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[Chronique] La Main Gauche – Derrière Les Palissades

De La Main Gauche on connait peu de chose, ou plutôt on commence à peine à le découvrir (un peu grâce à l’abcdr, c’est vrai). Et pourtant quel artiste ! A moins que vous fassiez partie des quelques centaines de fans Facebook, Deezer ou autres abonnés Youtube vous n’avez sans doute jamais entendu parler de ce blaze. Un tout nouveau rappeur alors ? Tout le contraire.

Plus de vingt ans maintenant que La Main Gauche s’agite dans l’underground parisien. Membre du groupe K2C (K2Conscience), La Main Gauche sort début 2015 sous le label Dezordr Records son premier projet solo, l’EP Derrière Les Palissades. Une aussi longue gestation ne pouvait qu’aboutir à un EP aussi bien réussi. Dans Derrière les Palissades, La Main Gauche nous sert six titres (et deux remix) de haut vol. L’univers qui s’y dégage est très fort et la cohérence implacable. Il est rare d’avoir six morceaux quasiment aussi solides les uns que les autres. Quant aux remix, ils ne sont pas indispensables mais sont de vrais bonus, apportant une couleur différente aux titres concernés.

« La liberté guide le peuple sur les barricades », l’EP s’ouvre sur le célèbre tableau d’Eugène Delacroix avec la première piste Derrière les palissades. Rien que ce titre invite à la découverte de son univers, à l’idée d’un opus singulier. L’interprétation est élégante et le texte raffiné. C’est sa signature et on la retrouve tout au long de l’EP. Autre particularité, La Main Gauche prend plaisir à se jouer de la syntaxe « parait qu’de trop j’l’ouvre » comme un écho à son leitmotiv « Le désordre ma science ». Les mots sont pesés et choisis avec un amour certain pour la langue française. L’instru de Stekri, riche en nuance et en subtilité, se termine sur quelques notes cuivrées du plus bel effet. Le remix est lui plus léger.

« Combien de pleureuse pour rendre hommage à l’illustre volage ». La Main Gauche est rejoint par Badem, son acolyte de K2C, pour Cocaphonie. On y retrouve cette poésie noire servie par ce flow si singulier. La syntaxe est toujours déconstruite comme pour marquer un peu plus la complexité de l’identité. « Je remercie ce qui supporte, la charge est colossale, laver l’affront à l’eau sale » Morceau le plus court et, peut-être aussi celui qu’on réécoutera le moins – peut-être à cause de l’instrumentation plus électronique, peut-être juste une affaire de goût –  LGB ne possède pas moins son lot de vers bien ficelés. L’underground est revendiqué et la modestie est de mise.

« Je vends du rêve pour crever l’abcès, Libérer l’accès, avant que la porte se referme, Débusquer la bête enfouie, La part sauvage que j’renferme » Tu verras

« Refuge dans le silence, peu m’importe ce qu’il manigance, Ma plume est ma conscience, Le désordre ma science » Dtracks concocte une instru très Trip-Hop sur Trop de bruit pour rienLaurence Vandelli apporte de la féminité et de la douceur en prêtant sa jolie voix au refrain, chantée en anglais. Les textes sont imprégnés d’introspection, de quête d’identité et de souffrance ; le tout dépeint avec poésie, pudeur et élégance. « Les brebis égarés se prennent pour des loups solitaires » Sur Mes erreurs, les images sont toujours incisives mais l’interprétation est plus rageuse, plus habitée. Avec sample d’orgue électronique, la musique est encore une fois soignée.

« Au seuil de la gloire, l’envol du papillon » Tu verras clôt l’EP de la meilleure des manières, en apothéose. L’instru de Stekri sert parfaitement l’égotrip distingué de La Main Gauche. Tout sonne comme un classique dans Tu verras, tout est à sa place, et comme un classique on ne s’en lasse pas. « L’émotion plutôt que la performance » résume bien la façon de faire du rappeur, pendant que d’autres pensent que la rapidité du flow suffit à le rendre beau, à le rendre grand. Le clip de Tu verras correspond au rappeur, humble et esthétique.

A l’instar de Joe Lucazz ou autre JP Manova, le rappeur trentenaire perce sur le tard en nous offrant un EP plus que réussi, tant sur les textes que sur la musique. On sent l’expérience et la maturité de ce projet qu’ont permis ces nombreuses années à travailler dans l’ombre. Je ne sais pas vous mais nous en tout cas on resterait bien encore, posés à l’arrière de cette mythique 404, à gauche de La Main Gauche, à sillonner ses pensées derrière les palissades.

 

 

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