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[Chronique] Booba – Trône

C’est l’histoire d’une ascension, de son apogée annoncé. Une vingtaine d’années de faits d’armes, combines et autres coups d’éclat pour finalement s’approprier l’ultime prestige, le premier et le dernier des honneurs : le Trône.

En rap, nul droit du sang ne peut justifier tel sacre, seulement le sang – cette couronne rougeâtre de couverture nous le rappelle : « pour le trône, tout se règle par le sang ». En rap, il ne suffit pas de le dire pour s’élever du siège de D.U.C au Trône royal. Il faut le disputer, le mériter de manière incontestable et éclatante. C’est notre histoire. Et sa couverture seule pourrait suffire : un portrait de Booba de profil à la mode médiévale, couronné, en armure prêt au combat, le regard baissé comme plein d’humilité, et une police sobre, formant un titre confortablement étalé sur toute la longueur, majestueusement.

Si t’enlèves Élie Yaffa, t’enlèves un roi

Au commencement, Booba livra bataille – il ne pouvait en être autrement pour atteindre le trône. Car accéder à la dignité suprême, c’est d’abord prouver sa force. Trône est un album guerrier. Dans leur majorité, les titres y sont violents et insolents, tout entiers consacrés à la brutalité musicale et à l’étalage d’une virtuosité forgée au cours de nombreuses années de pratique agonistique.

Kopp ouvre ainsi les hostilités en se faisant Centurion de l’armée romaine sur une instrumentale orientalisante et entêtante assez inédite dans son œuvre, succinctement découpée en un seul couplet agressif fait de rap autotuné millimétré, aux accents épiques, presque révolutionnaires. Le hors-projet Daniel Sam notamment promettait une maîtrise encore plus élaborée du procédé : l’album confirme dès son ouverture. Booba, sa voix et son flow, n’ont jamais été si bien prolongés. La force n’est plus seulement dans la violence du flow, mais aussi dans ces distorsions conférées par l’autotune flagrantes en fin de mesures, qui exacerbent l’épaisseur, le poids de la voix et du discours, avec un savoir-faire souvent imité mais que rarement égalé.

Procédé que l’on retrouve dans une certaine mesure au refrain rappé de Drapeau noir, grisant, alternant très habilement phases autotunées ou non pour officier dans la tranquillité et la férocité tout à la fois. C’est pourtant le second aspect qui caractérise le morceau dans son ensemble, où Booba nous annonce que la couronne est désormais portée par un hors-la-loi, que dorénavant le sujet sera pirate. Tout naturellement donc, le heurt des flows y est sans pitié, l’abordage des rimes sanguinaire, l’assaut de l’egotrip vicieux, dans le style binaire et percutant consacré depuis D.U.C – « un noir pendu dans ma rétine, du sang d’esclave sur ma tétine ». Lorsque Kopp s’emploie à kicker sans modifications vocales, il donne à présent dans l’austérité : les flows sont brefs et incisifs, les mots et le discours condensés au maximum, même comparativement à son travail antérieur.

C’est exactement ce style de flow et d’écriture qui fait la force des véritables coups de tête rapologiques que sont Nougat et Terrain – « pas de « je t’aime » que des œdèmes ». Pas d’autotune ici, que de l’egotrip rappé direct et implacable. Le premier se révèle furieux et insolent : le flow rapide et percutant, combiné à une binarité accentuelle exacerbée, poussée au maximum, aboutit à une interprétation viscérale, une frénésie oratoire impitoyable, une folie meurtrière musicale. Tandis que le second se montre moins véhément, plus chirurgical et assuré dans l’exécution. Plus sinistre, donc.

La noirceur et la furie ambiantes sont soutenues par des productions inquiétantes et torturées. On retiendra surtout celle de Terrain, une instrumentale dirty menaçante et ténébreuse, dont les variations de basses et la mélodie revêtent une tonalité délétère, presque morbide, qui à elle seule justifie l’avertissement parental au front de l’album. A l’instar de la production fringante et détendue de Drapeau noir, celle de Terrain est signée par Twinsmatic, d’ailleurs producteurs les plus présents auprès du Trône.

Mais chez Booba, la violence et la gravité ne sont jamais bien loin de l’humour et de la désinvolture. Au milieu de cette boucherie musicale il n’a de cesse de railler des antagonistes, réels ou imaginaires, dans une impulsion ironique typique de son egotrip ici intensifiée, comme d’ailleurs chaque trait de ces morceaux-coups de poing. La première mesure du refrain de Terrain est ainsi très emblématique de l’ironie boulbesque, de son sel et de son piquant : « Beaucoup trop d’banlieusards au shtar, le responsable c’est leur bigo (Allô) ». Quant à Nougat, les nombreux ad-libs narquois et impertinents sont certes amusants, mais c’est bien son refrain, monument d’auto-dérision et d’irrévérence, qui fait toute la sève de son humour bien noir : « La juge m’a dit « Pourquoi t’as fait ça ? » (pourquoi ?) / Ounga, ounga, ounga, ounga (ouh) / Caramel, moula, le nougat / Voilà pourquoi madre puta ».

Transition toute trouvée pour le dernier titre guerrier de l’album, 113, dont le refrain aussi est bâti sur une moquerie polyglotte : « Zerma tu cuisines tu bibi, rien du tout tu n’as pas de klawi juice ». Booba s’y déploie sur une autre de ces instrumentales sombres et angoissantes avec un nouvel egotrip dédaigneux servi par des flows fauves et incisifs – une recette qui matérialise effectivement la noirceur et la puissance du Trône, ici augmentée d’un autotune aux résonances lancinantes. Même champ de bataille pour un autre angle d’attaque avec le MVP de l’année 2017 Damso, interprète d’un couplet rappé au flow extraordinairement souple et complexe qui restera dans les mémoires ; sans même parler du texte : « t’as pas de flow donc tu fais l’ancien ». Une combinaison 92i redoutablement efficace.

Passent les gos, passent les euros, passent les années
Passent les clashs, guerres, ma carrière est cellophanée

Pourtant, Trône n’est pas qu’un récit de guerre, simplement parce que l’occuper ne se résume pas à la faire. Une fois la guerre remportée, il s’agissait de régner. Et d’ainsi éprouver la face cachée du trône, celle qui n’est pas désirable et dont seul celui qui était désormais son possesseur put prendre conscience, celui qui presque dix ans plus tôt dans Marche ou crève avait déjà constaté l’angoisse qu’il peut inspirer : « Faut qu’les rappeurs arrêtent d’émettre / Ils ont laissé des gouttes de pisse sur le trône, comme dans les toilettes des mecs ».

Car le roi n’est pas plus protégé que le commun des hommes de l’écueil de sombres sentiments, la mélancolie à leur tête. Et assumer le trône, c’est aussi assumer ces élans noirs, mais humains. Dans une tonalité pathétique exceptionnelle et sur une composition languide et éthérée des sieurs Keezy Beatz et Heezy Lee, Booba livre une pièce de mélancolie guerrière d’une rare intensité avec Friday. Un autotune rappé et chanté de tout premier ordre, dans son style concis si caractéristique, dense de punchlines en tous genres – le pont ainsi que le second couplet constitue à cet égard des perles de l’esthétique misanthrope et désinvolte qui traverse le morceau. Somme toute un regard en arrière jeté depuis les cimes, une réminiscence mêlant amertume et violence dans les mêmes mots, dans les mêmes flows.

Dans la suite de Friday, le morceau éponyme insiste encore : le trône n’est pas que bienfaits et privilèges. Il ne se conquiert pas en une bataille, pas en un album. C’est l’aboutissement et la récompense d’une guerre interminable, d’une carrière incomparable qui imposent le respect et la légitimité à la couronne. Sur le Trône, Kopp assied donc sa position dans le paysage rapologique français avec un chant autotuné mélancolique et lugubre, comprenant un unique couplet rappé tout autant amer. Il est sublimé par des modifications vocales saisissantes, sur une production paisible et cristalline du bien-nommé Dany Synthé. La suite spirituelle du titre de 2010 Comme une étoile ; mais sa tonalité et sa musicalité si singulières, encore assez inégales alors, ont atteint un nouveau niveau de maîtrise, s’accordant parfaitement pour exprimer les vicissitudes du règne, pour illustrer la face sombre du trône.

Le pouvoir est pourtant incompatible avec la fragilité d’âme et les élégies sans fin. Le morceau Magnifique commence comme l’une d’entre elles, avant de vite nous remémorer une caractéristique essentielle de la puissance royale : immaculée et respectable de loin, elle devient menaçante et cruelle lorsqu’on s’en approche. Un titre grandiose, un piano candide qui tournent au drame et au sang, à l’egotrip venimeux et aux basses pesantes : Magnifique, c’est une embuscade, un impitoyable rappel du pouvoir royal, de son imprévisibilité et de son ambivalence. L’aspect grave et oppressant de la piste instrumentale appuie la violence de l’egotrip condescendant de Booba, qui y réaffirme sa position de force à coups de punchlines hostiles et acerbes, après une introduction chantée courte et suave – le tout dans ce rap adroitement autotuné qui fait sa signature. Une nouvelle preuve de légitimité s’il en fallait une, doublée d’un avertissement féroce.

« Booba », « échec », j’n’ai pas trouvé de lien
Parler de mes défaites, c’est ne parler de rien
Fuck la retraite et je ne regrette rien
J’ai fait ma recette et je le mérite bien

La vie de souverain est certes peines, affrontements et responsabilités, mais aussi fastes et plaisirs. Booba ne s’en priva pas. Trône, comme tous ses prédécesseurs depuis une dizaine d’années, renferme son lot de morceaux légers et de tubes estivaux, méthodiquement conçus pour faire bouger les têtes, et plus si affinités.

Le titre le plus représentatif de cette facette de l’album est sans conteste Ca va aller : Sidiki Diabaté l’homme de Validée nous y sert une production aux sonorités africaines et un refrain ultra entêtants, tout entiers consacrés aux joies de la danse, en compagnie d’un Niska dans une forme olympique. Il y interprète d’infatigables ad-libs, un chant autotuné guilleret et un couplet rappé mordant, pas toujours munis d’un sens intelligible mais indéniablement infaillibles en matière d’excitation des cervicales. Booba n’est pas en reste : son couplet s’ouvre sur un autotune rappé dans une cadence très rapide rare chez lui, alignée avec la frénésie de la production ; autotune qui devient un chant plus nonchalant, avant de revenir sur la première phase de rap, renouvelée par un flow plus tranquille et assuré. De l’afrotrap de qualité royale, pleine de variations oratoires et instrumentales qui compensent la répétitivité de la ligne mélodique.

Le morceau A la folie propose un registre semblable, attaché à des préoccupations moins prestigieuses et à des sonorités plus détendues. Kopp y évoque certains aspects de sa relation aux femmes, à sa manière si particulière, empreinte d’égoïsme pragmatique et de franchise vulgaire, sans se prendre une seule seconde trop au sérieux – l’intro suffit amplement à le signifier : « Je n’arrive pas à m’attacher / C’est un problème / C’est un gros gros problème / C’est un problème / C’est un très gros problème ». Mais il ne faut pas s’y tromper : tout cela n’est que prétexte à un son de club, à son instrumentale tropicale, à son chant autotuné aux accents intenses et tordus, à ses ponts et ses refrains grisants. Chacun d’entre eux est conçu pour se loger inextricablement dans les crânes, dans un esprit comparable au morceau Validée quoique musicalement plus denses et riches. Amateurs de rap s’abstenir – laissez place à la danse.

Nouvelle oscillation vers un thème amoureux, moins rudement traité cette fois. Mais de même, le discours et son contenu sont ici secondaires : Ridin’ nous embarque pour un voyage musical planant et serein, lumineux en comparaison des autres faces du Trône. La production élaborée par DavBeatz et Twinsmatic y est pour beaucoup – douce, estivale et vaporeuse, ses nappes superposées ne peuvent qu’inciter à la quiétude la plus totale.

Booba la ride à merveille avec un autotune suave qui traverse le morceau, rappé posément aux couplets et langoureusement chanté aux ponts et aux refrains. Les flows qu’il développe sont enivrants et versatiles : le mot éponyme, « ridin’ », fait à lui seul l’objet d’une intro et d’une outro différentes dans la prosodie et la modification vocale, analogues dans leur légèreté aérienne. Idem pour le refrain, qui fera infailliblement sombrer dans l’allégresse un auditeur légitimement surpris par cette atmosphère, peu commune chez Booba. Ridin’, en plus de représenter le moment le plus chaleureux du Trône, sera peut-être retenu comme le plus original et novateur, et deviendra probablement l’un de ses plus grands succès.

Reste enfin Bouyon, plat haïtien et recette de Booba plus traditionnelle en compagnie d’un frère d’armes familier, Gato, présent sur chacun de ses albums depuis Futur. Son couplet en créole haïtien officie dans le kickage percutant, classique mais efficace, à l’image de cette piste instrumentale notamment composée d’un piano doux et de percussions trap assez convenus, pas moins implacables. Quant à Kopp, son couplet fait de même dans le rap virulent, alors que le refrain et le pont affichent un chant autotuné vulgaire et entêtant à souhait. Un titre simple et généreux, qui offre de quoi plaire à tout le monde sans prendre les risques pourtant coutumiers du couronné.

Sans eux je n’suis rien
Je n’suis là que pour elle
Rien d’autre, le reste vaut pas la peine
Je perdrais tout pour lui
Ne passerai jamais d’l’amour à la haine

« So tell me motherfucker, how could you die for the throne / When you don’t even got the fuckin’ heart to die for your own ? », demandait Immortal Technique. En dernier lieu, un roi doit savoir discerner les priorités dans l’immensité de ses responsabilités. La guerre remportée, le trône acquis et la concorde imposée, il convenait désormais de songer à la pérennité de son œuvre, à son héritage – à sa succession. Car si le règne d’un homme est bien éphémère, celui d’une dynastie perdure.

Dans un élan introspectif et avec une sensibilité émouvante devenus rares dans son rap, Booba livre tout son amour pour sa Petite fille dans le chapitre final du récit de son avènement. Sur une production extrêmement sobre et délicate, faite d’une mélodie de piano sans percussions agrémentées de quelques ajouts musicaux, le despote du game pose un long couplet unique : un chant autotuné empreint de mélancolie et rempli de punchlines crues, de tournures soignées, de répétitions et de variations textuelles millimétrées. La conclusion poignante du morceau et de l’album achève la promesse d’un amour éternel à sa descendance, et assure la postérité de sa lignée et de son legs, canonisant Booba au rang des rares bienheureux qui auront pu vieillir « sur l’trône à jamais amigo ».

Fais la guerre avec style imbécile inspire-toi de ma carrière
C’est bien de niquer des grand-mères p’tit négro mais faut l’art et la manière

« L’art et la manière » – autrement dit, le « style ». Le premier atout du rappeur, et de Booba. Instrus lourdes, flows agressifs et punchlines cinglantes ne suffisent pas ; il faut la personnalité qui va avec, la vision propre qui garantit la singularité et la pérennité de son œuvre. C’est peut-être cela, le secret de l’immortalité apparente de Kopp : la puissance de sa vision, l’excentricité de sa personnalité, l’unicité de son style, conjuguées à de constantes évolutions, à un renouvellement permanent qui n’ont à aucun moment remis en cause ce noyau originel et ont permis à son art de traverser les décades sans se fatiguer ni fatiguer. « T’es témoin d’un mariage gay entre une Kalash’ et une plume / T’en as deux, une dans la bouche et l’autre dans le croissant de lune / D’puis 0.9 ils critiquaient mais ont tous saigné l’autotune ».

Ce noyau originel, dans Trône, il se traduit par une bonne part de boulbesqueries conventionnelles : une gamme toute neuve d’ « izi », des jeux de mots un peu gamins et très vulgaires, des flows rudes, de l’egotrip insolent, des productions violentes. Mais cette substance primordiale ne se limite pas à des lieux communs, et dans la suite de Nero Nemesis et de son renouveau, Trône constitue l’histoire d’un Booba parvenu à maturité rapologique – à son apogée artistique.

Pour s’en convaincre, il suffit d’examiner le nombre et la variété d’adjectifs et d’adverbes qu’on lui a accolés : tour à tour (parfois simultanément) guerrier, mélancolique, moqueur, sombre ou chaleureux, le neuvième album solo du duc devenu roi se veut ultra polyvalent, proposant des ambiances différentes, parfois franchement contradictoires, à chaque morceau ou presque. Ainsi de ses usages multiples mais pas systématiques de l’autotune, qui pourra soutenir la profondeur d’un chant amer comme la force d’un rap enragé ; ou de la structure musicale et poétique composite du projet, qui s’ouvre sur le belliqueux Centurion et poursuit brièvement sur un registre guerrier, avant de se bigarrer et de s’achever sur une Petite fille vibrante de pathos. Imprévisible, et universel – un roi ne peut se contenter d’être un bon conquérant, un bon régent ou un bon vivant : il doit être tout cela, successivement et à la fois.

Des tubes radiophoniques, des élans lyriques et des saletés souterraines, donc – Trône, c’est presque tout Booba en un disque. Il y reprend, développe et synthétise « avec style » les plus grands traits de son esthétique et de sa technique, se faisant même pionnier dans certaines expérimentations. On pensera surtout à Ridin’, dont la tonalité et la musicalité apparaissent comme quasi inédites en rap français. On retrouve encore cette volonté de synthèse dans la concision des tracks et de l’album, le plus court de sa discographie : trente-neuf minutes sans compter les bonus, et six pistes sur treize n’atteignent pas la barre des trois minutes. Ridin’ nous le rappelle – densité et efficacité sont les mots d’ordre : « J’fais dans la perf’ pas dans la longueur, vous le savez ».

Mais c’est précisément ce qu’on pourrait lui reprocher : la synthèse rend l’innovation difficile, et si la structure de l’album est imprévisible, les productions et les morceaux eux-mêmes, comparativement aux projets précédents qui nous avaient pour la majorité accoutumés à des percées fondatrices, ne s’éloignent que peu des sentiers déjà battus par Kopp – des sentiers où il règne en maître (« j’ai la main mise sur le sale »), mais néanmoins défraîchis.

Les bonus tracks renforcent cette impression ; DKR et É.L.É.P.H.A.N.T sont d’excellents morceaux, mais ne s’accordent que peu avec les autres pistes, et plus encore ont été révélés en septembre et juillet 2016 respectivement, soit plus d’un an avant l’apparition du Trône, rendant leur présence en son sein ardue à justifier autrement que par le désir d’étirer l’œuvre finale, et affermissant malencontreusement cette sensation intermittente de déjà-vu. Mention spéciale pour Tout ira bien pourtant, dont provient la citation qui entame cette conclusion et qui aurait pu être le véritable épilogue de l’album, consécutivement à Petite fille. Ses sonorités électroniques prééminentes et sa rengaine de l’ode à Luna ne manqueront pas d’étonner, voire de déplaire, mais offrent une expérience musicale originale, jamais vue chez Booba, et pimentent ainsi une recette jusque là plutôt familière.

Les featurings aussi demeurent dans une certaine zone de confort. Peu nombreux, ils réunissent des artistes proches de Booba, avec lesquels il a déjà collaboré au moins une fois. Quoiqu’il soit difficile de ne pas trouver l’apport de Gato relativement dispensable, l’harmonie musicale qui s’établit avec Damso ou Niska explique ces choix, faciles mais furieusement efficaces.

S’entourer de ses familiers, considérer et condenser les choses dans leur ensemble, se répéter pour le faire – c’est peut-être le lot de la maturité. Si l’évolution représentée par Trône s’avère somme toute assez modeste en comparaison de ses analogons antérieurs, c’est précisément parce qu’il incarne une synthèse, l’aboutissement mûri du processus unique et complexe qu’est la longue carrière de Kopp. Trône était déjà dans Ouest Side, et dans Lunatic, et dans Futur. Assez littéralement d’ailleurs : Pitbull, Jour de paye, Tout c’que j’ai et T.L.T font tous mention du « trône » dans des punchlines pleines de condescendance. Sans compter les autres allusions explicites au pouvoir suprême, comme dans Pinocchio : « J’ai fait du game une dictature / Pour ça qu’on m’récompense pas ».

Le trône, cela fait en réalité bien longtemps que Booba l’occupe – « méprise le game, maîtrise le game, depuis des années », dit-il encore dans Friday. Il nous en propose un compte-rendu, finalement le récit de voyage d’un homme qui a fait le tour de la question, le tableau des multiples facettes de la couronne qu’il a pu éprouvées. Car aussi hétéroclites soient-ils, c’est bien ce qui unit chacun des moments de Trône : leur qualité royale, leur précellence, leur volonté ininterrompue de trôner au-dessus de la masse.

L’histoire touche à sa fin. Cet épisode de la carrière du rat qui s’est autoproclamé roi ne sera peut-être pas retenu comme le plus brillant ni le plus mémorable, mais perdurera très sûrement comme le plus abouti, le plus complet, le plus universel. Jusqu’au prochain, tout du moins.

Traditionnellement, lorsqu’un brave a fait le tour de la terre, de sa vocation ou de sa quête, réalisant l’étendue qu’il a parcourue et celle qu’il lui reste à parcourir, il s’élève alors, par quelque moyen littéral ou figuré, et transcende sa condition pour devenir un esprit, une déité ou encore une étoile. Qu’en sera-t-il de Booba, celui qui a « sauté toutes les classes » ?

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