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[Chronique] Kaaris – Le Bruit de mon âme

« Depuis 43éme BIMA aucune avarie » nous dit Kaaris sur Se-Vrak, morceau qui annonçait son nouvel album plusieurs mois avant. Si, sur le coup, cela pouvait sembler vrai tant le remix sauce Therapy de l’hymne de la drill sonnait comme une rafale de M60 au petit matin, la sortie de ce nouvel opus laisse une impression en demi-teinte.

Deux ans après la claque Or Noir et sa réédition, le game made in France s’est laissé embarquer dans le train de la trap. De Roubaix à Marseille, tous se sont laissé séduire par les flows nerveux et les instrus lourdes, mais sans jamais rivaliser avec le travail de Kaaris et Therapy. L’équipe formant la référence a donc décidé de garder la formule qui à fait son succès et on tient là peut être le plus gros défaut de cet album : la redondance, le déjà-vu.
Avec Therapy aux manettes de A à Z, encore, on attendait ce que l’on connaissait. Et malheureusement, on a pas été déçu. Les compositions prennent peu de risques en général et à part quelques traits de génie parsemés, on reste dans un schéma connu, cherchant la lourdeur et l’amplitude nécessaires au travail de Kaaris. Alors certes, l’efficacité est toujours au rendez-vous, néanmoins on attendait quelque chose de plus, du nouveau, du surprenant. Niveau instru, Le Bruit de mon âme est la suite directe d’Or Noir, suggérant plus un besoin pressant de se diversifier et de s’ouvrir (pour éviter de tourner en rond) qu’une véritable recherche toujours plus profonde vers les abysses.

Autre déception : l’écriture. Si les images crues et violentes sont toujours là (« le temps c’est de l’argent, met de la coke dans ton sablier »), l’humour est beaucoup moins présent. Ce qui allégeait les précédents titres en nous faisant pouffer entre deux exécutions verbales a quasiment disparu ici, au profit d’un premier degré oppressant et agressif. Bien que Kaaris soit encore capable d’excellentes phases et de rimes travaillées, on regrette quand même ce manque de recul, qui rend les paroles moins digestes que par le passé.

Enfin, au rayon regret, on constatera que deux des meilleurs titres de l’album sont, pour l’un, une adaptation d’un morceaux emblématique de la scène de Chicago, pour l’autre, un hommage (que certains qualifieront de fellation caractérisée) à un rapper tout aussi emblématique de la scène d’Atlanta. De Chiraq à Trap-City, on touche ici peut être aux limites de l’adaptation d’un genre sorti du gouffre, dont on ne tire que son efficacité musicale en oubliant les trap-house, la zone 6 ou Terror-town. La boucle semble ainsi bouclée, la trap à la française ne semblant finalement qu’un pastiche du grand frère américain. L’histoire du rap français, en somme.

Mais tout n’est pas si pourri au royaume de Sevrak. Car mis à part les défauts évoqués précédemment, restent quand même d’excellents titres. Comme pour nombre d’albums, l’écrémage s’impose. En effet, Kaaris nous propose pas moins de 18 titres, format long et épuisant, qui doit forcément combler ses vides par du remplissage maladroit. Au final, en réduisant le nombre de titres à la dizaine, on ressort avec un album efficace et défoulant. Hormis Se-Vrak et Comme Gucci Mane, des titres comme Trap, Four ou encore Le Temps voire Kadirov rivalisent avec les meilleurs moments d’Or Noir.

K2A l’amiral nous régale encore avec une palette de flow variée et d’intensité dans l’interprétation qui donne une leçon à tout le monde. Le refrain final de Trap, les couplets sur Le Temps, le flow de Mentalité Caillera,de Se-Vrak, de Comme Gucci Mane ou le coté posé de Zone de Transit, on se régale malgré tout des variations, accélérations, décalages et autres tentatives de chant qui font qu’au final, on s’ennuie peu, continuant ainsi d’installer le Sevranais dans le top des techniciens actuels.

Si l’écriture est une semi-déception du fait du manque de légèreté, on a droit quand même à de très bons moments. « Même mes traits d’humour sont à la craie blanche », « Chaque orage me prédit qu’il pleut sur la tombe de mon père », « Mes négros ne plaisantent plus, l’Alabama ne chante plus », l’inspiration est toujours présente, malheureusement trop restreinte ici pour faire mouche. Les textes sentent parfois le remplissage et la rime facile, noyant les images les plus inspirées qui mériteraient un meilleur sort.

Enfin, pour être juste avec Therapy, on reconnaîtra quand même d’excellentes compositions, le piano de Trap (écho à Je Bibi), l’ambiance de Les Oiseaux, la folie de Comme Gucci Mane, autant d’instrus sortant du lot et solides comme il faut. Soulignons aussi que l’effet « sur mesure » des prods marche toujours aussi bien, le MC et le beatmaker formant un binôme indissociable à l’écoute, tant l’ambiance et l’interprétation se rejoignent.

Pour conclure, on dira que malgré des qualités indéniables (la force de l’interprétation, l’énergie déployée, le charisme et la technique du MC), LBDMA déçoit et souffre surtout de la comparaison avec son grand frère. Là où Or Noir faisait mouche, en plus de la solidité du projet, c’était aussi l’effet de surprise, de fraîcheur, qui amenait quelque chose de nouveau dans notre rap-jeu national. Ce deuxième opus ne fait que suivre la vague et ne bénéficie aucunement de cet effet, le public ayant rattrapé son retard devient ainsi plus exigeant, le manque de risques se faisant clairement ressentir ici. En attendant la Part.2, on croise les doigts pour voir Kaaris aller voir chez d’autres beatmakers, en espérant que cela puisse sortir Therapy de sa routine, et le voir tenter de nouvelles choses.

À proposJibé

Amateur de snares qui claquent et de kicks qui portent, j'aime les freestyles à base de kalash et de double-time.

3 commentaires

  1. Bonne chronique!

    J’ai aussi plus de mal avec cet album.

    Par contre j’ai trouvé le son avec Future très bon.. Pas un mot la dessus dans la chronique.

  2. Merci de ton commentaire, j’avoue que j’ai cédé à la facilité sur mon commentaire sur le pastiche, mais je ne vois pas en quoi Kaaris fait exception?

  3. Bravo, tout juste ! (avec une réserve sur le poncif « le rap fr est un pastiche du rap amerloque », Kaaris en étant a fortiori un contre-exemple)

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