et sa prétention et là on arrive au bout de cette démarche. Le marketing a des limites et de belles photos et un look soigneusement étudié ne font pas de la bonne musique forcément.

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