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[Chronique] Kohndo – Intra-Muros

Les reproches envers Kohndo seront toujours les mêmes.
Peu importe la qualité des albums sortis précédemment, l’homme sera toujours jugé trop sage, au sens propre comme au figuré. De fait, son rap n’aura jamais la folie pyrotechnique d’un Nekfeu ou la nonchalance calculée d’un Alpha Wann. Comme un pied de nez à ces remarques imbéciles, Kohndo invite d’ailleurs Nekfeu sur  Faut que je tienne . La partie de ping-pong rapologique entre l’old timer et le jeune prodige fonctionne très bien et prend le contre pied de ceux qui chercheraient à opposer les deux artistes. Evidemment, si l’on cherche à apposer les qualités de Nekfeu sur Kohndo, on risque fort d’être déçu. Les qualités de l’homme sont ailleurs. Elles résident en grande partie dans une recherche quasi constante d’une esthétique musicale différente.
Dans un style musical comme le rap qui glorifie à outrance le texte et la performance, le pari semble osé. A l’écoute d’Intra-Muros, c’est d’ailleurs le sentiment de dépaysement qui frappe en premier. Sentiment salvateur qui participe grandement au fait d’apprécier cet album. Sonnant différemment de la concurrence, sans forcer quoi que ce soit, Intra-Muros nous apparait d’emblée comme sympathique. Il est d’ailleurs intéressant de se demander à partir de quand la musicalité prend le dessus ?
 A l’écoute de titres comme Le compteur tourne ou Entre les Murs, cette question n’en est que plus prégnante. Dans une teinte plutôt jazzy, l’équilibre entre programmation et partie jouée par des musiciens est un régal auditif subtilement orchestré par Kohndo himself.

On pourrait s’arrêter sur tous les morceaux d’Intra-Muros et tenter de décrypter cette alchimie.
Cependant, si un titre sort du lot de cet ensemble finalement assez homogène, c’est incontestablement  Le facteur . Sa ligne de basse marquée, ses nappes de synthés très 70’s créent une atmosphère funky unique. Moule dans lequel se fond parfaitement A2H qui se sent comme un poisson dans l’eau dans cette ambiance ouattée.
Autre composante de cette recherche permanente de musicalité, le flow de l’artiste, considéré ici comme élément musical à part entière. Parfois avec une franche réussite, comme lorsqu’il est travaillé comme un flow début 2000 à l’instar de Comme des particules. Parfois avec un peu moins de succès, comme sur  Un gun sur le tempe  où cette tentative de reproduire la particularité rythmique du flow  » trap  » nous paraît un peu hasardeuse. On retient néanmoins la volonté constante de Kohndo de s’approprier le moindre espace de la mesure, de l’occuper pleinement quitte à allonger ses mots de façon démesurée. Travail de fourmi quasi inaudible mais ô combien essentiel !
Alors évidemment, certains esprits forts s’exclameront  » la musicalité, c’est bien beau mais à quoi ça sert  » ?
Chez Kohndo, cette démarche artistique est à entendre comme un manifeste exprimant sa vision du rap et du Hip Hop . Pour lui, les potentialités du Hip-Hop doivent se concrétiser et cela passe AUSSI par le son. On l’entend ainsi clamer dans  Demain le jour  » J’ai de l’inspiration pour ceux qui croient en l’action « . À notre sens, cette phase résume assez bien le personnage.
Ce qui ne signifie pas que le texte, élément central du rap par essence soit laissé pour compte dans son oeuvre. En vieux routier, Kohndo sait toute la puissance des mots et le pouvoir curateur pour qui manie la plume. Il ne dit pas autre chose dans Entre les lignes, accompagné d’un autre grand serviteur des mots comme Oxmo Puccino :
Ecrire, c’est comme un sortilège
Le papier nous allège
De la force à tous ceux que j’aime,
Voici ce que je lègue
Le MC a donc des choses à dire et souhaite aborder une multitude de thèmes. Pour cela, il choisit l’option du story-telling et met en scène une myriade de personnages. Acteur central de cette comédie humaine, le chauffeur de taxi au travers duquel il s’exprime lui permet de donner des descriptions de la ville et son environnement comme sur  Demain, Le jour9m2  ou Le compteur tourne .
Si le concept est audacieux, on regrette qu’il ne soit pas plus explicite et qu’il soit parfois noyé sous le texte. Par exemple, sans une écoute attentive, difficile de comprendre que Le compteur tourne évoque les difficultés rencontrées par notre chauffeur de taxi liées à sa situation de clandestin. Et cela est bien dommage !
Malgré tout, des textes comme  Comme des Particules  ou Des voix dans ma tête parviennent à s’imposer par leur introspection sincère. Des thèmes difficiles mais cher à l’auteur comme la prison ( Entre les murs ) sont également abordés et donnent une teinte sombre à l’album. Pourtant, Intra-Muros se veut résolument optimiste et est tout à fait lucide lorsqu’il s’agit de décrire la difficulté de notre quotidien.
 » Fuck la crise,
A se demander si la vie nous brise
J’aimerais crier ou pleurer mais la décence oblige
(…)La vie ne donne rien si ce n’est l’espoir
La force qu’on a pour se lever n’est qu’un exploit « 
Projet musical de haut vol qui tranche avec les sonorités actuelles et condensé de story-telling intéressant manié par une plume experte, Intra-Muros ne pouvait donc qu’être un excellent album. A l’image de son concepteur, il n’est peut-être pas le plus clinquant mais il fait plus que le boulot. Comme d’habitude…

À proposZayyad

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