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[Chronique] Gaël Faye – Rythmes et Botanique

Après le grand succès de son roman Petit Pays et la frénésie médiatique qui s’en est suivi, Gaël Faye sort son deuxième projet solo, un EP de cinq morceaux intitulé Rythmes et Botanique sorti il y a une semaine. Alors que l’on s’imaginait déjà bien connaitre Gaël Faye pour Pili Pili sur un croissant au Beurre, tant ce premier album était abouti, on peut facilement être surpris par la nouvelle fougue qui anime Rythmes et Botanique.

L’EP est l’aboutissement d’un projet live présenté au public il y a un an et les morceaux étaient écrits depuis longtemps. A ses côtés, le talentueux Guillaume Poncelet, pianiste/trompettiste/compositeur qui avait déjà travaillé sur Pili Pili, et Blanka, beatmaker qu’il avait pu rencontrer sur le projet Fines Bouches. Cette collaboration innovante débouche sur un EP au beatmaking irréprochable et aux textes toujours aussi engagés.

L’artiste explique qu’il souhaitait utiliser plus de samples pour revenir au Hip Hop car il sortait d’un album au sein duquel avaient collaboré une trentaine de musiciens. Au final, Gaël Faye pose ses mots sur le piano(parfois accompagné par la trompette), qui incarne la botanique, et les sons électroniques de Blanka sur lequel repose la rythmique des titres. Ce duo s’articule autour de l’alternance des mélodies virtuoses de Guillaume Poncelet et des passages électroniques aux accents métalliques de Blanka. Si l’album est dans son entier assez homogène, c’est à l’intérieur des morceaux qu’il faut chercher les contrastes, entre douceur et force, comme dans Tôt le matin. Ce dernier, avec Solstice et Paris métèque, fonctionnent comme des mosaïques de sonorités imbriquées et ponctuées de quelques moments forts plus ou moins électro, formant un tout d’une grande originalité.

Irruption et À trop courir se détachent clairement du lot. Irruption est sûrement le titre le plus percutant du projet, dans lequel les flots de phrases du rappeur font d’autant plus sens qu’ils sont accompagnés d’un sample incisif qui alimente la hargne qu’on perçoit dans son ton. Si ce titre est si efficace, il le doit en partie à son unique couplet où résonne une colère déversée par une répétition de « on ». Sous ce « on », un mot à l’utilisation peut-être superficielle, l’auteur célèbre la multitude comme il n’a cessé de le faire dans nombre de ses morceaux depuis le début de sa carrière.

Gaël Faye s’exprimait sur son besoin de se remettre à la musique et de laisser de côté les affaires d’édition, et on comprend aujourd’hui pourquoi et ce qu’il avait de si urgent à nous dire. Les thématiques de l’EP ne traitent pas du Rwanda contrairement à son précédent disque, mais il est un appel à un soulèvement et à une libération individuelle dont le sample de worksong fait écho dans Tôt le matin.

Aux armes miraculeuses on a lu Césaire et Prévert
On viendra vous faire la guerre avec la parole poudrière
On n’désigne plus l’ennemi, parce qu’il est partout même en nous
On va mourir debout parce qu’on a vécu à genoux
Irruption

Irruption, en plus de dénoncer les stigmatisations, incite à une union, une révolte et une lutte contre ceux qui empêchent les rêves, qui parlent « au nom de nos espoirs », les « puissants », et ceux qui assignent les places. Si ces paroles semblent au fond rattachées à un discours préconçu que beaucoup de rappeurs engagés entretiennent, elles n’en sont pas moins nécessaires et d’actualité. Il s’en distingue d’ailleurs par ses métaphores, figure de style qu’il met au profit de sa plume de manière très personnelle.

Des jaillissements d’aurore pour éclairer des emblèmes
Des lanternes dans la tête, si l’on plonge dans les ténèbres
Irruption

Aucun doute sur la sincérité des textes de Gaël Faye, les lecteurs de Petit Pays s’en accorderont, d’autant qu’il nous conseillait en 2015 (article Mes 5 à lire ici) un livre regroupant des initiatives révolutionnaires d’insoumis, Constellations, Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle.

Paris métèque, est lui, un morceau-poème : rimes riches et embrassées, des couplets sous la forme de trois douzains, et des alexandrins à la troisième strophe. Gaël Faye, maintenant rappeur-écrivain, n’en est plus à faire ses preuves du côté littéraire. Il nous livre une deuxième version de son morceau avec l’apport de Blanka alors qu’il rappait uniquement avec son ami pianiste au studio 500 (morceau à écouter ici). Il la change en une chanson d’amour électrique, qui ne perd en rien de sa beauté. Des morceaux, comme Paris métèque, ou L’ennui des après midi sans fin, où les mots se dégustent et où les silences ne s’ignorent pas, d’un raffinement unique, sont réellement inclassables dans le paysage du rap français. À trop courir a un côté très simple et élégamment intime pour son refrain chanté et ses paroles rêveuses, et pourrait se rattacher à ces morceaux pour sa douceur.

J’ai envolé mes rêves dans des avions de papier
Et j’ai voulu la vie d’château en m’endormant dans un clapier
La mer est belle monsieur, j’ai gommé les nuages
Voyez les valises sous mes yeux : elles m’invitent au voyage
A trop courir

A la première écoute, on pourra s’étonner de l’absence des nombreux musiciens qui accompagnaient le rappeur dans Pili Pili et qui cause peut être un certain froid sur l’ensemble de l’album et un manque de cette base lumineuse et cuivrée, ambiance à laquelle nous n’étions pas habitués. Néanmoins, Gaël Faye garde le goût des cuivres pour la deuxième partie du morceau Irruption avec un magnifique solo de Guillaume Poncelet, même s’ils ne sont plus aussi retentissants qu’ils ne l’étaient dans Ma Femme. « La musique pour moi est un prétexte à la rencontre ». Cette phrase du rappeur illustre parfaitement cet EP qui est une rencontre entre les mélodies du piano et le travail de Blanka, ainsi qu’une rencontre entre lui et son public auquel il propose quelque chose de très différent. En somme Gaël Faye signe un EP audacieux qui marque sa volonté de se renouveler.

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