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[Chronique] Disiz La Peste – Pacifique

Il y a dix-sept ans, Disiz la Peste débutait sa carrière en pétant les plombs sur son album Le Poisson Rouge. Après être devenu Disiz, puis Peter Punk, puis à nouveau Disiz, il redevient cette année Disiz la Peste. Le poisson a bien grandi, il est sorti de son bocal et nage désormais dans le plus grand océan du monde pour son onzième album : Pacifique.

Il était devenu assez compliqué de comprendre Disiz ces dernières années. Depuis la rupture dans sa carrière incarnée par le triptyque Disiz the End / Dans le Ventre du Crocodile / Les Valcheuzes, on se questionnait vraiment sur ce que le plus célèbre des rappeurs de l’Essonne essayait de nous dire. Sans cesse il oscillait entre la revendication d’un rap des origines trouvant force et pertinence dans les difficultés du quotidien, et mièvrerie niaise du père de famille comblé. Sans cesse il cherchait à réconcilier le rappeur cool et célèbre et l’enfant timide ; le premier trahissant le second, le second tendant toujours vers le premier, comme si les deux ne pouvaient pas coexister dans un seul et même esprit. Sans cesse, il brandissait le noir de sa peau l’air gêné de ne pas pouvoir inclure sa mère blanche à son combat. La tragédie sans fin de tous les métis en somme, une tragédie qui débordait à gros bouillon sur sa musique, perdue entre le hip-hop de son quartier et le rock de ses vacances d’été.

Il semble cependant que cette époque soit belle et bien finie, car pour notre plus grand bonheur, et sans doute encore plus pour le sien : Disiz a décidé d’ASSUMER.

Pacifique, quoiqu’on en dise, peut difficilement être considéré comme un album de rap. Sans non plus être un album de pop fait par un rappeur (Disiz n’est pas Teki Latex et Ça va aller n’est pas Les Matins de Paris, dont vous pouvez vous souvenir ici), ni de rock car il n’a pas cette prétention, Pacifique peut légitimement prétendre ouvrir la voie vers ce que nous appellerons le post-rap. Oui on est comme ça à LREF, on aime créer des tendances, des concepts, envisager l’avenir sous un jour nouveau, alors lançons-nous : Pacifique est un album de Post-rap.

Mais comprends nous bien, lecteur assidu. Nous ne nous plaignons pas que Disiz-celui-qu’il-faut-à-nouveau-appeler-La Peste ait choisi de sortir des sentiers battus, ou plutôt de partir en freeride complet sur les terrains rocailleux qui bordent l’autoroute du rap. En effet, Pacifique est un excellent album et ce à plusieurs titres (apprécie cet excellent jeu de mot mamène).

Premièrement, parce que, nous l’évoquions plus haut, Disiz assume désormais pleinement ses envies et ses contradictions. Le gars kiffe Stromae ? Il lui demande des prods. Son amour caché pour Alain Souchon ? Révélé au grand jour dans Quand je serais Chaos, formidable hommage au tube du crooner le plus mal coiffé de l’Hexagone. Sa passion pour l’électro brancho-bobo-casual ? Il en fait un single diablement efficace : Ça va aller. Et au milieu de tout ça, des perles complètement rap d’une qualité rare tant par l’intensité des textes que par la qualité des flows, comme Carré Bleu, Meulé meulé / Aighttt ou L.U.T.T.E.

Ensuite, parce que les fans retrouveront dans l’album tous les thèmes chers à Disiz. Le combat contre la peur, l’amour de la mère, la nostalgie de l’enfance. Mais à ces fondamentaux s’ajoute surtout une irrépressible mélancolie.

Pacifique est un album profondément triste. C’est celui d’un homme qui, à la moitié de sa vie, dédouble son regard tel Janus le dieu bicéphale pour embrasser des yeux l’enfant peureux qu’il était jadis et la flamme de l’adolescent qu’il fut naguère mais également un futur sur lequel se lève un orage que l’on sent planer sur la fin du disque. Bien qu’il s’en défende dans le dernier couplet de l’album, on sent que la vie a transformé la colère des Histoires Extraordinaires d’un Jeune de Banlieue en une sorte de réserve méfiante vis-à-vis du monde.

Ma mère m’a dit, tu sais, mon fils, ton disque est triste
Mais non, regarde maman ! Je danse, j’fais l’imbécile comme quand j’étais petit
Je fais des blagues, des jeux de mots tout nazes, regarde les gens aiment bien !
N’aie pas honte et n’aie pas peur je vais très bien,
C’est juste que j’ai grandi, c’est juste que j’ai compris
Pourquoi parfois tu pleurais dans le fond de la nuit, et parfois moi aussi tout au fond de mon lit – Autodance.

Si Disiz prétendait, dans l’excellente interview de nos confrères de Rapélite (ici !) que Pacifique était son premier album sans concept, on ne peut s’empêcher de remarquer que le bleu, la couleur des mers mais aussi de la tristesse chez nos amis anglo-saxons, teinte tout son album, de la pochette aux textes.

A la fin du disque, on compatit à son angoisse existentielle, et on a envie de le ramener dans les Marquise(s) avec Hamza pour profiter du calme infini de l’océan que Magellan nomma Mar Pacifico pour ses eaux calmes, après avoir affronté l’effroyable Cap Horn lors de sa tentative de tour du monde en 1521. Ainsi, Disiz la Peste, musicien et guerrier, pacifique mais intranquille, vient de lâcher un de ses tous meilleurs opus en hissant la grand-voile de sa caravelle pour s’éloigner des rivages du rap à la recherche d’un nouveau continent musical. Le plus cool dans tout ça, c’est qu’il nous a invités à voyager avec lui.

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

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