C’est l’automne. La saison un peu fade, mélancolique malgré elle. L’inutile mois de novembre qui nous pousse à bout. Mais cette année, le rap underground français accueille dans ses tranchées un duo électrique, armé contre l’orage et l’ennui dopé aux cachetons. Cette résistance se nomme Sémaphore et ce qui est certain, c’est qu’elle va faire criser les cœurs.
Il était une fois il n’y a pas si longtemps, Jean-Pierre Köfte et Youno Heisenberg, deux bourgeois recalés au Printemps de Bourges débarquant avec le premier volet d’une mixtape acido-sucrésalé. Quelques semaines après la sortie d’Hôtel Iblis II, on a décidé de vous parler un peu de cette pépite essentiellement produite par le très bon Holos Graphein. La fureur, la rage de vaincre, l’envie de tout péter : notez que Sémaphore ne craint rien. Entre l’addiction au sexe, les délires mystiques et une sobre (sombre?) nonchalance, les kickeurs tombent parfois dans la facilité textuellement parlant. Mais les prods électriques (signées Robotnik, Naughty Gawd, 808 mafia, Abe Beats Domeno ou encore Aaayyoo) rattrapent le tout, et le mélange fuse dans nos tympans pour faire décoller nos synapses. Inutile de préciser que chaque cellule d’un corps humain normalement constitué, frissonne et se délecte de ce fluide musical.
Plus ou moins proches du collectif DFHDGB, nos trois bonhommes poussent invariablement leur auditoire dans les bras du vice (« Même si t’es cheum j’aime quand tu twerkes / Mes anticorps sont en titane, le génocide réside dans le lapdance / J’ai bu la tasse dans le Styx, le buste de Marianne j’en fais mon Horcruxe »). Tellement moderne, tellement en phase avec son époque, les influences de Sémaphore débarquent de partout et nulle part avec notamment Harry Potter, phares au bout lumineux et Shutter Island dans Paris. Le trio mise son indéniable talent sur le 3ème degré et la provocation : « J’aime pas le Vatican, en enfer on y va quand » ou encore « Dans les bras de Morphée mais c’est un lépreux / Je suis noir moi aussi je suis ténébreux / Sombre et ténébreux comme l’état hébreu ».
En somme, pas de ligne directrice sur ce projet, Sémaphore s’est laissé aller pour se et nous faire plaisir. De l’intro à l’outro, voici les frustrations de notre époque et les histoires d’amour avec l’illégalité, contés sur ce ton complètement décomplexé. Mais ce qui frappe par-dessus tout, c’est cette honnêteté totale, entière, ces poètes modernes qui se livrent corps et âme. Chaque phase est assumée avec tant de vigueur et de foi qu’elle ferait vriller n’importe quel curé de Bourges. L’ensemble donne un bordel plutôt organisé. Et puis, Hotêl Iblis II, à la manière du premier volet, sait se distinguer par son authenticité ; s’il ne s’impose pas comme le projet de la décennie, les auditeurs se laisseront envahir par cet univers perché et seront prêts à en redemander.