« On ne chasse pas la tristesse, on lui donne un titre », avec cette phrase de Frédéric Dard lâchée dans une interview, Dooz Kawa annonce la démarche. C’est un constat, pas une revendication.
La dimension cathartique de l’artiste est évidente, la dimension thérapeutique l’est moins, pour lui (« mon rap est un acte pathologique« ) comme pour nous. C’est d’ailleurs pour la sombre lucidité du personnage qu’on aime son rap. S’il n’est pas le premier rappeur à jouer sur le terrain mélancolique, on pense notamment à Oxmo, à Fuzati ou même Keny Arkana, il apporte cependant une vision singulière du monde, bien à lui, reconnaissable immédiatement, tant par la musicalité manouche, peu commune dans le rap, que par l’atmosphère infantile, sculptée dans des boîtes à musique Tim-Burtonnesques aux sonorités de glockenspiels envoûtants.
Dooz Kawa déride et décloisonne le style, il collabore avec des musiciens jazz et manouche (Mito Loeffter, Biréli Lagrène, Mandino Reinhardt), et sur des guitares ou des pianos les cordes sont frappées, frottées ou pincées, elles murmurent, pleurent ou crient. Lui, c’est avec les instruments qu’il fait ses feats.
Dooz Kawa manie les mots, il le fait très bien et pour ses pochettes d’albums il collabore volontiers avec des artistes qui manient des pinceaux (Max Rey et Zoé Pollard), des pinceaux naïfs et sombres bien entendu… Dans ses clips il y a du corps ; du corps qui danse (Delphine Padilla), qui anime une marionnette ou qui parcourt la ville en freerun (Simon Nogueira). Parce qu’il croise allègrement les disciplines artistiques, Dooz Kawa est un artiste total qui parle de l’unicité de la vie grâce à la pluralité des médiums. Pour parler de soi on a toujours besoin des autres, encore faut-il savoir l’accepter, on dirait que lui l’a compris…
Autobiographiques, psychanalytiques, politiques, romantiques, les textes de Dooz Kawa sont avant tout poétiques parce qu’il est un agenceur de mots, parce qu’il leur donne plus de poids que le plus épais des Larousse, parce qu’avec talent il nous parle de nous en nous parlant de lui.
Usant de métaphores à gogo, d’allégories, d’oxymores, ses références sont mythologiques, musicales, naturalistes et même anatomiques. Il nous parle d’hypophyse, d’hydrolat lacrimal, de cordon ombilical, il y a du charnel chez Dooz Kawa. Les contributeurs de Rap Genius vont devoir éplucher pas mal de bouquins et de films pour trouver et référencer les textes du rappeur !
» Génération maudite comme les Atrides du désespoir qu’on hérite Je cherche des pommes en or dans le jardin des Hespérides «
La majeur partie des ses morceaux en tonalité mineure nous scotchent dans une bienveillante solitude qu’on laisse baigner dans de riches instrus. On aurait presque envie d’être seul, la tête sous un casque pour ne rien rater des superpositions sonores qui nous plongent dans une tourmente pour laquelle on consent volontiers. Les échos de berceuses comme dans Poupée de son, Message aux anges noirs, ou encore MC présentent un rap qui parle de l’humain parce qu’il assume les contradictions. En nous berçant de sa voix éraillée dans un univers enfantin, il nous éveille en parallèle avec la pertinence de ses textes au monde hostile partout autour. Et quand il se tait, ce sont les instruments généralement enregistrés en acoustique, qui prévalent sur les beats pour continuer de nous parler des Hommes.
« Si j’avais trois vœux ce serait d’en avoir plus qu’un D’être plus cruel pour vivre dans ce monde qu’est le mien »
Si Dooz Kawa était un réalisateur, il serait Vincent Gallo. Le « badboy en marmelade saupoudré à la cannelle » fait penser au personnage de Buffalo 66 qui oscille entre inhibition et fantasme, vide intérieur et tendresse, un esprit d’enfant dans un corps d’adulte. A la différence du personnage du film, Dooz Kawa assume. Les faiblesses en étendard et son consentement à être sans défenses présagent un rap abouti.
Introversion, introspection, quand Dooz Kawa coupe le son, on écoute. Dans Message aux anges noirs, il ose 1’09 » de quasi a cappella! Alarmant comme un cri tranquille, on s’accroche aux paroles du début à la fin, le beat agit comme une ponctuation tribale, Dooz Kawa prend son temps pour nous faire entrer dans sa grotte et ça marche.
« Mon monde gronde / Sous l’obscurité journalière Celle qui rendit mon esprit sombre / J’ai peur quand s’éteint la lumière «
Avec des morceaux bien subjectifs qui s’assument et qui prennent parti (Le savoir est une arme, Dieu d’amour, Les hommes et les armes) le rappeur nous laisse entrevoir l’air de rien qu’il est fichtrement intelligent, et ça fait plaisir! S’il se décrit en « 3 étapes » comme « dur », « froid », et « seul », il sait prendre la tangente et on bascule dans l’onirique MC « toujours plus attiré par les papillons à la fenêtre ». Après quelques morceaux on apprivoise l’animal et on accepte volontiers « ce bouquet de proses en gage de sa bonne volonté ».
La contradiction des émotions est contagieuse, on voudrait que Dooz Kawa reste l’artiste perle rare qu’on déniche au hasard d’une digression musicale, sans pouvoir s’empêcher de le faire découvrir aux voisins! Vous l’aurez compris, c’est un rappeur à faire tourner mais pas trop non plus…
Très bel article sur Kwa….Je voulais juste te dire que t’as tout compris et que je te reçois 5/5, tu exprime tout ce que je ressens et que j’arrive pas à dire…un pur moment