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[Chronique] La Canaille – La Nausée

Le poing levé, le verbe haut, le regard froid, La Canaille nous livre ici une nouvelle fois sa hargne, servie d’une voix calme, mais non moins assassine. Tel Stéphane Hessel, Marc Nammour n’a qu’un désir : voir s’indigner la foule. Après avoir laissé libre cours à sa colère avec Par temps de rage, l’artiste évolue encore vers d’autres cieux et nous délivre avec La nausée  un constat las et amer, évoluant dans une ambiance à la limite du soutenable. Voyage au cœur de la tempête.

Toujours en quête d’une cohérence artistique, La Canaille se renouvelle, revêtant ses habits les plus sombres. Délaissant les guitares hargneuses de son précédent album, Marc Nammour s’entoure ici d’un voile profond et mystérieux. Servi par les scratchs et déchirements métalliques de DJ Pone et de DJ Fab, le rappeur n’a plus alors qu’à laisser sa voix imprégner chaque titre, de son ton glacial et ciselé. Engagé, le rappeur l’est toujours, sans doute plus que jamais. Brandissant le haut-parleur, haranguant les foules et guidant les passions, il se place en porte-parole des indignés de notre société souillée, recrachant tout le dégoût qu’elle lui suscite et lui inspire.

 « Il est tard/ Je suis au milieu de nulle part/ Mais j’annonce que quelque chose se prépare. »

Pourtant, au milieu de ce constat sombre et amer, La Canaille parvient à ressusciter cette lueur d’espoir nécessaire pour guider le peuple à la révolution. Cette première salve (Quelque chose se prépare) fait gage d’avertissement à l’intention de ceux qui tiennent les rennes. « Toi, le grand décideur/Toi, la bonne conscience anthropophage/Toi qui lève ton verre à la santé de l’année prochaine/ Dis-toi bien que quelque chose se prépare… » Quelques notes de piano, un sample de Mobb Deep prônant gravement « There’s a war going on outside ». Les intentions du rappeur sont claires. Et en quelques mots, tout est dit.

Fortes de ce constat, s’élèvent alors les grosses caisses introduisant Redéfinition, rapidement rejointes par un cœur de cuivres majestueux. Déterminée, la voix de Marc Nammour se superpose à ce tumulte, opérant une montée en puissance qui semble alors inarrêtable. C’est un véritable hymne qui s’offre à nous, puissant, vrombissant, se déchainant. De là-haut, culminant l’orchestre, La Canaille nous sommes au rassemblement, il est plus que temps d’agir. De son micro, crachant ses mots, il sonne la charge. L’ennemi est distinct, droit devant. Décidé, le rappeur ne tourne pas autour du pot, ne retient pas ses mots : « Ici ça pue j’ai la nausée/ Une profonde indignation, comment rester les bras croisés/ Cette voix, c’est le poison qui tourne en rond dans son bocal/ Mon identité ne sera jamais nationale. »

Rappelant l’auditoire à l’ordre, lui faisant resurgir la mémoire, la cible de chacune de ses rimes, c’est elle. Elle, cette voix insidieuse « venue du territoire des ombres ». Elle, cette voix doucereuse portant des idées sombres. La Canaille semble résigné et, assumant son rôle de porte-parole, brandissant très haut le poing, se place en première ligne. Reprenant en boucle et sans jamais sourciller « Jamais nationale, mon identité ne sera jamais nationale. »

La nausée, c’est également une galerie de personnages, qui semblent tous pouvoir gonfler les rangs du « mouvement ». Ces gens fatigués, ces personnes lasses. Témoin de tous ces visages, l’artiste retient leur passion, leur peine, leur souffrance et nous en offre patiemment toute l’émotion. C’est la voix de tous ces êtres qui semble sortir de la bouche de Marc Nammour, parfois poétique, parfois résignée, souvent triste. Cette aptitude qu’a La Canaille à raconter des histoires, à poser l’auditeur en témoin de son vécu, emplit tout l’album, et lui apporte ce brin d’émotion qui en fait un album complet, cohérent et malgré tout personnel.

Ainsi, prêtant ses mots à un couple de retraités en fin de vie (Encore un peu), l’artiste nous emmène au plus près d’eux, partageant alors leur crainte du lendemain, leur appréhension face à la mort et leur désir de repousser l’ultimatum. Dans chaque morceau, le ton est juste, et les mots font mouche. On ne s’égare pas, La Canaille dépeint le quotidien de chacun et n’oublie personne. Omar en est l’exemple le plus frappant, retranscrivant le quotidien d’un sans-abri, son « voisin du rez-de-chaussée », fuyant la réalité et la solitude dans des « bouteilles de rhum premier prix », « Ca désinfecte, ça anesthésie » . Loin de tout jugement, Marc Nammour témoigne sobrement de son vécu, entre coups de folie, élucubrations alcoolisées et solitude amère. Mais l’album atteint son apogée lorsqu’il se fait plus introspectif. Le temps d’un morceau, le rappeur lâche son haut-parleur, s’assied à nos cotés, et se dévoile enfin. Avec une émotion rarement atteinte, celui-ci nous transmet sa crainte de voir s’éteindre à petit feu la flamme qui animait son couple, d’abandonner peu à peu cet amour, de le laisser s’essouffler lentement, spectateur de son déclin, préférant détourner les yeux et continuer à faire semblant.

« Regarder mourir l’amour et s’endormir dessus… C’est si facile de s’endormir… »

Ce qui fait également de La nausée un album remarquable, c’est l’étrange symbiose qui règne entre Marc Nammour et sa musique. Difficile de dire qui de l’instrument ou du rappeur mène l’autre et l’inspire, tant leur complémentarité est parfaite. Ainsi, lorsque celui-ci condamne, dans Pornoland,  la pornographie avilissante dont la société est inondée à longueur de journée, l’accès si facile à l’assouvissement d’un désir dans lequel il n’est plus question de plaisir, l’instrument nous dessert un son torturé, volontairement déplaisant, à la limite de l’écœurement. Au contraire, dès l’ouverture de Monsieur, Madame, le son se fait plus rythmé, la caisse claire plus marquée, plantant ainsi un décor parfait pour le ton acerbe et arrogant qu’utilise maintenant l’artiste. Le titre forme en effet une caricature de la bourgeoisie et de sa condescendance à peine dissimulée. On pourrait croire à une fable, de par l’efficace ironie de la trame et de ses personnages simplistes, et par la présence finale d’une « morale en guise de chute ». Ainsi, se démarquant encore un peu plus de ses confrères rappeurs, dont le choix instrumental est bien souvent commercial, La Canaille nous livre ici un album où la musique est élevée au même rang que l’artiste et où sa symbolisation s’associe également au message. Ne pouvant alors être dissociés, le verbe et la note servent ici le même but. Faisant de chaque titre, un ensemble complet, précis et cohérent.

En conclusion, La Canaille n’en finit pas de nous impressionner et de nous surprendre, évoluant dans des univers musicaux différents à chaque album, il se révèle un fin témoin de notre quotidien. Mieux, il possède une réelle capacité à rallier l’auditeur à sa cause, à lui faire partager son angle de vue, à l’amener à gonfler les rangs des indignés.

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