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[Chronique] Hamza – 1994

Commençons au début. En 2015, Hamza déboule sur la scène rap francophone, par la grande porte. Cette année-là, le jeune chanteur et rappeur arrivé de Bruxelles, ville qui à l’époque n’était pas encore le haut-lieu du rap que l’on connaît aujourd’hui, surprend tout le monde avec son incroyable mixtape, H24. Dès le début, l’intro du morceau Bibi Boy Swag, premier morceau du projet produit par Hamza lui-même, nous tient en haleine, avec ses étranges violons, gorgés de suspens et de tension. « 1994, bâtard appelle-moi Albator » clame d’entrée l’autoproclamé SauceGod avec ce timbre enfantin autotuné qui le caractérise. Albator, pour ceux qui ne le sauraient pas, est le héros d’un animé, Albator, le corsaire de l’espace

Et comment mieux définir le début de carrière de Hamza que par ce terme de « corsaire de l’espace » ? Petit à petit, de 2015 à 2017, la voix de Hamza s’élève au-dessus de son corps, dans les Nuages. Il devient la voix robotique de tous les refrains les plus forts du rap français, de Seth Gueko à Cheu-B, en passant par Disiz et Alkpote. Totalement désincarné, Hamza reste un mystérieux corsaire de l’espace, sans réelle matérialité, le nouveau refrain RnB du rap français, à l’image de ce qu’a pu être Future avant son projet Dirty Sprite 2 aux Etats-Unis. On ne le connaît pas, on n’écoute pas vraiment ce qu’il dit. Hamza est un créateur de géniales mélodies spatiales.

On en arrive à 2017. Hamza sort sa nouvelle mixtape 1994. 1994 : le premier mot du premier morceau de sa première mixtape, sortie en 2015. 1994 : l’année de naissance du prodige bruxellois. Retour aux origines : Hamza présente cet album comme une nouvelle carte de visite, un nouveau départ. Il a changé son équipe artistique, et a créé sa propre structure. Hamza retourne au point de départ, à sa naissance même. C’est la fin de l’incroyable voyage d’Albator vers des horizons inconnus : Hamza n’a plus peur de parler de lui. Il n’a plus peur de regarder en arrière.

L’exubérance du SauceGod et la mélancolie de Hamza

« J’faisais partie d’ces gens affamés juste avant qu’je graille / J’faisais partie d’son cœur juste avant qu’elle me dise bye-bye. » Dès le début de l’album, le masque tombe, sur le magnifique titre Life. Hamza n’a pas toujours été ce personnage exubérant, qui collectionne les conquêtes et l’argent presque avec lassitude. Hamza a aussi été un jeune en galère, avec ses problèmes de cœur, ses problèmes d’argent, ses problèmes familiaux. Pire : il l’est sans doute toujours. « J’m’isole avec toutes sortes de drogues quand j’ai besoin de fly / J’me console chez Belaggio quand j’ai besoin de life. ».

Et si le personnage exubérant de Hamza n’était qu’une carapace, une protection, d’un jeune en proie au mal-être qui le ronge, sans cesse ? « J’aimerais plus de temps pour savoir c’qui m’intoxique. » Hamza s’est construit une forteresse, des murailles de fumée, de sexe, et de délires hérités du gangsta rap. Mais au fond, il sait que c’est cette soi-disant protection qui le détruit. Il n’a toujours pas la force d’affronter ses problèmes, mais maintenant il a la force de le reconnaître : il s’intoxique.

On retrouve ce même thème dans 1994 quand Hamza déclame « J’les ai toutes baisées depuis j’ai compris qu’c’était tout ce qu’elles veulent / J’ai tout ce qu’elles veulent / Notre amour est mort, j’fais le deuil / J’fais couler ma peine sur une feuille / C’est toujours le diable qui m’accueille, je sais qu’un jour j’finirai seul ». Dans cet enchaînement, c’est toute la logique de Hamza qui se dévoile. Son cynisme, sous-couvert d’hédonisme, cache des blessures. S’il ne parle des relations sexuelles que comme d’un jeu, c’est parce que son amour est mort. S’il s’enferme dans la drogue, c’est qu’il a peur de finir seul. S’il écrit des albums, ce n’est pas seulement pour faire des tubes, comme il aime le répéter à longueur d’interview. C’est pour faire couler sa peine, cette peine qu’il n’arrive pas à exprimer, caché derrière le SauceGod.

Tout l’album va constituer en un dialogue entre ces deux Hamza : le premier est ce jeune chanteur qui veut sortir de sa carapace, des apparences, qui n’hésite pas à se mettre à nu, tant d’un point de vue musical (sur un morceau comme 1994, le prodige du R’n’B baisse l’autotune pour une des premières fois), que des paroles, étonnamment introspectives. Le second est cet extravagant SauceGod, qui enfile les costumes comme un artiste de cirque, de celui de coach sportif (« SauceGod caliente / Coach personnel » sur Vibes) à celui de « New Michael Jackson » sur Destiny’s Child ou Jodeci Mob. Le second vit dans une artificialité, où il baise des « bitches en latex » (Silicone), dans un monde où tout est faux, un monde de dessin-animé. Le premier pense à sa mère avec tendresse, sans se cacher.

À ce titre, l’album de Hamza vient nous rappeler le projet d’un autre rappeur belge, qui lui aussi a voulu prendre un nouveau départ, lui en changeant de nom : Isha, nouvelle vie du phœnix PsMaker. En effet, l’une des caractéristiques de son projet La vie augmente (vol. 1), est son alternance quasi-schizophrénique entre mélancolie réaliste du bas des bâtiments et délires bling-bling et egotripés à l’américaine. Hamza s’inscrit dans cette même ambivalence sur ce projet, qu’il structure d’ailleurs comme celui d’Isha (chronique à lire ici) : un morceau triste en ouverture, un autre en fermeture, et au milieu des divagations de leurs personnalités, où viennent se nicher des instants de vérité particulièrement touchants. Mais Isha, par ces deux titres qui encadrent l’album décrivait tout d’abord le passé (La vie augmente), puis rêvait le futur et les rêves (Frigo américain). Hamza lui décrit d’abord le présent, avant de franchement se tourner vers son passé.

Un voyage musical qui retourne aux origines

Autrement dit, si l’album d’Isha va de l’enfance à l’âge adulte, celui de Hamza va du présent au passé, va chercher à explorer sa personnalité plus profondément, pour revenir à l’origine même : 1994, là où tout a commencé. Cette recherche de l’origine, d’une identité fixe, de se dévoiler légèrement ou du moins de dissiper la fumée qui l’entoure, se voit dans le choix des mots de Hamza, mais aussi celui de ses instrumentales.

En effet, Hamza peaufine son identité musicale sur cet album. Il a désormais une équipe de producteurs attitrés (Ikaz Boy, Ponko, …) qui l’assistent pour créer un album cohérent musicalement, avec leurs arrangements incroyablement soignés. Mais au-delà de ça, il se sert de ses instrumentales pour évoquer son identité, son origine, notamment sur le titre Juste une minute, où il s’amuse à sampler du Rachid Taha. Le choix n’a rien d’anecdotique, d’autant plus que le rappeur s’était déjà amusé à ce genre d’exercice sur Habibi. Cette volonté de sampler du raï, est un moyen pour Hamza de revendiquer son identité maghrébine, et d’assumer l’héritage musical qu’a pu avoir le rap français (notamment le sien) par rapport au raï, notamment dans son utilisation particulière de l’autotune.

Si Juste une Minute est la version aboutie de Habibi, Jodeci Mob est celle accomplie de Bibi Boy Swag et Vibes et Mi Gyal sont les versions définitives de son incursion dans le son dancehall sur l’EP New Casanova, avec leurs rythmiques afro-caribéennes. D’ailleurs, même sur ces morceaux festifs, Hamza n’hésite pas à se livrer, comme sur Mi Gyal où il évoque encore une fois sa peur de l’abandon (« Toute l’année je pense à toi / Mais est-ce que tu penses à moi ? »).

L’album ne se contente donc pas de peindre un monde superficiel d’un côté, et un autre honnête de l’autre. Il réussit à atteindre des nuances touchantes, où l’on imagine le « New Michael Jackson » mélancolique quand il sort de scène, cachant ses larmes sous les paillettes. Quand sur Godzilla, sur un beat répétitif et mélancolique d’Ikaz Boy, le SauceGod chantonne que « fumer toute cette gandja devient machinal », on est à la frontière de l’egotrip et de la déprime.

Hamza peut sans contradiction distribuer l’amour à la louche sur Mucho Love, un des plus gros hits de l’album avec son refrain accrocheur, et se sentir haï par la société sur 1994, incroyable titre conclusif de l’album, qui nous laisse espérer le meilleur pour la suite de la carrière d’Hamza avec un premier album prévu pour 2018. L’album se finit dans une atmosphère à la frontière de la trap et du RnB, où les basses sont arrondies, et un clavier joue une mélodie mélancolique, teintée de jazz. La mélodie nous rappellerait presque une ritournelle rêveuse de variété française, à la Marc Lavoine.

Et l’on se met à espérer que Hamza, en se livrant en chanson, fasse la même trajectoire introspective que Damso, un autre collègue bruxellois, empreint de chanson française et de crises identitaires. Néanmoins, Hamza ne cherchera jamais à être la plume du rap belge.

Mais si chez Damso l’émotion passe avant tout par des textes introspectifs, chez Hamza, l’émotion passe avant tout par la musique, par les mélodies. L’introspection passe par le chant. Si l’on est ému sur 1994, ce n’est pas parce que Hamza dit « C’est tout ce qu’elles veulent », mais parce qu’il brise discrètement la ligne mélodique à ce moment, faisant apparaître sa vulnérabilité, en maniant l’autotune avec dextérité. À l’image de PNL, Hamza se sert de la technique d’autotune pour faire passer ses émotions brutes, sans filtres. Le corsaire de l’espace voyage toujours, mais maintenant il vogue aussi dans nos vies, dans nos émotions, dans nos sentiments.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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