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[Chronique] Flynt – Ça va bien s’passer

« J’entends déjà les critiques, je m’en bat les couilles, comme si j’leur devais quelque chose ». Les premières percussions et les premières phrases de Joga bonito, premier morceau de l’album Ça va bien s’passer, suffiraient presque à illustrer la nouvelle direction artistique suivie par Flynt pour son retour aux affaires, six ans après Itinéraire Bis. Le rappeur du XVIIIè arrondissement a en effet choisi de mettre de côté les productions boom-bap et les influences classiques qui ont fait son succès depuis J’éclaire ma ville, pour se mesurer à la tendance musicale actuelle. Ce choix stylistique comporte toujours des risques pour des rappeurs qui ont conquis leur public sur des productions «mobb deepiennes », et nul doute que l’album de Flynt subira son lot de critiques plus ou moins constructives. Même s’il est difficile de juger impartialement le travail d’un MC dont le premier album demeure une référence majeure pour le rap français des années 2000, il s’agira ici de rester objectif, pour tenter de dégager le bon et le moins bon dans les douze titres composant Ça va bien s’passer.

Au vu de la diversité des beatmakers auxquels Flynt a fait appel, on pouvait craindre un manque de cohérence musicale dans l’album. Concrètement, cette diversité ne dessert pas particulièrement le MC. Ça va bien s’passer n’est pas un album monotone du point de vue des sonorités et les prods restent dans un registre assez sombre, tirant vers la mélancolie sur certains morceaux, ce qui montre que l’alchimie entre Flynt et les producteurs invités a plutôt bien opéré. De plus, entre le timbre de voix bien reconnaissable du rappeur et le travail de Blixx MacLeod qui a mixé l’intégralité de l’opus (en plus de signer la belle prod de Ça va bien s’passer, morceau éponyme de l’album réunissant Flynt et JeanJass), une certaine cohésion sonore se dégage du projet.

Il serait trop long de présenter en détail les douze artistes présents derrière chaque morceau, mais on peut tout de même noter la présence de quelques têtes d’affiche, celle du jeune mais déjà prestigieux BBP sur Dos rond, ou, dans un registre tout autre, celle de l’incontournable Sofiane Pamart sur Chanson pour ton fils. Par ailleurs, la collaboration entre Flynt, Sopico et Hash24 sur D.A ne représente qu’une partie du pont générationnel construit sur l’album entre les artistes du nord de la capitale, puisqu’on retrouve deux autres membres du Dojo à la production : A Little Rooster sur Végas et Sheldon sur Avant les regrets. Enfin, les prods signées des rappeurs-beatmakers Zekwé Ramos (D.A) et A2H (A partir d’aujourd’hui) illustrent aussi l’étendue des relations musicales nouées par Flynt au cours de sa longue carrière.

Cette longévité, il en est question en filigrane sur l’ensemble de l’album. Flynt assume la place qui est désormais la sienne au sein de ce qu’il nomme lui-même la « nouvelle ancienne génération ». Cette ancienneté est mise en avant par le MC comme un gage de qualité, et il n’hésite pas non plus à pointer son statut de référence parmi les connaisseurs de rap, avec quelques passages de solide égotrip du type « je suis celui qu’il faut connaître, si tu prétends t’y connaître » (Joga bonito) ou encore « c’est moi qu’ils écoutent quand ils veulent du texte » (Lutèce).

« J’aime la tendance, je suis là depuis Sang d’encre« 

Ce qui peut frapper à l’écoute des différents titres, c’est le décalage entre cette appartenance assumée et l’admiration revendiquée pour les nouveaux visages du rap français. Ainsi, le rappeur quarantenaire peut se référer aussi bien à « la carrière d’Yves Montand » sur Avant les regrets qu’au je-m’en-foutisme de Lorenzo sur Lutèce. Au-delà des références, l’influence de certains rappeurs plus jeunes se fait sentir sur certains titres. Celle par exemple de JeanJass, à qui Flynt laisse une belle place sur leur morceau commun, est sensible sur la neuvième piste, A partir d’aujourd’hui, qui n’est pas sans rappeler la nonchalance du DoubleJ sur Mes Jambes. Flynt a d’ailleurs déclaré sur Facebook, dans l’une de ses présentations de morceau quotidiennes, avoir découvert et apprécié le rappeur belge avec l’album Goldman sorti en 2015.

En ce qui concerne les trois collaborations présentes sur l’album, elles se révèlent assez inégales. Là où JeanJass livre une prestation de qualité assortie d’un refrain simple mais efficace, Nasme, compagnon d’armes de Flynt depuis des années, paraît assez peu à l’aise sur la prod concoctée par L’orfèvre pour le morceau Calme et posé. De leur côté, Sopico et Hash24 assurent l’essentiel sur D.A, et l’hommage du premier à J’éclaire ma ville, bien qu’attendu, satisfera les amateurs de rap nord-parisien passé et présent.

Ceux qui suivent Flynt depuis J’éclaire ma ville ou ses premiers maxis, pourront sans doute regretter une écriture moins ciselée, avec quelques rimes un peu « faciles » (« je prends mon mal en patience, je fais le dos rond / on espère une vie meilleure, mais est-ce que nous l’aurons ? »). Mais force est de constater que le MC a opéré un travail conséquent pour ajuster sa manière d’écrire et de rapper aux productions trap présentes sur l’album. L’utilisation des rimes suivies se révèle efficace, et Flynt a pris le parti d’utiliser dans ses différents textes un certain nombre de parallélismes qui produisent en général un bel effet.

« Plus ça se passe mal, plus je me réfugie dans ma passion. Plus je me réfugie dans ma passion, et plus ça se passe mal »

On le comprend à l’écoute de Page blanche, nuits roses et A partir d’aujourd’hui, les contraintes de la vie de couple et de sa routine ont pris le pas sur le romantisme de J’éclaire ma ville, où Flynt célébrait l’amour sur J’ai trouvé ma place. Avec les références toujours omniprésentes à la capitale et à l’univers du football (le bonus track Champions du monde revient sur la victoire des bleus lors de la coupe du monde), le thème du désenchantement sentimental constitue un des fils directeurs de l’album. Mais s’il est la moitié d’un couple aux rapports complexes, Flynt se revendique aussi et surtout comme un père soucieux d’assurer la protection de ses enfants contre les dangers et les mirages de la société moderne, à commencer par une certaine forme de rap, celui de la FM, qui trouve toujours bien peu de grâce aux yeux du MC.

Le thème de la paternité se trouve sublimé par un morceau qui se détache assez naturellement du reste de l’album puisque accompagné du seul piano de Sofiane Pamart, Chanson pour ton fils. Certaines rimes, qui peuvent paraître naïves en apparence, servent en réalité à faire ressentir plus nettement l’émotion qui se dégage du texte. Dans ce bel hommage, où Flynt s’adresse au fils d’un ami disparu, on retrouve la mélancolie profonde qui caractérise les derniers morceaux de Ça va bien s’passer.

« Aujourd’hui je veux qu’on me déteste, ça voudra dire que je l’ai fait »

Flynt pose dans cet opus les jalons d’une transformation musicale travaillée, mais qui manque peut-être de quelques ingrédients pour se révéler tout à fait convaincante. La critique principale que l’on pourrait émettre à l’encontre de certains titres, c’est peut-être de manquer de dynamisme, d’âpreté, voire d’agressivité. L’utilisation d’adlibs sur certains morceaux reste d’une utilité variable, et les refrains manquent parfois de mordant. Sur des morceaux comme Dos rond ou Végas, le MC a choisi d’adopter un style et une diction détachés, un peu tièdes, loin du ton parfois dur et revendicatif auquel Flynt nous a habitué. Lorsqu’il renoue avec ce ton plus acerbe, plus conquérant, sur Ça va bien s’passer, sur Lutèce ou sur Calme et posé, il convainc davantage.

Avec cet album inséré dans une tendance que Flynt aime et assume, le MC brouille les pistes quant à la « catégorie » dont il se réclamait sur le premier morceau d’Itinéraire Bis, dont il se réclame toujours dans Joga bonito, et au sein de laquelle il estime toujours n’avoir que peu de concurrence. Si la catégorie visée est celle des lyricistes convertis à la trap, il s’avère pourtant que la compétition y est rude, et que dans ce cadre Ça va bien s’passer ne sort pas particulièrement du lot. En revanche, dans la catégorie des « anciens » sur le retour, dont plusieurs représentants (Sinik, Sniper) animent cette fin d’année 2018, Flynt, qui est parvenu à préserver l’ADN profond de sa musique, fait plutôt figure de valeur sûre parmi ces rappeurs « plus vieux que le président ».

1 commentaire

  1. Belle chronique au bémol près que le couplet de Nasme est vraiment lourd sur « calme et posé »

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