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[Chronique] Joey Larsé – Drugstore : la rêverie, la drogue et la déprime

Quand on découvre Drugstore, le premier album de Joey Larsé, très vite l’impression d’avoir affaire à un vrai travail d’orfèvre prédomine. Ainsi, la magnifique pochette de l’album, réalisée par le rappeur lui-même met en scène différentes babioles sur un fond peint aux couleurs pastels. D’entrée, ces souvenirs collectionnés et ces douces plages de couleurs créent un univers mélancolique, mystérieux et rêveur. À l’intérieur du livret, designé par Guillaume Carey, on retrouve des photographies signées Valentin Campagnie, pour beaucoup rappelant les clips de Joey, mettant en scène des intérieurs luxueux, des belles voitures, mais aussi des pensées qui se perdent, enfermées dans une chambre. Ce sont ces pensées pleines de fumées que l’on entend, quand on met le CD en marche. Drugstore, c’est l’histoire d’un mec qui rêve et qui déprime, enfermé dans un élégant écrin à bijou. 

Cet écrin, c’est le château où il erre dans ses clips, allongé sur son lit à la couverture rouge, ou avachi sur un fauteuil.  Mais cet écrin, c’est aussi le bel objet que constituent le CD, sa jaquette et son livret. Cet écrin, enfin, ce sont les productions de Yepes, compositeur principal de l’album, aux mélodies subtiles et élégantes. Parfois épaulé par Plae Casi et Bachir, membre du duo Pandemik Muzik ainsi que fondateur de Jambaar Muzik, la maison d’édition qui publie le projet, le compositeur délivre des productions millimétrées, que Joey Larsé laisse souvent chanter seules à la fin de ses morceaux, pour mieux se perdre dans ses pensées, et pour mieux nous laisser entendre sa rêverie.

En effet, Yepes et Plae Casi, compositeurs autant investis dans le rap que dans les musiques électroniques, font progresser leurs productions tout au long de chaque morceau avec délicatesse, savoir-faire, et un vrai sens de l’harmonisation. Ainsi, le rageur Surfeur d’argentsur ses deux minutes finales, laisse les deux hommes moduler la production, la faire progresser avec des accords de synthétiseur mélancoliques, et un pattern rythmique électronique hérité de leurs expériences musicales passées. Entouré de ces productions luxueuses, Joey Larsé erre dans ce grand château.

Joey nous vend la drogue comme un médicament, mais il la consomme aussi comme telle, pour lutter face à cette rêverie mélancolique qui le hante. « Ptet’ qu’il faudrait qu’j’me shoote encore un peu« , reconnaît-il dès Prescription, premier titre de l’album. Le décor est planté. Celui qui vit « seul mais entre plein d’gens » (Prescription) laisse sa mélancolie et sa nonchalance traîner sur les dorures des productions et de son palace. Joey fait des ronds sur son lit ; et il « tourne en rond dans le carrousel » (Carrousel). Dans ce monde où rien n’a de saveur, où tout se répète, il fait des tours en voiture, la nuit, et finit « fucked up dans l’porche » (Carrousel).

Il vend aussi de quoi se shooter « sous [sa] Royal Jacket » (Royal Jacket), mais la bicrave n’est pas ce qui va briser sa rêverie, ce qui va l’extraire de la monotonie, ce qui va lui faire élever la voix, cette voix qu’il garde toute en retenue sur presque l’intégralité du disque. Au contraire, la bicrave intègre cette boucle infernale du carrousel, et Joey se retrouve « perdu dans l’circuit à faire d’l’oseille » (Carrousel).

La vente, les sorties, la fête, la ride,… Tout cela perd de son sens pour Joey, qui se retrouve seul dans un monde où le quotidien n’est qu’une boucle obsédante, à l’image de la production du morceau Carrousel et son beat aux allures de ritournelle lassée. « Tous les soirs on fête / Mais personne sait c’qu’on fête / Tous les soirs on l’fait / On finit par le regretter » (On fête). Ce monde où les illusions et les néons de la vie nocturne ne réussissent plus à masquer l’ennui n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’univers du crew Bon Gamin, qui déprime À l’arrière du Uber.

La figure du bandit dépressif est un lieu commun du rap français, et la figure de Tony Montana hante ses textes, de PNL à Dosseh. Pas étonnant, dès lors, de retrouver la figure du Dr. Melfi, la psy des Sopranodans l’un des morceaux de Joey. Mais cette figure de la psy n’est qu’une illusion, comme le laisse comprendre le clip du morceau, où celle-ci s’efface, comme un mirage. Joey Larsé est en réalité isolé, et raconte ses craintes seul dans son écrin, seul dans son château, seul dans son disque (« Glock sur la main comme si j’sortais mes pires angoisses » Surfeur d’argent). Le rap devient sa thérapie, son journal intime, mais aussi sa dernière chance : « Le silence tue on l’sait / Pour rester en vie j’rappe un peu » (Royal Jacket).

« Raconter mes doutes, mes faiblesses à un psy / Moi Joe Lucazzi non merci / J’laisse ça à Tony […] J’préfère m’confesser sur disque » (Le Monde de Demain). Joe Lucazz lui aussi a toujours remplacé la psy du bandit par la thérapie sur un beat. Le beat, lui au moins, ne risque pas de balancer aux flics. Pas étonnant, dès lors, que les deux hommes de l’ombre de la ville se retrouvent sur le projet sur le morceau Vroom-Vroom, à partager leurs regards désabusés sur le monde (« Ils sont là pour faire bouger les lignes, nous pour les revendre », rappe Joe Lucazz), et leur goût pour l’autodestruction. Lucazzi semble être le seul featuring possible dans cet album de la solitude et de l’introspection, où Joey Larsé « dessine [son] plan dans d’la buée », sans doute celle de la fenêtre de sa chambre. Il vient poser un couplet avec dextérité et charisme, avant de laisser son collègue bordelais à nouveau seul face à lui-même.

La faiblesse du disque rejoint sans doute sa force : cette nonchalance et cette cohérence d’un bout à l’autre peut rendre le projet difficilement accessible, nécessitant plusieurs écoutes, pour ne pas se perdre dans les nuages de mélancolie de Joey et les productions épurées de Yepes. Un peu comme un film d’auteur, Drugstore est un album qui s’apprivoise. Seul Surfeur d’argent et son refrain accrocheur, gorgé de hargne et d’ambition, rappelant le Domamaï d’Isha (autre grand bandit mélancolique du rap francophone), vient apporter un supplément d’énergie dans cette ride mélancolique de dix titres. Mais face à à l’ambition et à l’optimisme présents par touche (« Longue vie à tous ceux qui m’donnent l’envie de l’faire comme il faut » Dr. Melfi) la mélancolie du quotidien vient souvent répondre, en écho.

Ainsi, dans Surfeur d’argent, au « Mais moi je ne veux que la monnaie ! » vient répondre le « On s’fait mal au cœur et on s’excuse ». On retrouve cette même boucle de l’échec amoureux un peu plus loin dans le disque : « On s’aime / Ensuite il s’passe rien / Et on s’quitte » (Dr. Melfi). Ainsi, Joey revient se noyer dans le Hennessey et dans sa tristesse nonchalante. Si cette ambiance feutrée peut désarmer l’auditeur, l’album de Joey Larsé mérite d’être écouté et réécouté : on remarquera toujours à chaque écoute de nouvelles trouvailles d’écriture insoupçonnées (« J’suis en quête de vie, en quête d’amour et de coupures / Pas sur les doigts mais dans les portes d’la mini Cooper », Prescription) et des modulations subtiles dans ses productions (le final de Vroom-Vroom). La pharmacie de Joey Larsé n’est donc certes pas la plus accessible de tout le rap français ; mais vous y trouverez sans doute les plus beaux bibelots.

Guillaume Echelard

À proposGuillaume Echelard

Je passe l'essentiel de mon temps à parler de rap, parfois à la fac, parfois ici. Dans tous les cas, ça parle souvent de politique et de rapports sociaux, c'est souvent trop long, mais c'est déjà moins pire que si j'essayais de rapper.

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