« Parle peu, frappe fort »
Qui peut prétendre parler de rap sans prendre position ? L’ancienne ou la nouvelle école, Joe Budden ou Lil Yachty, l’œuf ou la poule, autant de dilemmes cornéliens auxquelles la vie nous confronte brutalement chaque jour. Sans trop se mouiller, on va quand même partir du principe que le rap c’est mieux, et qu’on en a pas grand-chose à foutre de la forme tant que la musique est bonne – échappatoire facile, oui, mais finalement assez proche de la vérité, non ? Rapper, chanter, pourquoi choisir ? Jarod a fait les deux en quantité dans son nouvel album, et il n’est pas le premier en 2017 (ou avant) à se laisser tenter à pousser la chansonnette de temps en temps.
Ceux qui le connaissent déjà ne seront pas surpris, après un précédent album déjà haut en couleurs l’an dernier, d’entendre Jarod chanter sur une moitié de l’album, et kicker à en brûler le mic sur l’autre moitié. Les cinq mini clips annonçant l’album, et plus encore les deux premiers singles, Maladie et Hara Kiri, en disaient d’ailleurs déjà long à ce sujet : on sait qu’on peut s’attendre à tout, de la part d’un Caméléon qui porte bien son nom au moins pour une bonne raison.
Ici dans une bagarre de rue, là en peignoir parapluie sur un rooftop, d’abord dans les plus noires profondeurs de la trap puis sur les sommets lumineux de la house, Jarod est en musique comme à l’image : intenable, inclassifiable, et à première vue, incohérent au possible. Pourtant, les 15 morceaux de l’album sont tous fièrement emprunts de son ADN, au-delà même de la simple signature vocale de l’artiste (bien présente, malgré les multiples changements de ton tout au long de l’album). Comment rester cohérent sur un projet qui ne l’est pas musicalement ? Les lyrics sont un premier élément de réponse, mais pas le plus important : ce qui lie l’image et le fond chez le caméléon, qui lui permet de passer du rap au chant sans perdre le flow et du chant au rap sans perdre la mélodie, c’est probablement son plus grand super pouvoir. L’attitude.
Cohérent ou pas, l’album est en tout cas assez consistant. Le nombre de morceaux, de featurings (MB, Chris Karjack, Cheu B et Bakah viennent épauler le Caméléon, en plus de Dr Bériz qu’on retrouve sur deux autres morceaux) mais surtout les multiples flows et tonalités qui s’enchainent et se croisent en font un album un peu lourd à digérer à la première écoute. Pas d’interludes, simplement deux morceaux plus courts que les autres, et pas forcément les plus efficaces pour respirer entre deux grosses bastos de Jarod : des tracks comme Dope ou La Source, qui déboitent les enceintes, viennent équilibrer les vibes beaucoup plus douces qu’on retrouve sur Je Roule ou Get Rich, pour un album finalement assez équilibré. A l’aise sur tous les terrains, dans le flows comme dans les mélodies, Jarod en profite aussi pour mêler les deux, et sur des morceaux comme Bavon ou Que Pasa, on ne voit plus les frontières entre un morceau dit « de kickeur » et un format single radio : ni vraiment l’un, ni franchement l’autre, la plupart des morceaux peuvent être appréhendés de la façon qu’on veut, et c’est probablement la meilleure voie pour s’affranchir des codes. Le rap et le chant s’entremêlent constamment d’un morceau à l’autre, d’un couplet à un refrain, parfois même au sein d’un même couplet ; avec ou sans autotune, Jarod maitrise les deux techniques. Au centre de l’album, le morceau Falaise, ultime clip et single du projet avant la sortie, s’impose comme l’un des titres phares du projet. Une production léchée qui flirte avec la house, et un flow chantonné qui reste dans la tête, voilà probablement le morceau qui va nous permettre de respirer dans cet album décidément riche de contenu.
Difficile, peut-être, d’aimer tous les morceaux de l’album, mais plus difficile encore de n’en aimer aucun tant il propose de styles différents : qu’on préfère un Gossbo ou un Mystère, tout le monde trouvera à manger dans Attitude. Mention spéciale pour le morceau Bac à Sable, avec Bériz et Bakah ; le petit riff de guitare imparable, la voix à nue de Jarod et son flow qui évolue sur le couplet, l’osmose entre les trois emcees sur le morceau, en font également un titre phare.
« Déterminé et solitaire, tu vois la différence ? »
Alors que retenir d’Attitude ? Jarod n’en fait toujours qu’à sa tête, au gré de ses humeurs et de ses envies, et c’est tant mieux. Loin de se contraindre à une seule couleur, il se fait plaisir sur tous les titres, et multiplie les influences et les sonorités : on peut rester constamment fidèle à soi-même et à là d’où l’on vient, sans avoir de cohérence strictement musicale. Jarod en est la preuve.
Plus d’information sur le projet dans l’émission du REF, dont Jarod était l’invité il y a deux semaines !