Parler de Jul, c’est souvent dans un premier temps tomber dans une forme de redondance qui perdure album après album. En effet, on se sent toujours plus ou moins obligé de souligner un paradoxe propre au rappeur marseillais : celui de jouir d’un énorme capital sympathie (venant du rap ou non) et en même temps d’avoir une foule de détracteurs pointant du doigt son utilisation exagérée de l’auto-tune et de mélodies répétitives, ce qui refléterait un manque de talent évident. En 2018, la condescendance est toujours de rigueur chez une partie de la population lorsque l’on prononce le nom du rappeur à 3 lettres, notamment pour souligner ses fautes d’orthographe et une grammaire pas toujours respectée à 100%. Faire partie de la team Jul se résumerait à aimer ni le français, ni le rap et donc finalement à n’avoir que du mépris pour le rap français.
Il faut cependant avouer que les singles qui ont l’habitude de tourner en boucle sur les chaînes et les radios généralistes participent grandement à cette vision un rien stéréotypée que certains peuvent avoir. Pourtant réputé pour être un grand bosseur, et paraissant squatter en permanence son studio d’enregistrement, la musique de Jul, avec un son comme Tchikita a malgré tout tendance à donner facilement l’impression d’une paresse calculée. Sa recette grossièrement résumée ? Des couplets et des paroles minimalistes et une sur-optimisation d’un refrain facile et entêtant. Bref, les haters iront rarement plus loin que cette partie émergée de l’iceberg même s’il provoque régulièrement un certain nombre de retournements de vestes au fil de sa carrière (et moi le premier).
Après 6 mois d’absence, Julien Mari revient donc avec Inspi d’ailleurs. Si l’album conserve la même recette que ses précédents projets (le très correct mais inégal Je me vois pas briller et le très bon La tête dans les nuages) le rappeur marseillais nous annonce dans Coup de genoux un « Jul un peu renouvelé ». Une question s’impose : si 6 mois équivalent à au moins 2 ans dans la dimension temporelle du rappeur marseillais, le « un peu » signifierait-il « beaucoup »? A première vue rien de révolutionnaire pourtant et pas d’énormes changements à la clé à l’écoute du projet. Il serait bien difficile d’avancer que cet album puisse conquérir un certain public rap qui l’a toujours boudé : ceux qu’on appelle parfois “les puristes”, fervents défenseurs du “vrai » rap avec donc “des vraies paroles” (pas des fausses évidemment) et un “vrai message” dépourvu de tout artifice et effet musical venu d’ailleurs.
En revanche, les fans et ceux qui suivent Jul de près ou de loin apprécieront les effets positifs de ces 6 mois d’attente et les évolutions qui y sont sûrement liées : maîtrise plus fine et utilisation moins abusive de l’auto-tune, instrus plus travaillées, moins redondantes et encore plus entêtantes qu’à l’accoutumée mais également une diversification des rimes, des flows et des intonations qui font plaisir à entendre. Bref, c’est un rappeur et beatmaker effectivement inspiré qu’on (re)découvre dans cet album.
“J’vois passer des types chelous et j’en fais des tubes !”
Pour ce qui est des thématiques, Jul reste toujours fidèle à lui-même : la vie de quartier est prédominante et la cité phocéenne devient carrément un personnage à part entière (ou l’une des meilleures séries au monde « Marseille c’est The Wire » clame t-il sur le refrain du titre éponyme). Comme à son accoutumée, il nous livre sa petite dose d’histoires d’amour mais ce qui se remarque de plus en plus dans cet album c’est la question du succès et les rapports faussés voire haineux qu’il provoque : «Vous voyez plus Jul, vous voyez son portefeuille», « ça passe la nuit capuché pour m’faire des rayures. »
Parfois les interactions se font plus cocasses : « Ils ont mis la sirène, son enfant voulait une dédicace ». Face à la difficulté d’avoir des relations humaines sincères et non faussées, le besoin de solitude et d’un retour impossible à l’anonymat se font inévitablement ressentir tout au long de l’album, comme l’évoque Bientôt je me taille. On y trouve également des nouveaux personnages tel son Petit frère pour sans doute un des morceaux le plus touchant et personnel de l’album : « Et quand tu étais en prison, j’dormais sur ton lit, je gardais ta place. »
Amoureux du ballon rond, Jul fait figure d’un véritable Zizou du rap : talent indéniable dans sa catégorie, que ce soit dans ses textes ou ses interviews, ils partagent la même économie de parole, une pudeur et une humilité touchante. Pas étonnant que l’album soit bourré de références footballistiques et qu’il nous réserve en pleine période de Coupe du Monde, un morceau dédié avec un Fais-moi la passe entraînant. Même si ce single bourré de name-dropping ne figure pas parmi les grands moments de l’album, il suffira amplement à nous faire oublier le son du même nom de Rohff et Karim Benzema. Et rien que pour ça on le remercie.
Dans En attendant il conclut brillamment l’album en se baladant tranquillement sur l’instru tout en faisant un récapitulatif de sa carrière, de son adolescence (“ à 17 ans, j’étais sur les chantiers, j’cachais à ma mère que j’chantais”) à sa consécration aux Victoires de la musique pour My World. Une réussite où il alterne impeccablement rap et chant.
Pas de gros dépaysement, en résumé : avec Inspi d’ailleurs on retrouve le rappeur marseillais où on l’avait laissé 6 mois plus tôt, avec toujours son goût pour les plaisirs simples de la vie. Quelques soucis en plus : il a par exemple perdu son permis, ce qui ne l’empêche pas de céder facilement à l’appel de l’asphalte pour assouvir sa soif de conduite de véhicules en tout genre : « j’vais racheter la moto, la mettre en arrière, même cet été j’aurai pas d’permis », ou « j’ai plus le papier rose mais en cachette, j’prends le RS ». Grand étourdi, il semble également avoir égaré sa carte vitale : «j’ai la tête dans les nuages et j’retrouve plus ma carte vitale». Enfin, comme beaucoup de (rappeurs) français il a suivi La Casa de papel et en profite pour nous faire partager ses (p)références : « j’suis plutôt Tokyo avec la coupe au carré ».
Si Jul est Dans sa bulle, il semble toujours prendre plaisir à collaborer et à inviter des artistes aux univers différents. Les featurings sont solides et même si les invités sont loin d’être utilisés à contre-pied, chacun remplit parfaitement ce qu’on attend de lui. Les rappeurs de Psy4 de la rime sont les premiers à éviter les prises de risques : Alonzo, qui est un guest habitué, est en terrain connu pour le morceau thématique Quelqu’un d’autre t’aimera, tandis que son collègue Soprano participe à l’enjoué TKT et a le mérite d’en placer une pour N’Golo Kante bien avant Vegedream. Quant à son protégé Moubarak, signé chez d’Or et Platine, il livre une prestation honnête sur Mauvaises tentations même s’il peine toujours à s’affranchir du style de son mentor.
L’album assumant parfaitement son côté estival et festif, on a même droit à un Jul posant sur du raï avec l’entraînant La rue dans le Cayenne en compagnie du chanteur Ayman Serhani. Pour entendre un feat un peu plus vénère, il faut attendre l’arrivée de Sofiane sur Tout grailler et ses sympathiques tours de passe-passe entre les deux rappeurs. Si les paroles sont relativement simples et puériles (« ce soir j’ai 9 ans » prévient le rappeur du 93), l’énergie du morceau et ses références amusantes (« tu critiques Fianso, Jul sur Facebook, Instagram, bah longue vie et nique ta grams ») réussissent à nous embarquer de la première à la dernière seconde sans difficulté.
Mais parmi toutes ces collaborations, c’est surtout le featuring avec Shay, Pim Pom qui se démarque. Que ce soit l’instru clinquante, le charme de la voix et la prestation de la “jolie garce”, le résultat est aussi séduisant qu’efficace. Le morceau a tous les caractéristiques du son de l’été (avec Toto et Ninetta autre gros tube et succès de l’album) et cela serait une erreur regrettable qu’aucun clip ne voit le jour tant le duo fonctionne à la perfection. Ajoutons à cela qu’arriver à sortir dans un refrain « Je sais que tu fonds pour moi vu que j’entends pim pom » sans que ça ait l’air ridicule est un challenge que Shay accomplit aisément. Seul bémol de cette combinaison surprenante: on aurait peut-être aimé un Jul moins effacé avec des couplets plus étirés. C’est d’ailleurs loin d’être le seul morceau dont on peut tirer ce constat. Comme souvent, on peut regretter sur ces multiples projets, cette tendance à proposer à l’auditeur des couplets minimalistes qui laissent place trop rapidement aux refrains. On se console comme on peut, en se disant que c’est aussi grâce à ce procédé que l’écoute de cet album d’une vingtaine de morceaux n’a rien d’indigeste.
Autre temps fort du projet, la sérieuse leçon de kickage de Coup de genoux où cette fois le rappeur n’est pas avare de paroles. On retrouve une production simpliste et un Jul en très grande forme, comme il peut l’être sur les multiples freestyles posés dans les médias rap. Un son sans refrain où il prend plaisir à varier les flows et les intonations. Ses variations qui peuvent sembler n’être qu’un détail participent aussi la richesse de l’album et à cette envie d’appuyer sur “repeat”. Un morceau qui pourra satisfaire ceux qui lui reprochent sa trop grande ouverture musicale qui l’éloignerait des frontières du rap.
De manière générale, que ce soit au niveau du choix des instrus, des invités ou des tentatives de diversification, aucune faute de goût n’est vraiment à signaler. Alors oui, on trouve une poignée de morceaux légèrement plus anecdotiques que d’autres mais nettement moins que sur des albums comme l’Ovni ou Emotions. Ici le bon côtoie souvent l’excellent et, entre des morceaux pas encore mentionnés mais pourtant dans le haut du panier comme Bwo, Je fais mes bails, Mélancolie du soir, Loca ou encore Les temps changent comme les gens, on ne sait plus où donner de la tête.
L’univers de Jul a toujours été un curieux et savant mélange de mélancolie et de bonne humeur, de solitude et de cohue. Le tout sous fond de violence, de drogues (« toi t’es l’genre de mec qui aime la neige mais qui va pas au ski ») et des nombreux vices de son environnement. Avec Inspi d’ailleurs jamais ce cocktail n’aura été aussi bien servi. Dans une interview accordée à Speakeasy, l’émission animée par Medhi Maïzi sur Deezer, le rappeur annonce la couleur : « j’ai fait 148 morceaux depuis le dernier album » (sic). Parmi cette ribambelle de titres, il a opéré une sélection minutieuse pour retenir les morceaux qui lui plaisaient le plus, soit au total 22 morceaux qu’il a alors pu retravailler par la suite. Résultat ? Jul nous livre peut-être son meilleur album, en tout cas sans doute le plus abouti jusqu’à nouvel ordre, côtoyant fièrement d’autres grandes réussites de sa longue discographie comme My World ou le plus récent La tête dans les nuages.