Rangez tous les objets contondants. Les cordes. Les fusils. Fuzati est de retour et la même semaine, un employé de la poste se suicide. Coïncidence ? Rien n’est moins sur. Car son album pourrait être la lettre laissée à ses proches d’un candidat au suicide. Le testament d’une génération Y pour Youporn prise par son côté le moins optimiste. Ou le plus réaliste selon l’angle que l’on adopte.
Gainsbourg, Renaud.
Ah, le flow de Fuzati… Il n’en finit pas de faire débat. Inaudible pour certains, nous pensons qu’il fait pleinement partie du personnage. Que cette voix nasillarde cherchant vers les aigus retranscrit parfaitement l’être, le mal-être et la raison d’être de cet artiste. Son mal-être, c’est ce qui déborde de la feuille et que l’on retrouve dans tous ces thèmes. Sa raison d’être tend à confirmer la tradition qui veut qu’en France, on peut chanter sans être un chanteur du moment qu’on a des choses à dire. C’est aussi en ça que le rap se rapproche de la chanson française à textes. Ce qui est dit est plus important que la façon de le dire et le fond remporte une victoire sur la forme.
Mike Brant.
Nous avions quitté le versaillais en 2004 au bord du suicide dans l’excellent Vive la Vie sur des suggestions comme « Je risque d’en user jusqu’à la corde » ou encore « je pense avoir trouver un moyen de mettre un terme définitif à tout sentiment d’ennui« . La cohérence est une notion que nous apprécions énormément à la rédaction et Fuzati connait vraisemblablement sur le bout des doigts sa définition. Son nouvel album commence là ou le premier se terminait, à quelques secondes près. Et quoi de mieux pour rentrer dans le vif du sujet que de gueuler « je suis vivant » à la face des auditeurs qui le croyaient six pieds sous terre ? Rien de moins qu’un premier couplet sublime avec « une corde comme un cordon ombilical, c’est une seconde naissance » puis un album qui se prend à explorer la vie d’un trentenaire totalement désabusé et profondément misanthrope.
Georges Brassens.
Le rappeur évoque dans tous les sens possibles son dégoût de la procréation, rejoignant en cela un Georges Brassens qui aimait reprendre le bon mot de Pauline Bonaparte «Des enfants? Je veux bien en commencer des centaines mais je ne tiens pas à en terminer aucun.» Avec force commentaires savoureux et figures de styles lumineuses, Fuzati explique : « J’aurais pu faire quatre ou cinq gosses pour bien achever l’humanité / Mais je jouis sur leur visage, je suis venu pour vous sauver » ou encore « C’est décidé, ma descendance ne connaîtra que le plastique. » Nous conclurons cette partie de la chronique par le péremptoire « Mais je ne veux rien reproduire et encore moins une erreur. » Vous aurez saisi la haute considération que l’auteur a de lui-même. Tant de haine pour un même sujet aurait très probablement intéressé Freud qui aimait à rappeler l’ambivalence de la pulsion amour/haine. Seriez-vous stérile, Fuzati ?
Pierre Desproges.
Tout au long des lignes de cet album qui peut s’appréhender comme un long poème, la misanthropie de l’homme à la corde se confirme. Tout comme maître Desproges qui disait « plus je connais les hommes, plus j’aime les chiens« , ici c’est le dégoût de la société dans sa globalité qui dégouline. Froid, glacial et fataliste, l’album comporte sa flopée de citations lugubres à l’instar de celle-ci : « J’ai des rêves d’épidémie et de vaccins en petit nombre / Vous n’êtes pas des lumières et le futur s’annonce très sombre. » L’indien est une belle chronique de la vie sociale en entreprise qui rejoint violemment ce point soulevé.
En conclusion, Fuzati est revenu en grande mauvaise forme. Ces propos cyniques et grinçants font toujours mouche et il est impossible de ne pas hocher la tête à l’écoute de certaines de ses vérités énoncées. Les productions collent merveilleusement bien à la peau de ses textes cadavériques. En tous les cas vous êtes prévenus, vous mettez les oreilles dans un album acide et froid comme la banquise. A vous d’en sortir indemne.