Chroniques Dossiers

[Chronique Croisée] – Koba LaD – Détail

Il y a certains albums qui font l’unanimité parmi la rédac de LREF, et d’autres sur lesquels on n’est vraiment pas d’accord. Détail de Koba la D fait partie de la deuxième catégorie. Enième redondance d’un rappeur fainéant, ou mine à bangers extravagants et créatifs ? Deux de nos rédacteurs en ont débattu.

Tim : Salut Guillaume !
Je sais pas si t’as pu écouter l’album de Koba LaD, Détail sorti le 23 octobre dernier, mais vu qu’on s’est arrangés pour faire une chronique croisée que j’essaye d’introduire subtilement, j’imagine que oui. 

J’ai écouté Détail environ 3-4 fois, et j’ai eu beau creuser, j’y ai vraiment trouvé peu d’aspects positifs. Entre les prods, l’écriture, la voix, les flows… En 15 titres, j’ai l’impression d’avoir entendu le Koba de 2019 qui tente de s’émanciper… mais qui peine vraiment à se renouveler. J’avais pourtant bien aimé L’Affranchi, son dernier album. En suivant son évolution je ne m’attendais à pas grand chose, mais je suis quand même déçu. 

Guillaume : Je te rejoins sur un point : je n’attendais rien de cet album. Mais justement, Koba arrive à nous surprendre sur plusieurs points. Après, le titre de l’album est mérité. Ses qualités se cachent souvent dans les détails.
Typiquement, sur le premier titre, il traite d’une thématique vue et revue : le rappeur déprimé par le succès. Mais lui, il arrive à créer un vrai effet de réel avec des détails touchants, comme quand il rappe « Ceux que tu voyais dans mes clips se sont tous évaporés un par un ».
La figure du rappeur qui s’en fout du rap est usée jusqu’à la moëlle. Mais quand il dit, en référence à son précédent album L’Affranchi, « Disque de platine sur un album bâclé », tu rigoles. Pareil quand il rappe : « J’gagne ma vie en racontant ma vie ». Il trouve des petits détails qui donnent du relief à sa plume qui jusque là était quand même assez faible.

Tim : Pour moi, l’écriture ne fait que s’adapter aux prods de manière prévisible. Par exemple, sur le morceau En gros, à peine quelques secondes après avoir lancé l’écoute de l’instru mélodieuse, on s’attend déjà à un texte un peu introspectif, bordé d’une pointe de mélancolie. Et c’est plus ou moins ce à quoi on a droit. Sur 5h55, les premières notes nous promettent un morceau « banger« , et les paroles suivent. Il n’y a presque aucune surprise dans l’écriture. On reste dans un registre très binaire : soit l’egotrip, soit la mélancolie. 
Du coup, on ressent la dualité du personnage à travers l’album, mais par contre il n’y a aucune perméabilité, aucune complexité entre ces deux facettes. Les bangers sont appuyés par des textes bruts, de vécu, et les morceaux chantants ou mélancoliques sont appuyés par des textes introspectifs. C’est tout. Moi, j’aime quand dans un morceau banger, une petite phrase de doute ou de remise en question est glissée, ou au contraire une phrase d’egotrip dans un morceau mélancolique. Là, l’écriture est linéaire, prévisible, dépendante des prods. 

Guillaume : Mais quand tu écoutes du Koba la D, ce n’est pas pour être plongé dans la complexité de son âme ! Son rap est coloré, vivant, jouissif. Il y a un truc hédoniste et insouciant chez Koba. Le fait que sa phrase célèbre « Qu’est-ce que c’est trop bon la vie d’artiste ! » se décline sur deux refrains de l’album le montre. Le rouge vif de la pochette va à fond là-dedans. Il rappelle l’esthétique jaune et bleue de VII, sa première mixtape.
D’ailleurs, pour moi, ses meilleurs morceaux restent les
bangers énergiques et efficaces où on le sent s’amuser en rappant – comme Chambre d’hôtel, où on retrouve son alchimie avec Phazz, qui avait produit RR 9.1. Je trouve que par rapport à ses précédents projets, il y a beaucoup plus de morceaux où on sent Koba s’amuser sur des prods étonnantes ! Par moment, il me fait penser à des rappeurs US comme Blocboy JB ou Duke Deuce qui rappent au kilomètre avec une énergie complètement débridée.

Tim : Justement, cette image insouciante de Koba me dérange. On dirait qu’il aime rapper, mais que sa vocation première n’est pas la musique. Difficile d’accorder du crédit à un artiste dont le fait de « bâcler » des albums ne dérange pas plus que ça, tant que le public est au rendez-vous avec un platine à la clé. C’est sûrement pour ça que Koba est un personnage que j’aime autant que je déteste : dans la forme, sa musique sonne bien, est énergique, est pleine de couleur, avec les basses 808 et les rythmiques qu’il adore. Dans le fond, son personnage semble distant de son propre art, et y accorder peu de crédit, allant donc jusqu’à faire résonner sa musique comme si elle était vide de sens. 
C’est peut-être pour cela que j’aurais aimé voir un certain renouveau dans l’album, au niveau des flows notamment, où malgré quelques efforts je n’ai pas vu de réelle évolution par rapport à ses précédents projets. 

Guillaume : Moi j’aime sa désinvolture presque provocante ! Quand sur 5H55 il a la flemme de finir son couplet, et il crie juste « Aaaah putain ! » c’est génial. Il a une spontanéité qui est hilarante, et qu’il arrive à exploiter. Et puis le je-m’en-foutisme affiché est compensé par le sérieux de la performance vocale de l’album. 
Koba maîtrise de mieux en mieux les fameux effets de voix qui ont fait sa renommée. Je pense à un morceau comme Pas de reine avec Vald, où sur le refrain Koba a des accents de chanteurs ragga dancehall. Il a une assurance et une maîtrise de sa voix, pour un rappeur de 20 ans qui se professionnalise depuis seulement 2 ans, qui me bluffent. La voix de Koba la D, quand elle grimpe, ne me fait plus seulement rire : elle m’impressionne !

Tim : Certes, il progresse, mais pour moi, cela ne suffit pas à renouveler son univers. Koba garde la même recette depuis le départ. Des bangers, des morceaux chantants, des bangers, etc. : sa musique tourne en rond, et à force, me lasse. Si son personnage apportait un certain vent de fraîcheur et de légèreté dans le rap français, aujourd’hui, il m’apparaît simplement comme un divertisseur ayant atteint son but : il a percé 3 mois après la sortie de La C, et cela semble lui suffire. 
Alors certes, cet album ne m’a pas totalement déplu, mais il ne m’aura pas marqué. C’est un projet de plus dans sa carrière, sans pour autant en être un élément majeur. Je te rejoins sur les quelques progrès. Que ce soit dans la découpe de son couplet sur 7 sur 7 aux côtés de Freeze, ses entrées de couplet, ou sa gestuelle dans les clips, l’évolution est notable. Deux années après son arrivée dans le rap français, ses intonations sont plus maîtrisées, ses phrases peut-être plus réfléchies et sa musique plus cohérente.

Guillaume : Pour moi Koba ne tourne pas en rond. Il  va dans la bonne direction. Peut-être un peu lentement, mais il y va. La première moitié de l’album est un quasi sans  faute. Après, ça s’épuise un peu avec quelques titres dispensables au milieu du disque, comme le feat avec Ninho qui est une sorte d’archétype sans relief du morceau de rap de 2020.
Mais il reste une poignée d’excellents titres, que ce soit avec Vald, Helsinski, Chambre d’hôtel, 5h55, ou Dans l’avion. Quand il rappe « Askip j’suis un effet de mode mais mes liasses sont empilées », il nous montre bien que depuis le début on se laisse surprendre par sa durabilité. S’il arrive encore à condenser sa formule, il peut atteindre un disque  sans déchets, et nous livrer l’équivalent de ce qu’a pu être
Commando dans la carrière de Niska : une pleine prise de conscience de ses qualités, et un monstre d’efficacité. Pour moi, Koba n’est pas prêt d’arrêter de nous ambiancer...

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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