Alors que le dernier album de Dooz Kawa s’est salement fait désirer, on lui pardonne cette attente à l’écoute des premières notes. Avec une mandoline charmeuse pour tympans exigeants, la mise en bouche penche à l’Est : 3 albums et 2 EPs plus tard on reste dans les Balkans. Mais ici les Balkans sont underground, les chats tout noirs ou tout blancs dansent sur le tempo des gitans pour que la vie reste un miracle. Amen.
Bohemian Rap Story, la voilà la galette ! A l’instar du Bohemian Rhapsody de Freddy Mercury gravé comme étape décisive dans la consécration de Queen, on peux souhaiter au MC un accueil unanime du public pour cet album déjà sur-validé par Le Rap En France. Si quelques tracks-pépites se détachent très vite de l’album (Guillotine, Chasseur de rimes, Brako, Trop jeune pour dormir), on savoure néanmoins la totalité du projet avec des instrus toujours grattant des cordes qui mettent à l’aise et détendent le string. La pochette superbement réalisée par l’espagnol DULK offre quelques rêveries ça et là au travers des recoins, des derrières, des dessous, des bleus presque violets et des violets presque roses. On s’y perd comme dans la musique de Dooz, dans une cruelle naïveté, un monde imaginaire avec des sentiments réels.
Sur le premier titre de l’album, Me faire la belle, Dooz suggère une balade sur une voie lactée avec la voix cassée, il semblerait que la sérénade aie été jouée trop longtemps au froid sous des fenêtres closes. L’angine comme auto-tune, Dooz Kawa donne de lui et on est plutôt rassuré d’entendre le reste de l’album exempt de souci guttural !
Dooz Kawa qui jusqu’à présent n’était pas un friand des feats, a collaboré avec d’autres MCs sur 4 des 12 tracks. Et parce que le rappeur a su s’entourer de personnalités compatibles (Lucio, Anton Serra, Dah Conectah, Hippocampe fou…), la présence de ces voix semble familière et s’adapte aux instrus qui sentent bons l’Europe de l’Est. Le seul bémol de l’album pourrait être le track Gel douche au chocolat en feat avec Tekilla Emtooci dont la participation ressemble davantage à un freestyle. Mais entre nous quand sur 12 tracks on en zappe un seul, on peut dire que l’album est une réussite.
Pour exemple, le titre Guillotine, qui propulse l’auditeur directement sur un ring occupé par Lucio et Dooz contre les autres. Ici la boxe et son vocabulaire sont utilisés comme métaphore de l’egotrip. « Je pratique l’absorption donc tes phases ne me touchent pas, désolé mais, comme Bernard Hopkins, yo, je me couche pas ». Les samples tirés du combat de retour de Mike Tyson ponctuent le track partagé entre les deux MCs. C’est DJ Widsid qui conclut le combat sur des scratchs et une série de samples qui régaleront les diggeurs en mal d’identifications.
Avec un gros coup de cœur pour le titre Brako, Dooz Kawa et Hippocampe Fou se livrent à la description d’un duo de braqueurs idéalistes impeccablement soulignée par les instrus vaporeuses et enivrantes de Gentle Mystics. Chanter un braquage raté est un thème qui va dans le continuum de Dooz Kawa et de son badboy en marmelade. Il y a toujours cette candeur romantique pour parler du grave. Toujours ce mélange d’influences tziganes, rock, rap comme identité singulière du rappeur.
Contrairement aux précédents projets plus intimistes qu’on écoutait solo chez soi avec l’impression narcissique d’être seul à pouvoir comprendre le sens des textes, le dernier album de Dooz Kawa a gagné en musicalité et s’écoute en terrasse, du premier verre jusqu’à la chute. Bohemian Rap Story est certainement l’un des meilleurs albums rap de 2016. D’ailleurs on me dit dans l’oreillette que l’album est épuisé (quand on te dit de pré-commander… Maintenant tu vas te frotter au difficile principe de réalité et attendre sagement la seconde fournée).