« Si tu t’demandes pourquoi j’reviens, j’te réponds cash : pas pour l’salaire, pour ça y’a le poker / Moi c’est juste prendre un beat et puis lui niquer sa mère / J’fais ça pour l’kif, j’suis pas vraiment en galère / Y’a longtemps que j’écris plus à la lumière du lampadaire »
Les 20 premières secondes de l’album suffisent à placer le contexte : Bruno Lopes, aka Kool Shen, ne revient que pour faire de la musique, du rap, sincère et cash comme à son habitude, mais délesté de sa fougue de jeune rappeur affamé, qui a laissé place à l’expérience de l’ancienneté. Pour y gagner au change ? Difficile à dire. Sept ans après son dernier projet, Crise de Conscience, le rappeur aurait pu changer, se dénaturer, se perdre, se faire dépasser, déclasser. C’est précisément le thème abordé dans le premier track, Déclassé, plutôt rassurant : Kool Shen est toujours en accord avec ce qu’il vit. En tout cas, il en a bien l’air, et le second track (avec Jeff le Nerf, garçon. Ah bah ouais) confirme bien que le rappeur n’a pas changé d’un poil et ne fait pas semblant de revenir.
Naturellement, sur la forme, Kool Shen fait le taf. J’imagine que les auditeurs de ce disque le savent depuis bien longtemps, mais on va quand même clarifier les choses pour les retardataires : lyricalement, KS est toujours talentueux, sait se faire percutant, toujours porté par le même flow depuis les débuts. On apprécie l’égotrip de tracks comme Ma rime, ou encore Classic, le featuring avec Lino (qui ne l’est pas – classique-), mais on a parfois l’impression de rester sur sa faim ci et là, sur une prod, sur un refrain. Parfois, les mélodies s’adoucissent, et sur Edgar, ou Over (un track sur lequel on apprécie de retrouver monsieur Lyricson) ou encore la conclusion de l’album, Debout, Kool trouve un équilibre musical convaincant, teinté d’une pointe de nostalgie. Alors bien sûr, on pourra toujours lui reprocher de n’avoir pas su se renouveler, mais on peut avancer avec autant de conviction qu’il est simplement fidèle à lui-même, et cela n’a rien d’un défaut.
« Même ceux qui fixent les règles commencent à flipper / Maîtrisent plus tout donc au pouvoir ils restent agrippés / Hollande, tu crois qu’il sait ce qu’il fait ? / Sarko, il a fait quoi à part se faire kiffer ? ‘Sont là pour s’empiffrer / Rien d’étonnant à ce que ça bascule dans l’extrême quand il n’te reste plus que la haine pour t’enivrer » (Sur le fil du rasoir)
Par la suite, les choses se corsent. La France est internationale, par exemple : un sample de Jean-Marie Le Pen en intro, un refrain gimmické légèrement vocodé omniprésent : « la jeunesse emmerde le front national« . Malaise. Personne n’a prévenu Kool Shen que Jean-Marie Le Pen ne fait plus partie du front national depuis des années ? Que plus personne, que ce soit au sein du parti ou en dehors, ne lui accorde d’importance depuis des années ? Nous ne rentrerons bien sûr dans aucune forme de prise de position politique, même s’il est vrai que « si Marine courait aussi vite que je l’emmerde »… En revanche, est-ce que la jeunesse s’identifie réellement au discours d’un quinquagénaire qui signe son retour musical, et ce après sept ans d’absence ? J’en doute. Sa musique, de qualité mais en rien novatrice, ne s’adresse-elle pas plutôt à son public, ceux qui l’ont suivi jeunes avec NTM et continuent à apprécier son flow et sa musique aujourd’hui encore, en ayant pris de la bouteille en même temps que lui ? Alors bien sûr, nous ne pouvons que valider le fond, le racisme n’est pas quelque chose à banaliser ni à ignorer, mais sur la forme, on se serait volontiers passé de ce track moyen, et peinant à être crédible. Même réflexion pour Ghetto Youth : l’absence d’originalité musicale et thématique n’est justifiable que par l’excellence, et malgré tout le respect et l’estime que j’ai pour l’homme et l’artiste, je ne peux pas parler d’excellence ici. « Comment leur dire que c’est pas possible ?« , et comment te dire à toi, Bruno, que très peu de ghetto youth sont des joueurs de poker pro de cinquante ans ?
Les featurings restants ne remontent vraiment pas le niveau. Le track avec Soprano par exemple, au cœur de l’album, avec ses airs de single bâclé, peine très sérieusement à s’affirmer comme un track crédible. On aurait vraiment pas dit non à plus d’originalité sur la prod, en revanche on aurait volontiers dit non au refrain rythmé mais saccadé de Sopra ; quant au mélange maladroit des thèmes, entre le mambo et les factures, il aurait pu être mieux amené. Le feat avec Sonia Nesrine ne s’avère pas spécialement plus convaincant, malheureusement.
Alors que penser de ce retour de Kool Shen ? De superbes tracks comme Au pied de mon âme ou l’éponyme Sur le fil du rasoir n’ont rien à envier aux précédents classiques du MC, mais nombre de refrains douteux et de prods minimalistes viennent gâcher la tracklist, et je ne peux décemment vous recommander l’album entier. Un délicieux plat tiède, dont on enlèverait volontiers la sauce.