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[Chronique] Big Budha Cheez – L’heure des loups

La nuit tombe, Montreuil s’éteint, la lune est pleine. Les sonorités industrielles, grinçantes, règnent. L’angoisse s’installe. La ville devient M. City, le Gotham montreuillois. Le Big Budha Cheez est prêt à en découdre. C’est L’heure des loups.

Dès l’introduction, le ton est donné par Prince Waly et Fiasko Proximo, les deux membres du Big Budha Cheez. Ils ont voulu privilégier atmosphères et émotions pour leur premier album. L’objectif est rempli. Du haut de leurs 24 ans, les deux amis d’enfance n’en sont pas à leur premier coup d’essai. En 2013, résonnait déjà l’excellent M. City citizen sur l’EP éponyme. La même année, c’est la mixtape Big Budha Cheez & DJ Med Fleed qui leur permit d’aiguiser une technique déjà bien au point, avec notamment un certain Jazzy Bazz en featuring. Le groupe décolle, bien soutenu par le collectif Exepoq qui participe à la réalisation de leurs projets.

« La vie : un long métrage mais sans trailer » L’heure des loups

Générique terminé, le film commence. Un film qui va nous emmener pendant onze titres dans un voyage spatio-temporel, un voyage dans les années 90 dans une ville mi-réelle, mi-fictive nommée M. City. Triple C « Ma chérie, ma caisse et mon cash » en est le point de départ. Prince Waly et Fiasko Proximo fantasment sur les grosses cylindrées qui les font si souvent rêver. En attendant, le premier n’a pas le permis et le second roule en vieille Volvo S70. Le beat apparaît, le rythme accélère, l’ambiance est toujours industrielle et peu rassurante. On entre dans M. City.

On ralentit légèrement, mais toujours cette ambiance inquiétante. Vice et vertu met à l’honneur l’art du storytelling pas toujours très visible ces derniers temps. Les images défilent et narrent des histoires mafieuses qui rappellent cet autre temps que les deux rappeurs chérissent tant. C’est leur forme de prédilection, tout sonne comme à cette époque révolue. Les instrus concoctés par Proximo sont souvent linéaires et utilisent des samples peu nombreux mais très efficaces.

« Continue d’jeter ton argent par les fenêtre
Moi j’suis en-bas avec le sac grand ouvert » Goldman Sachs

La route continue avec Goldman Sachs, morceau mis en avant et en vidéo par le groupe. Le clip est évidemment tourné en noir et blanc et sur pellicules. L’instrumentale est marquée par un sample à la limite de l’acharnement. Le titre, tiré de la célèbre banque américaine, traite de l’argent, thème récurrent chez BBC. D’abord envié non sans humour et second degré, il apparaît souvent sale au point que ses convoitises sont remises en question.

On se pose 3 minutes 53 avec Mercure. La tête sortie des caniveaux est maintenant tournée vers les étoiles. La nuit est le moment idéal pour la contemplation cosmique, l’évasion et les questions existentielles. L’atmosphère devient aérienne, spatiale. Il faut dire que ce morceau est particulièrement réussi.

« L’espace : ma limite, les étoiles me calment
J’vois la voie lactée, le silence me parle » Mercure

Big Budha Cheez pousse la notion de concept total au maximum. On disait que tout sonnait années 90 chez eux. Ce n’est pas seulement du aux choix des prods mais aussi à l’enregistrement des pistes. Tout est analogique et les prises sont réalisées sur bande magnétique. Ce travail est long et fastidieux et demande de l’organisation en amont et en aval de l’enregistrement. Mais au-delà de la démarche, le gain sonore serait indéniable. En analogique, il n’y a pas de limite du à la saturation, le son gagne en profondeur. Autre aspect, les bandes coûtent chères. Waly et Proximo n’ont droit qu’à quelques prises pour chaque morceau.

Pause terminée, la marche en avant dans les ténèbres d’eM cité reprend de plus belle. Diminutif d’Emerald City, c’est de là que Montreuil tire son surnom nocturne. Cette ville est le décor de la série américaine Oz des années 90. Le synopsis annonce : « dans cet univers clos et étouffant se recrée une société terrifiante où dominent la haine, la violence, la peur, la mort. Où tout espoir est vain, où la rédemption est impossible. » Les références dans l’album et en particulier dans le morceau y sont nombreuses. « Oz, M city : ma vision des choses, c’est pareil ».

« Les ennemis ont de belles robes alors j’suis prêt à en découdre
J’efface les preuves en lavant les coudes » P

Après tant de violence, un message de P. Grésillement, sample planant à l’ancienne, le morceau est plus personnel et met en avant les émotions. La musique et les images nous emportent, le track est encore une fois très réussi. Douceur et joie également avec Mes patrons. La famille y est chérie et réconfortante malgré les aléas de la vie.

« Ma mère m’a toujours bercé, même dans de beaux draps
J’fonce dans l’mur, faut qu’je réussisse à l’percer » Mes patrons

Détour par le club l’Apollo. Morceau dansant, mais pas pour s’amuser. La description est accablante : les apparences et l’argent règnent. On a aussi hâte de quitter cette boîte de nuit qu’eux ; le refrain répétitif devient irritant. La discothèque dans le rétro, le jour n’est pas loin de se lever. Avec (…) le ton redevient grave. Le morceau passe-passe voit Waly et Proximo croiser le fer et enchaîner les référence 90s à coup de name dropping. Leur complémentarité est d’ailleurs évidente et leur complicité certaine.

« Jamais au sans fil, Cole, roule en Benz, roule aussi des patins
Regarde sa nouvelle paire d’escarpins
Tu crois qu’elle a bossé pour ?!
Vos salaires pires que voir Hasselof s’noyant, criant : « Au secours » ? » (…)

Le tour de la ville se termine. Au bout de la nuit, on refait le monde. L’époque choque fait un constat amer de l’état de la société. L’instru bien que linéaire est terriblement efficace et est magnifiée par le duo de samples vocal et musical. Comme sur l’ensemble de l’album, les flows des deux Montreuillois sont remarquables ; leur diction est limpide et épouse la rythmique. Ils affichent un niveau de technique élevé qui met en valeur des placements maîtrisés. Les phases sont recherchées, les schémas de rime et les images sont éloignés des lieux communs malgré des thèmes pas vraiment originaux.

Ce premier album de Big Budha Cheez est une réussite. Au-delà d’une écriture et d’une technique maîtrisées, ils sont parvenus à suivre une direction artistique clairement définie. Les instrumentaux de Proximo transcrivent à merveille cette ambiance qu’ils aiment tant. On peut juste reprocher que cette atmosphère est parfois étouffante. Le style 90’s n’est pas superficiel chez Waly et Proximo, toute leur démarche et leur philosophie sont ancrées dans cette époque. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont passéistes, leur textes sont bien actuels et s’adressent à tout le monde. Ils ne sont pas seulement artistes, mais aussi artisans compte tenu du travail en analogique qu’ils se sont imposés. Un travail qui paie au vu du résultat et, dans d’autres circonstances, ils auraient sans doute mérité leur place dans l’école Time Bomb.

5 commentaires

  1. Salut,
    Je ne connaissais pas ce groupe, mais peu de temps avant la sortie de cet album, je me suis embarqué dans leurs monde, le retour « à l’ancienne ».
    VHS, enregistrement sur bande, et prod épurées et profondes!
    Même leur manière de rapper sent le passé!
    Bref super surprise, et pour l’avoir fait tourner en caisse pendant 1 mois, je peux vous assurer que ces rappeurs n’inspirent que le respect auprès de mes potes qui d’habitude préfèrent prendre les transports que de monter dans ma voiture…!
    Une bien belle initiative, et une création originale qui sent bon le passé, le présent et le futur!

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