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[Chronique] Noir D**** – Youssoupha.

Youssoupha revient et de loin. Après deux années qu’on imagine difficiles avec un procès pour menaces de mort dans un coin de la tête, il fallait être solide sur ses appuis pour repartir de plus belle. Il a su utiliser les obstacles à son avantage comme avec la sortie du clip de Menace de Mort le jour du procès contre Éric Zemmour suscitant un degré d’attente rarement atteint dans le rap français. Le mc francilien a donc délivré son troisième opus. Analyse.

La couverture.

Elle est en cohérence complète avec la pensée de Youssoupha et renvoie au premier couplet de L’enfer, c’est les autres dans lequel il dit : «Je préfère répéter que je suis noir comme ça y’a pas de risque / Qu’ils disent un jour que j’étais blanc comme ils l’ont dit du Christ ». Pourquoi un ange ne serait-il pas noir ? C’est dans cette symbolique que l’on retrouve l’idée du titre de l’album : Noir Désir. Il faut voir en dehors de la boîte, ouvrir son esprit et oublier les idées préconçues.  Cette couverture est donc une transgression artistique vectrice d’un message fort. Le noir peut être associé à une image aussi symbolique que celle de l’ange et la pureté.

L’univers musical.

On a pu lire ici et là que Youssoupha avait fait un album mâtiné de funk, de soul, de rumba et qu’il s’était ouvert sur le monde. Nous ne sommes pas d’accord, il a tout simplement fait un album de hip-hop, cette musique qui s’inspire de tout ce qu’elle trouve. Et il lui a rendu un vibrant hommage en allant chercher aux quatre coins du monde. La qualité du mastering et du travail des ingénieurs du son font vraiment la différence. Cette galette possède quelques pépites de production. La Vie est Belle est portée par un refrain dubstep phénoménal et si Youssoupha l’annonce en disant « La météo annonce ma mort comme si j’étais né de la dernière pluie » c’est pour mieux préparer l’auditeur à l’orage musical qui s’approche. L’ensemble est très souvent porté par des productions chorales et la variété des instruments représentés apportent une grande fraicheur auditive.

Les textes.

«Appelle moi Youss, on se connaît. » Il est certain qu’on le connaît. Deux street Cds et deux albums ont précédé Noir Désir. Sa plume pesait déjà quelques classiques. C’est en champion qu’il est revenu mettre la barre encore plus haute que précédemment. Car l’album est très travaillé au niveau lyrical. Tellement que même les sons à portée plus grand public (Les Disques de Nos PèresHistoires Vraies, Dreamin’) restent riches de sens.

L’album est riche en maximes. Il est salutaire de constater que certains artistes s’éloignent de cette attirance pour la punchline frappante mais vide de sens.  »L’intelligence est un étrange appareil et quand tu parles avec un con, peut être qu’il est en train de faire pareil » est un très bon exemple de cette verve.

Par ailleurs, Youssoupha a beau dire qu’on n’avait jamais entendu de rap français, il passe son temps à nous rappeler au bon souvenir des anciens. Sur L’Amour, il évoque Demain, C’est Loin de IAM en le mettant un cran au-dessus des poèmes d’Apollinaire. Sur Viens, c’est Ideal J par le biais d’un sample de DJ Mehdi. On retrouve pêle-mêle tout au long de l’album des allusions à Oxmo Puccino, Kery James et même aux X-Men. Sur Gestelude Part.2, le refrain reprend le Hail Mary de 2Pac mais aussi Le Son de la Hagra de Rohff avec Expression Direkt. Et l’intervention parlée de Kery James est un clin d’œil assumé à celle de Charles Aznavour sur « A L’Ombre Du Show-Business » dans une sorte de passation de relais. Son album fait donc appel à d’illustres ainés pour mieux promouvoir le rap français. Et il fait un bien bel ambassadeur

Puisqu’il faut des points négatifs, il se trouve que nous avons relevé 47 fois les diverses signatures sonores du chanteur. Ça fait partie de son personnage évidemment mais à l’écoute d’un album entier, un sentiment de redondance s’installe. D’ailleurs, si certains se demandent ce que Youssoupha dit sur Irréversible quand le son semble crypté, c’est tout simplement l’un de ses adages qui a été monté à l’envers par l’ingénieur du son puisque si on écoute dans l’autre sens, il dit très clairement : « ce qui ne tue pas te rend têtu. »

Un classique ?

Dès la sortie de l’album, nous avons pu entendre des cris d’hystérie. « Noir Désir est un classique ! » Seul le temps décide de ce qui est culte ou pas et nous verrons dans dix ans si on en parle encore. « C’est l’album de l’année ! » 2012 est encore jeune et attendons de voir ce qu’elle nous réserve d’autres.  Cependant, on peut affirmer sans crainte qu’il fera partie des meilleurs projets et que s’il est dépassé, ce n’en sera qu’une bonne nouvelle pour le rap français.

Conclusion

Beaucoup de chroniqueurs se sont trompés en comparant Youssoupha à untel ou Jay-Z. Il nous semble plutôt qu’il a gagné le droit de devenir un étalon. Dans quelques années, on dira d’un jeune rappeur qu’il fait du Youssoupha. Et c’est la marque des grands.

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

4 commentaires

  1. Assez d’accord concernant la chronique dans sa globalité, surtout sur les points négatifs. Sa gestitude est sympa (tel l’Abdel Swag de Jango/Ol kainry) mais plutot chiante a force. Même si j’ai pas aimé l’album, je trouve votre critique (une nouvelle fois) bien foutue et pour le moins objective.

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