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[Chronique] Black M : Les yeux plus gros que le monde

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Il y a de ces albums dont la promotion est meilleure que la production. Fort d’une annonce novatrice et originale, beaucoup d’espoirs avaient été placés dans le 1er solo de l’MC. Malheureusement, Les yeux plus gros que le monde de Black M est à rajouter au death note. Un vrai condensé de paroles fades et plates rythmé par une musique pop, l’album à single du rappeur se situe à mi-chemin entre musique dance floor et morceaux d’introspection pseudo-émouvante. Ce choix débouche nécessairement sur une ambiance vue et revue, abordant des thèmes plus que banals et nous laissant un goût amer après l’écoute des 19 titres. Un ou deux morceaux viennent sauver l’honneur d’un projet qui tombe à l’eau. On a décortiqué l’album pour vous.

Ce dernier s’ouvre sur des bruits d’orages, des onomatopées, et des paroles lointaines qui résonnent en écho: les yeux… plus gros… que le monde !!! Pendant 40 secondes, Black Mesrimes tente d’installer une atmosphère mystique en chuchotant le nom de l’album, avant de venir rompre totalement le rythme avec un beat saccadé et haletant, dualisant totalement l’intro si bien que l’on ne sait sur quel pied danser. Contrairement à Maitre Gim’s, le gourou de la Sexion, qui était arrivé à mettre en place une vraie ambiance lugubre après 2 minutes 50 d’intro poignantes à la Era, Black M rate son opening, qu’il termine avec ces paroles: « Tout le monde dit Black !« . La machine est lancée.

S’ensuit Ailleurs, qui laisse plus place aux effets spéciaux qu’aux paroles d’Alpha Diallo : les instruments se chevauchent, la basse ne trouve plus sa place dans tout cet embrouillamini et la mélodie peine à prendre le dessus. Le tout aboutit nécessairement à un mauvais morceau et l’on commence à se demander sérieusement s’il faut continuer de se passer du Blacky. Mais là intervient la première chanson réussie, qui donne la force et l’espoir nécessaire pour s’atteler à l’écoute intégrale du projet. Dans Spectateur, Black M se pose et observe une vie trop gore dans laquelle tout le monde est confronté à ses propres démons et où le Sheitan est le seul spectateur qui applaudit. C’est un des seuls morceaux où Black M développe un point de vue, certes relativement banal, mais pour une fois bien présenté, tant sur le fond que sur la forme. De cette écoute, nous sortons renforcés avec le doux espoir que l’album prenne un nouveau tournant. Mais on replonge pourtant bien vite.

Avec Madame Pavoshko, Alpha nous entraîne dans les abysses de la pop. Quelle déception d’entendre un rappeur avec autant de technique que Black M nous servir une telle soupe. On n’avait pas fait aussi pop depuis Pitbull. Malgré le refrain légèrement entraînant, ce n’est pas de la pop qu’on veut, mais du rap: est-ce vraiment trop demander ? Au niveau des paroles, rien de nouveau bien sûr. De toute façon, il est difficile de passer sur un tel sujet après Keny Arkana, qui a magistralement traité de cette question avec Eh connard.  Les morceaux passent et se ressemblent: tantôt insipides et sans faveur, tantôt légèrement rythmées. On les traverse sans grand intérêt. On s’arrêtera cependant sur Casse pas ton dos, forte condamnation du twerk, qui nous rappelle nécessairement « Anti-tecktonick« , morceau sorti en 2009 par la Sexion d’Assaut. Il y a donc un fort rejet de la danse à la mode chez Black M. Ici, Black M pose sa voix sur une instru à gros claps et percussions, prolongeant son album décidément pop. Quinzième chanson, on ne peut même plus se permettre d’être déçu par la production, mais juste accepter la tournure qu’a pris le projet.

Mais Blacky nous a réservé deux surprises avant de clore le projet. La première est Le regard des gens. Quand les paroles retentissent (« Les gens me regardent bizarre/Si j’ai fait du mal dites moi« ), on se dit tout de suite que la chanson traitera du racisme dont il est peut-être victime, thème ultra-récurrent et qui en devient presque barbant. Mais non, Alpha prend ici la défense des obèses et… des nains ! Oui oui, vous avez bien lu, Black M a décidé d’écrire une chanson pour parler de la discrimination dont sont victimes La Boule et Passepartout. Effort louable d’autant plus que cette prise de position est tout à fait inattendue.  Ce n’est pas sur la forme que Blacky fait la diff’ puisqu’il continue dans son délire d’instru exotique, presque tropicale (vous comprendrez en écoutant le morceau), mais sur le fond, en abordant un thème encore jamais exploré jusqu’à présent. La satisfaction est de courte durée puisque arrive tout de suite Solitaire, que nous passerons sous silence pour ne pas dégrader encore plus que ça son projet.

Mais arrive enfin le meilleur son de la tape : Blacklines. Enfin ! Enfin on retrouve Black M, le vrai, le bon, celui qui use de ses gimmicks et onomatopées pour servir un rap de qualité bourré de punchlines, mêlant conscient et réflexion (« Dis moi avec qui tu traînes, j’te dirai rien, y’a que Dieu pour juger« ) pour nous apporter un plateau de paroles kiffantes. On retiendra de ce morceau que c’est le bras qui permet à l’album de rester accroché à la falaise pendant que tout le corps chute dans les ténèbres de la pop cachée au fond du précipice. Après 4:16 de vrai rap, on retrouve l’outro qui, bizarrement, n’est pas si ratée que ça. Mélangeant de gros claps à une guitare entraînante, Sur ma route est une inattendue réussite, si l’on s’est résigné à prendre les sons comme de la pop et non plus comme du rap.

Le projet se termine sur une bonne note, qui ne permet pourtant pas de nous faire oublier le reste de l’ensemble. Un concentré de mots sans sens, de paroles sans envergure, de flow sans entrain, et surtout, surtout, de chansons sans rap. Nous ne pouvons pas nous permettre de critiquer l’artiste en lui-même. Black M a lâché des couplets de fou dans toute sa carrière et a démontré ce qu’il savait faire. Même les morceaux annonçant la sortie de l’album (je pense notamment à Les yeux plus gros que… l’an 2014Black kickait 5 minutes de prod à l’ancienne) étaient au dessus de l’album. Le rappeur a choisi de prendre une direction nouvelle, de s’orienter vers un nouveau style d’instru et de rap. Car non, il n’oublie pas sa musique de prédilection, mais ne fait que l’exploiter vers un univers nouveau qui satisfera les fans de base branchés sur M6 et NRJ, mais ne pourra pas gaver les anciens qui suivent la Sexion depuis plus longtemps que L’Apogée. Alors la question mérite d’être posée : Black M aurait-il eu les yeux plus gros que son talent ?

À proposLeo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Monkey D. Luffy, Kenneth Graham et Lana Del Rey, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu avoir une petite soeur, aimer le parmesan, et écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge". Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.

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