Parfois, la vie : c’est nul. Bien sûr, mollement assis derrière nos ordinateurs à écouter le tout venant du rap français en attendant une éclaircie sur le front du confinement, nous ne sommes pas les plus à plaindre. Pour autant, nous vécûmes des jours meilleurs il n’y a pas si longtemps…
Agrippé par la nostalgie, on se décide à cliquer sur une suggestion YouTube de bon aloi : La Folie des Glandeurs de 2Fingz. Ah, 2013 ! Népal et Doum’s ! L’album de l’Entourage était encore le projet le plus attendu du rap FR, et Alpha Wann devait sortir son premier album dans le courant de l’année suivante. Jul n’évoluait pas encore en bande organisée, PNL n’avait pas encore matrixé la France et de manière générale, tout avait encore l’air nouveau.
Après l’écoute l’œil est attiré par une autre suggestion: Deen Burbigo feat. Alpha Wann. Par acquis de conscience, on lance le son. Si nous avions rendu un vibrant hommage à Grand Cru, le précédent album du toulonnais, l’auteur de ces lignes avouera à titre personnel avoir eu un avis nettement plus mitigé sur le projet à l’époque. Mais revenons à Immunité Diplomatique. Alpha Wann débite un couplet impeccable et on se prépare donc à passer l’éponge sur celui de Deen. Mais non. Le boug est impeccable, sûr de lui, les lyrics sont soignés et le style bien particulier du sudiste est toujours audible. Et puisqu’Immunité diplomatique est un extrait de Cercle Vertueux, le nouvel album de Burbigo, c’est l’heure de lui donner sa chance.
Quinze titres, quarante-cinq minutes, le format est immédiatement de bon aloi. A l’heure où l’industrie du streaming conduit aux pires dérives en termes de publications, on n’est pas mécontent de trouver un véritable album.
Un projet maîtrisé
Morceau après morceau, un ensemble cohérent et harmonieux émerge au fil de l’écoute. De manière générale, l’album se distingue par une grande sobriété qui rappelle à plus d’un titre Une Main Lave l’Autre d’Alpha Wann. Sans ad libs superflus ni de rimes trop facile, Cercle vertueux apparaît comme un album pensé et maîtrisé de bout en bout. Une forme d’aboutissement d’années de pratique d’un spécialiste passionné par son art, et que l’on sent désormais sûr de ses propres orientations.
Il s’agit là sans doute de l’aspect le plus important de Cercle Vertueux. En 2017, Deen avait (bien malgré lui) encore des choses à prouver. Après quelques EP, mixtapes et projets de groupe, il n’était bien évidemment plus un inconnu et bénéficiait d’une certaine assise et de sa propre fanbase. Pour autant, Grand Cru était résolument l’album qui devait le faire entrer dans la cour des grands. Peut-être en était-il lui-même trop conscient, et peut-être que cette pression l’avait alors conduit à sortir un album qui, rétrospectivement, traduisait plus ses incertitudes que ses choix forts. Deen attribuait d’ailleurs récemment (dans une interview accordée à l’indéboulonnable Mehdi Maïzi) ce déséquilibre à des objectifs mal fixés lors de la conception de l’album, et on le croit volontiers.
Cercle vertueux, quant à lui, gomme les imperfections du premier opus.
Pratiquement une épure du genre, l’album est un bijou d’horlogerie rapologique qui cache subtilement ses complications derrière un design élégant. Et le plus fort dans tout ça : le projet sonne comme quelque chose de nouveau.
Sans effet de manche ni couleurs criardes, Deen propose un album au son étrangement peu familier dans un paysage pourtant plus divers que jamais ; et si l’on reconnait certaines influences (assumées ou subies, impossible à dire) on est souvent agréablement surpris par leurs combinaisons.
Tout comme Alpha Wann dans UMLA, ou Ichon dans Pour de vrai, Deen réussit à se sublimer lui-même à travers son projet. Sa voix est résolument l’élément central de chaque piste, et chaque line aiguise la curiosité pour la suivante, chaque morceau pour le suivant. Cercle vertueux est captivant, pratiquement dépourvu de déchet, solide sur ses appuis, franc dans ses partis pris. Moderne en assumant un retour aux fondamentaux certain, Cercle vertueux porte son titre sans trembler et sans décevoir.
À un moment intéressant de l’histoire du rap français, où tout est à nouveau possible, on appréciera que les pionniers de la décennie précédente désormais trentenaires relèvent le défi de se forger de nouveaux codes pour celle qui vient.