Première grosse sortie de cette nouvelle année 2016, l’EP Alph Lauren II fait suite à Alph Lauren I, deux longues années après. Durant cette absence, Philly Phaal en a profité pour se relaxer et retrouver ses proches après une grosse période exclusivement rap : « Je rappe sur le rap car à cause de lui je n’ai plus de vie », écrivait-il dans Flingtro. Pour autant, il n’est pas resté inactif puisqu’on l’a aperçu sur quelques projets comme Feu, Jeunes entrepreneurs de sa clique l’Entourage ou encore Majesté de Lomepal. Surtout, Alpha Wann perfectionne, aime prendre son temps, « On ne peut pas précipiter l’art » justifie-t-il dans une interview de Stay Tuned. C’est ainsi que sort Alph Lauren II, avec le sentiment que l’album n’est pas encore prêt et le besoin pécunier : « Fini d’bailler, faut mailler, ça y est » mais loin l’idée de se contenter du minimum, le Double P Majuscule se permet de monter en gamme alors même que le premier opus était déjà de très bonne facture.
« Quand Alpha Wann chante, l’Histoire change »
L’EP s’ouvre en douceur sur Protocole, morceau amuse-gueule rappé à la cool qui marque le retour et le réveil du rappeur : « Dans mon programme j’élimine la sieste ». La voix et le flow sont à l’échauffement et la prod joue parfaitement son rôle introductif en proposant une progression qui s’achève sur une belle envolée cuivrée. « Mon job n’est pas éducateur » aime-t-il rappeler après « Occupez-vous de vos gosses, c’est pas Phaal qui les éduquera » sur Playoffs pour se dédouaner de toute responsabilité et laisser place à un égotrip maîtrisé et conquérant. On retrouve de l’égotrip avec 1,2,3, dont la prod de Richie Beats sert de terrain de jeu à un Alpha Wann toujours aussi à l’aise avec cet exercice. Alpha Wann est un technicien hors pair et le démontre une nouvelle fois sur Sous-marin, sur lequel ses mots bondissent sur la richesse de l’instrumental. « La vie c’est quoi, sortir d’une femme pour essayer d’entrer dans les autres »
« J’rappe, les oiseaux se taisent » écrivait Oxmo Puccino. Même rengaine pour le prodige de l’Entourage : quand Philly Flingue rappe, tout le monde l’écoute. Religieusement. Il est souvent comparé à Ill ou Dany Dan, mais trop peu à Ox, avec qui il partage également certaines aptitudes : une voix limpide, une diction impeccable, un flow qui transporte. Alpha Wann est parvenu à s’inspirer des meilleurs pour parfaire un style qui lui est maintenant propre, un talent qui le place parmi les meilleurs rappeurs actuels. Sa progression est perceptible sur chacune de ses sorties, la technique est devenue irréprochable, seuls restent à affiner le fond, l’histoire, le message. Mais en a-t-il la motivation, lui qui rappait sur Point d’interrogation : « Pourquoi faire du rap conscient quand tout l’monde dort ? » ?
« Il faut qu’on s’serre les coudes, comme dans mon rêve,
Où les renois niquent les statistiques et redressent les courbes »
Deux rappeurs viennent épauler α1 sur cet EP. Le premier, Nekfeu, offre une énième collaboration entre les deux membres de 1995 pour un morceau sur fond macabre. A coup de passe-passe, A deux pas fonctionne à merveille et leur complémentarité est évidente. S.Pri Noir intervient sur Lunettes noires pour le deuxième featuring de l’EP. Produit par Hologram Lo’, également beatmaker de la moitié de l’EP, le morceau montre une association intéressante entre rap et chant.
Les huit titres s’inscrivent dans une cohérence globale maîtrisée, les prods suivent la direction artistique proposée : basse profonde, bpm ralentis, sonorité électronique, scintillements aigus, ambiance planante, nocturne, nuageuse voire pluvieuse, mais d’une pluie non pas subie et larmoyante mais plutôt décorative et sublimée. On va arrêter là l’hydroponie. Côté textes, ce n’est pas l’originalité des thèmes qui fait la différence – l’égotrip, la maille, les gos, la clique, le foot, les spliffs – mais leur traitement, à la fois pertinent et subtil.
Détour par le Camp Nou avec Barcelone. Alpha Wann égraine les métaphores footballistiques sur une instru mettant parfaitement sa voix en valeur. D’ailleurs, la qualité des morceaux de cet EP est très homogène. Mais s’il fallait désigner, en toute subjectivité, le morceau le moins convaincant, ce serait peut-être Vortex, morceau sur les femmes. « J’avais la passion mais pas le temps pour elle ». Il délivre tout de même, sur fond climatique et astral, des phases insolites : « On veut ramener la plus belle dans le Uber » ou « Si elle te met des vents, c’est qu’elle préfère des mecs plus vieux ».
« Pendant que tu achètes des diamants pour la chienne de ta chienne,
Je schématise, je complote, pour la chair de ma chair »
La fin arrive forcément trop tôt avec le morceau-outro Alph Lauren, articulé en trois parties. Alpha Wann délivre ses dernières prouesses techniques et ses dernières phases cocasses : « Ce grand mince ne se branle pas, mais il se prend en main ». On pourra regretter l’absence de Playoffs, mais peu importe. Alpha Wann sort aujourd’hui un EP dans lequel son sens de la formule, ses placements virtuoses, sa voix charismatique en font une nouvelle démonstration de force. Un opus qui saura conforter un peu plus son aura dans ce rap et préparera au mieux la venue d’un album qu’on attend déjà avec impatience.
« Je suis ambitieux et noir »
[…] Inutile d’en rajouter plus lorsque l’on peut vous renvoyer directement à la chronique de l’EP. […]