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[Chronique] Chronique de Gaël Faye – Pili-pili sur un croissant au beurre.

Gaël Faye est membre du duo de hip-hop Coffee Milk & Sugar qui a sorti un excellent album éponyme en 2010. Fort du succès critique et porté par une reconnaissance grandissante du public grâce à de nombreuses premières parties (Oxmo Puccino, Hocus Pocus), il sort ce 4 février son premier album solo : Pili pili sur un croissant au beurre. Ce projet est donc bien plus introspectif, teinté de l’histoire personnelle de son auteur.

Avec un parcours atypique, Gaël s’est toujours plongé dans l’écriture pour exprimer ses maux. D’abord dans le slam où il sera vainqueur en 2005 d’une finale face à Grand Corps Malade puis dans le rap à proprement parler. Avec Pili Pili sur un croissant au beurre, on a donc affaire à un mélange intéressant, entre textes énoncés clairement, presque dictés et flow acéré (comme sur Blend). Au niveau production, n’ayant pas trouvé son bonheur parmi les beatmakers actuels, Gaël a préféré faire appel à Guillaume Poncelet, musicien reconnu qui a déjà travaillé avec Michel Jonasz ou Mc Solaar pour ne citer qu’eux.

Le résultat donne un son très orchestral, assez original pour un disque de hip-hop avec des sonorités teintées d’Afrique (A-France) et un ensemble très jazzy grâce au travail de Guillaume Poncelet justement (membre de l’Orchestre National de jazz). À ses côtés, on retrouve les participations de Ben l’Oncle Soul, de son acolyte Edgar Sekloka ou encore de Tumi du groupe Tumi & The Volume.

Du côté des textes, ce disque est très personnel, marqué par l’histoire ancienne et récente de son auteur. En effet, lorsqu’il était encore jeune Gaël, franco-rwandais, a dû quitter son pays natal, le Burundi, à cause de la guerre, laissant derrière lui sa famille et ses amis. Aujourd’hui diplômé français, il est une représentation du métissage (auquel il consacre une chanson Métis). Un peu paradoxalement, Gaël a su livrer un disque très personnel, où il se raconte tout en gardant toujours sa pudeur naturelle et un certain regard sur les choses. On y retrouve un attachement au Burundi sans limite, presque paternel, comme dans l’introduction de l’album (A-France) dans lequel il dit combien le lac Tanganyika et ses amis de là-bas lui manquent. Il dit d’ailleurs Souffrance, par pudeur faut pas que j’l’exhib’ / c’est ça qui me tue d’être écartelé entre Afrique et France.

Les sonorités africaines sont présentes dès les premières notes et sont ensuite parsemées entre les quinze titres, alternant avec des titres plus urbains, preuve de son métissage. On sent un homme au regard particulier, intéressant et qui arrive à mettre les bons mots ensemble pour faire comprendre son histoire. Il nous ouvre une porte sur sa vie actuelle avec le morceau Ma Femme, véritable déclaration d’amour qui laisserait peu de femmes indifférentes et qui comporte ce fabuleux trait d’esprit : « J’aime pas la voir partir mais j’adore la voir s’en aller ».

Mais des déclarations, il n’en fait pas qu’à sa femme. Dans sa chanson Fils du hip-hop,  c’est au rap qu’il déclare son amour. « De la bouche des égouts est sorti un mouvement qui s’invite dans les cocktails du bourgeois condescendant ». Comme un hommage, la production de cette chanson trouve un rythme lancinant, sans progression harmonique, très répétitif, qui rappelle les productions classiques des années 1990. Mais les textes de Gaël peuvent se montrer plus engagés comme sur Métis ou Président.

Dans la première, il traite d’un sujet actuel avec son point de vue très pertinent puisqu’il est un exemple de métissage. Selon lui, le métissage n’est qu’une continuité et non une obligation, se mélanger avec les autres devrait être dans les gênes de chacun, et il devrait en naître une culture encore plus grande. Malheureusement ce n’est que rarement le cas et le métissage est une idée excellente sur le papier mais très différente dans la réalité. Il l’illustre par des pensées savoureuses : « J’ai le cul entre deux chaises, j’ai décidé de m’asseoir par terre » ; « Je suis chez moi partout sans être jamais à ma vraie place ».

Pour la chanson Président, texte le plus engagé de l’album, Gaël évoque avec tristesse la situation politique compliquée du Burundi, entre coups d’état, censure, intervention de l’ONU et la peur permanente de la guerre civile. C’est vraiment ce qui marque l’ensemble de ce disque, l’attachement sincère de son auteur au Burundi et plus généralement à l’Afrique. Pour conclure ce disque, L’ennui des après-midi sans fin marque un retour au slam et à la poésie, véritables passions de Gaël. C’est une chanson très lancinante, où les mots importent plus que la musique qui ne comporte d’ailleurs qu’une légère mélodie de piano.

Ce qu’on pourrait reprocher à ce disque, c’est aussi ce qui en fait sa force. Il vise un public large, plus proche d’un disque d’Abd Al Malik ou de L’Arme de Paix d’Oxmo Puccino, et le public actuel du hip-hop ne s’y reconnaitra pas forcément. Mais est-ce vraiment un reproche ? L’enfant du Burundi a déjà prouvé qu’il savait fédérer. Pour son coup d’essai en solo, Gaël Faye signe un album très réussi, aussi personnel et touchant que musicalement coloré. On attend avec impatience la suite, en solo ou avec Milk Coffee & Sugar.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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