Telle la comète de Halley apparaissant dans notre ciel une fois tous les 76 ans, au gré des implacables lois de la gravité, Grems réapparaît dans notre ciel rapologique avec, en ce début d’année 2018 un album sans titre. Sans Titre 7, plus précisément. Curieux astronomes du rap que nous sommes, nous dégainons télescope et spectroscope pour observer l’objet musical le plus brillant de ce début d’année et analyser sa composition.
Alors, que trouve-t-on dans le nouvel album de Grems, Sans Titre 7 ? A la première écoute, on remarque surtout ce que l’on ne trouve pas. De l’ordre en l’occurrence, et [SPOILER ALERT], mais cela se révèlera trompeur, une direction. Sans Titre 7 est, toujours à la première écoute, la retranscription musicale de la pochette de l’album, que son auteur attribue à ses influences originelles : les peintres expressionnistes abstraits américains. Nerveuse, foutraque, explosive, la première rencontre avec Sans Titre 7 a de quoi déconcerter (un peu comme celle avec un ballon en 2010), même lorsqu’on est un habitué de la musique du gaillard. Les dix-neuf titres sont jetés sur un disque sans ordre apparent comme les gouttelettes de peinture expulsée des poils d’un pinceau après un coup de poignet rageur. La plupart font moins de trois minutes, et ne laissent pas l’occasion de s’installer confortablement dans une quelconque narration. La variété des productions (signées pour leur immense majorité par le génial R R O B I N) et les flows haute-vélocité de Grems produisent même l’impression d’être assis sur une chaise instable dont on cherche constamment à rétablir l’équilibre, habitués que nous sommes à un rap formaté, taillé pour telle ou telle section du public. Ça va vite, très vite, comme une vraie comète, mais on tient bon, l’œil toujours attentif à nos instruments de mesures.
Ici un reup’ ça ne vaut rien / vulgaire et misérable vaurien – Apple pomme
Après deux ou trois nouvelles spectroscopies, ces derniers affichent de nouvelles données. Sous son enveloppe rocailleuse et incandescente pointe la vérité d’un homme. Depuis presque dix ans maintenant, les fans de Grems auront récupéré ça et là les fragments du combat de Mickaël Eveno, père divorcé, luttant pour récupérer la garde de sa fille face à un système traditionnellement peu favorable au père et à une adversaire… Coriace ? Entre déclaration d’amour pour sa fille et attaques au lance-flamme contre ses adversaires (Balaras les Flows et Apple pomme notamment), le météore Sans Titre 7 se révèle également comme un véritable champ de bataille, et cette violence dont il est pétri vient nécessairement justifier sa forme si particulière.
Et puisque l’on parle de violence, Grems n’est jamais avare (et n’en a jamais été) d’un tacle sauvage dans les tibias de ceux qui saturent vainement le genre. Si l’on voulait être tatillon, on soulèverait que Grems a, depuis quelques années, beaucoup tapé sur « les jeunes », ce groupe tantôt ingrat et fainéant dans Catman & Robin ou Vo Tour, tantôt ridicule dans Babyliss (mais c’est vrai que le lissage faut arrêter, les gars). Cependant, il faut également admettre que les albums les plus aboutis de cette décennie ont une fâcheuse tendance à sortir des studios de quarantenaires (Nero Nemesis, par exemple, s’il ne fallait en citer qu’un). Ah… Si jeunesse savait !
Être à la mode est un vrai/faux / Être gravable en table un défaut – Mandala
Le cœur de la comète ayant lui aussi été analysé, que reste t-il à observer de cet aérolithe du rap ? Eh bien probablement rien d’autre que le mouvement. Libre, dépourvu de toute entrave, fluide et maîtrisé, à travers un ciel où au final, personne ne lui fait concurrence. Car voilà sans doute le secret de la régularité et de la longévité de Grems. Iconoclaste, débarrassé de tout complexe quant à ce que le (grand) public pensera de sa musique, Grems trace sa route en brûlant son carburant à son rythme, carburant dont il semble disposer en quantité illimitée. Sans jamais cesser d’être attentif aux évolutions de fond du rap, Grems s’affranchit de toutes les modes. Sans Titre 7 ne ressemble à rien qui ait déjà été observé de ce côté du spectre. La Deepkho dans toute sa splendeur, dansante, spontanée, sauvage.
J’sors des grottes de Lascaux man / J’sais faire du feu et des beaux graffs – Fantomas
Plus encore cette fois-ci, car Sans Titre 7 semble être de ce genre d’album destiné à ne pas vieillir à la manière d’un Homework (Daft Punk). Indéniablement, les boucles Deep House et Grime taillées par R R O B I N, TBBT, Cahmo, Nikitch et Jayel Flex, contribuent à créer la dimension intemporelle et radicale d’un projet où se mêlent le retour à la racine et l’expansion des frontières des genres. Qui sait, peut-être entendrons-nous bientôt les titres de Grems samplés dans des mix de Yaeji ou de Ross From Friends ? En attendant, on profite de la nuit jusqu’à sa fin, l’œil rivé à notre lunette astronomique pour continuer de voir briller Sans Titre 7, l’un des tous meilleurs albums de Grems.