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[Chronique] 2004 – Regain de Tension – La Rumeur.

Nous sommes en 2004, l’élan fraternel black blanc beur de 1998 est réprimé depuis longtemps. L’atmosphère se fait de plus en plus anxiogène au fil des années. La Rumeur devient un danger public de la République par le biais d’Hamé, en procédure judiciaire depuis 2002. De quoi témoigner d’un vrai Regain de Tension. L’album se prête parfaitement au contexte. Il est plus sombre que le précédent, plus revendicatif aussi. Rarement des titres, des instrus et des paroles auront aussi bien illustré le titre d’un album. Analyse.

Il est difficile d’aborder les instrumentaux indépendamment du fond des paroles. L’ambiance musicale va de pair avec le phrasé cru et tranché des artistes. Le refrain de Inscrivez Greffier (Inscrivez greffier, le prévenu n’exprime aucun regret) gagne en sens grâce à la note qui l’accompagne. L’instru saccadée de Maîtres Mots, Mots de Maîtres fait écho au flow haché de Hamé. Les rifs de guitare sont à l’occasion accompagnés par des mélodies au clavier mais le tout reste sombre et lourd, l’instru n’est pas du genre qui pose. Elle ajoute de la tension aux paroles, l’auditeur ne se détend pas. Il s’empêche presque de respirer en attendant la prochaine salve, toute son attention est portée sur le prochain tir. Une très bonne mise en condition pour écouter toutes les revendications de La Rumeur.

Sur le fond et le flow, il faudrait pouvoir retranscrire les paroles de chaque titre. En faire un tri ne rendrait pas justice aux auteurs. Les thématiques sont partie prenante de l’image de La Rumeur : le groupe reste violemment fidèle à son identité. Rien de joyeux, rien de léger. Le seul rire émis est ironique ou amer. Le groupe en deviendrait presque caricatural s’il ne s’y attelait pas avec autant de talent, de confiance et de crédibilité. Le terme crédibilité est lâché parce que La Rumeur sait. Inutile de s’attarder sur leur bagage universitaire, le bon artiste n’est pas forcément allé à l’école. Il n’empêche que connaître l’histoire de France est un avantage pour ceux qui l’analysent sans fard. Ils ornent ainsi leurs critiques par quelques clins d’œil tel que je suis sombre comme un soir du 17 octobre ou encore vu et revu je suis un arabe non avenu.

Crédibilité aussi forcément parce qu’Ekoué est l’un des rappeurs les plus charismatiques de France. La présence de sa voix sombre, calme et confiante donne un énorme cachet aux textes. Aussi, quand ils abordent la situation rappologique française version 2004 dans Nous sommes les premiers sur le rap, le silence est assourdissant sur les ondes. Aucune réponse n’est possible, aucun échappatoire. Les flows d’Ekoué et de Philippe laissent derrière eux un paysage ravagé et jouent comme révélateur du vide. La Rumeur est passée et l’herbe ne repoussera pas. En Attila du rap, ils pourfendent l’ennemi à coups de piques acérées, les plus crues de l’album : La Rumeur groupe qui milite depuis le début / aux antipodes de ces groupes de merde qui ont déçus / et qui gèrent leurs fins de carrières avec des godes dans le cul. La radio 96.0 FM prend très cher dans ce qui n’est même plus un combat mais un massacre.

 

Dernier point, ce Regain de Tension, c’était aussi une impression. Celle que cette tension arrivait tout doucement à son comble. Quant à l’avenir, La Rumeur le voyait funeste en disant Je suis ce feu qui se déclare dans un champ de coton. Ou encore cette phrase qui résonnera sous un jour nouveau peu de temps après la sortie de la galette : Jusqu’à quand, combien de temps le ghetto restera-t-il aussi patient ? On était alors en 2004. En 2005, nouveau ministre de l’intérieur élu, punchline maladroite du petit Nicolas sur le Kärcher. Et les banlieues s’embrasent comme un vulgaire champ de coton. La Rumeur, un groupe visionnaire.

 

 

 

 

Soufiane Khaloua

À proposStéphane Fortems

Dictateur en chef de toute cette folie. Amateur de bon et de mauvais rap. Élu meilleur rédacteur en chef de l'année 2014 selon un panel représentatif de deux personnes.

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