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[Chronique] Lasco, 2.6.Z : La carte d’identité d’un blanc du hood

Sorti le 15 février, 2.6.Z le nouveau projet de Lasco, rappeur membre du crew LTF, nous a mis une claque. Après plusieurs écoutes, on s’est dit qu’il fallait donc qu’on vous en parle…

Les auditeurs l’identifieront peut-être rapidement au timbre de sa voix bien reconnaissable, car Lasco traîne depuis déjà quelques années dans le petit monde du rap « parisien ». Pas un rookie, mais pas encore un rappeur « tête d’affiche », Lasco passe à un niveau supérieur avec son très bon nouveau projet 2.6.Z, nom tiré du code postal de la ville des Lilas, auquel il est particulièrement attaché.

Petit blanc d’un collectif de rappeurs parisiens (au sens large), les comparaisons et rapprochements avec des figures désormais bien connues du game sont faciles. Plutôt que d’y voir une ressemblance avec le parcours de certains membres de L’Entourage, on notera que LTF et Panama Bende évoluent depuis à peu près la même durée, dans le même petit milieu de rappeurs. Et que Lasco et PLK ont en commun plus qu’une teinture de cheveux : ce sont tous les deux des rappeurs évoluant dans un crew de kickeurs sur lequel personne n’aurait peut-être parié au départ, mais qui ont su évoluer, développer une identité propre et s’affranchir du collectif pour atteindre de nouveaux levels…

Peut-être premier projet « sérieux » et vraiment carré de Lasco en solo, 2.6.Z se révèle être une sorte de carte d’identité de son auteur, qui se dévoile au fil des titres, presque sans faire exprès mais toujours avec subtilité et un certain talent. Sur les 14 titres du projet, Lasco expose toute l’étendue de ses capacités et les différentes couleurs de sa musique. 2.6.Z est un mélange d’influences variées d’un amoureux du rap qui n’a pas peur d’essayer de nouvelles choses. Et ça fait plaisir.

Koria
Koria

Sur des prods assez différentes, planantes ou qui envoient du lourd, mais construisant finalement un ensemble assez cohérent, il est capable de passer du kickage pur et technique à des sons plus mélodiques et chantés, avec des couplets posés et touchants. Lasco montre qu’il peut être violent, comme un peu lover ; qu’il est aussi bon dans l’introspection que fort dans le storytelling (Tommy). La maîtrise de son flow, l’efficacité de sa voix et la technicité de ses textes laisse transparaître le travail qu’il y a eu derrière, sans se départir d’une certaine spontanéité, même si elle manque un peu par moment. Le projet respire l’authenticité, parfois presque la vulnérabilité si l’on écoute bien. Lasco se livre en filigrane de ses textes, parlant parfois de « Nicolas » (son vrai prénom) à la troisième personne. C’est aussi par des phases détournées qu’il est le plus sincère, comme cette brillante punchline :

« Dites au groupies que je suis personne / Dites à ma mère que je suis quelqu’un ».

Passionné de rap, aussi technique qu’efficace (il suffit d’écouter les freestyles annonciateurs du projet, intégrés à posteriori), Lasco n’a pas de temps pour autre chose, que ce soit les critiques, les groupies ou mêmes les femmes en général (un aveu rare dans le game) : « J’parle d’une prod et pas d’une go quand je me dis faut trop qu’j’la baise ».

Son temps étant totalement consacré au rap (sa chambre a été transformée en studio), Lasco est plus globalement un amoureux de la musique. On le ressent à la diversité des prods sur lesquelles il pose ou aux références qu’il cite, comme les White Stripes ou Nirvana en passant par la funk ou le punk. Sur d’anciens sons, ses expérimentations pouvaient sembler presque artificielles, alors qu’ici, il a bien synthétisé toutes ses influences, se transformant en rappeur aussi tranchant que touchant.

Loin des étiquettes, il cuisine sa propre sauce. Rap de cité contre rap de iencli, rappeur boom-bap ou rappeur à mélodies, autotune ou pas autotune, Lasco envoie valser les étiquettes sans travestir ni ses débuts, ni son talent. Fasciné par les Etats-Unis, auxquels il fait référence dans presque tous les sons, il est capable de citer des séries et univers fictionnels (comme les Gallagher de Shameless) tout en restant d’une lucidité étonnante sur la vie du quartier qu’il ne romance jamais dans ses textes, contrairement à d’autres artistes. Il parle de cet ennui chevillé au corps, de cette spirale irrésistible qui ne mène qu’au trou (la mort ou le hebs, au choix).

« Il y a beaucoup d’étoiles qui se perdent dans les blocs ».

On se surprend également à sourire à l’écoute de ses quelques phases un peu plus « critiques », sans être vraiment « engagées », comme par exemple : « Oh putain, ça tue des enfants au Congo, mais ils en parlent au compte-gouttes ». Lasco observe avec pertinence la société dans laquelle nous sommes, le monde dans lequel il vit.

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C’est d’ailleurs dans son analyse du milieu dans lequel il a grandi et dans lequel il vit que Lasco est le plus brillant. Jeune blanc des cités, qui n’a pas grandi dans les barres et les tours, mais dans les pavillons coincés au milieu, il décrit parfaitement, tout au long de 2.6.Z, le « complexe » du blanc de banlieue, dont on parle peu aujourd’hui. Lasco aborde ce de tabou du rap français sans complexe, assumant son histoire, son héritage, ce qui donne un mélange un peu particulier :

« Mes 2 grands-pères s’appellent Jacques, mais j’dis wallah comme un bicot ».

C’est là tout le paradoxe et la richesse de la situation, qui peut faire sourire, mais qui n’est pas simple à vivre. Il utilise d’ailleurs l’expression américaine « white trash » pour définir le sujet, qui n’a pas vraiment (pas encore ?) d’équivalent en français…

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Ni bourgeois parisien (critique facile et très à la mode depuis le groupe 1995), ni iencli ou même babtous fragiles privilégiés, Lasco parle des « blancs du hood ». Des banlieusards qui finalement, ne cherchent pas à être autre chose qu’eux-mêmes. Entre lutte de classe et une certaine culpabilité sociale, le banlieusard blancs navigue en eaux troubles, dans des mers souvent loin d’être accueillantes. Finalement, le repère et le refuge de quelqu’un qui cherche sa place, c’est le sentiment d’appartenance au quartier, à la street et à la communauté. Un décalage ou un rejet ne se ressent que lorsqu’on le voit et qu’on agit en réaction. Sans tomber dans le mélo, Lasco évoque le sujet avec subtilité, ou plus frontalement : « C’est nous les blancs du hood » ou « Ma mère m’a dit : Baise les racistes mais reste fier de ta mélanine ».

Lasco assume sa différence, son identité, mais ne se laisse pas définir seulement par ce seul aspect. Il parle de sa culture ou de ses principes comme définition de sa différence et de son identité, et non ses origines ou de sa couleur :

« Quand j’étais petit, grand-mère me lisait du Kant / Pendant qu’à la télé, tu regardais le Bigdil / Eh merde, comprends qu’on est différents »

Partie intégrante de son ADN, son appartenance à la « street » (et ses implications) est indissociable de son caractère, puisque ça en a fait le rappeur qu’il est aujourd’hui. Il faut dire que grandir en banlieue, c’est finalement vivre au sein d’une communauté métissée, mais soudée, où tout le monde se connaît et s’entraide :

« Et entre les tours, on slalom / Wesh wesh, salut, salam, shalom ».

Petit à petit, la société leur fait comprendre que c’est eux contre le reste du monde et les liens qu’ils créent sont aussi fort que les liens du sang. Lasco insiste tout au long de 2.6.Z, sur ses « reufs », son « sang ». Il dit bien : « Que des frères, et y’a personne qui m’appelle zinc » et « Je changerais pas d’équipe ». On garde les mêmes amis depuis toujours (« J’ai les mêmes frères depuis Bambino ») et on avance en équipe avec seulement les gens sur lequel on est sûr de pouvoir compter dans ce monde de requin : une philosophie bien ancrée, témoignant d’une loyauté à toute épreuve. Pas très étonnant pour un mec qui parlent de ses fans comme « le blood ».

Impensable de ne pas « monter en équipe », et c’est peut-être pour ça que Lasco réitère avec la seconde version du morceau collaboratif LTFuego. Une loyauté assez rare aujourd’hui, un trait de caractère révélateur qui peut être une force, comme une faiblesse : « Peut-être que sur cette terre, au final on est tous seul / Tes soi-disant reufrés peuvent te la mettre pour un bout d’teuch ». Lasco, c’est aussi un amour incalculable pour la famille, celle que l’on se crée au cours de nos vies, qui nous accompagne à travers les épreuves : « C’est quand c’est dur que tu vois c’est qui le blood / Y’a ceux qui t’aiment pour de vrai, et ceux qui simulent comme un film de boule». Un loyauté sans faille, « à la vie, à la mort », qui force le respect.

Sans être dans un esprit fataliste, grandir dans un milieu conditionne ce qu’on devient. Lasco est donc un pur produit des Lilas, et il ne rate aucune occasion de le rappeler. Si Lasco décrit extrêmement bien la vie de banlieue, notamment avec le titre Y3, qu’on ne peut que vous conseiller, c’est surtout sa propre expérience aux Lilas qui apparaît dans ce projet.

D’ailleurs, son sens de la famille n’est peut-être surpassée que par son amour pour les Lilas, sa ville. Depuis des années, il insiste sur cette ville, se décrivant constamment en interview comme un « rappeur des Lilas, 93 », mais avec ce projet, ça va encore plus loin. 2.6.Z en référence au code postale 93260, transpire Les Lilas et l’attachement de Lasco pour cette ville métissée et créative. Berceau de beaucoup de personnalités et d’artistes français (Jules Sitruk, Maiwenn, Rachid Taha, ou même, coucou Freeze Corleone, …), la ville des Lilas est une commune qui mélange quartiers du 93, aux pavillons de la classe moyenne et aux « villas » cossues des riches de la ville.

« Lasc’o mic, Lilas zoo, 2.6.Z ouais / Beuh, shit, zeb ouais / D’Évigny jusqu’aux Bruyères / Frappe Atl4s / LTF en passant par la place /Tu m’reconnais ? C’est nous les blancs du hood enculé / 2.6.0, gang gang / Lasc’o mic, Lilas zoo « 

Pour Lasco, c’est aussi la ville qui l’a vu grandir, la ville qui l’a construit, celle qu’il cherche à fuir et celle qui lui manque quand il est loin. C’est tout ce paradoxe, cet amour-haine (que beaucoup de banlieusards partagent) qui ressort du projet. Lui qui se dit « plus chauvin qu’un Corse » (est-ce vraiment possible ?), mais qui rappe en même temps « Pff, bat-les couilles des Lilas, cette ville a rien fait pour moi, pourtant 22 ans que j’suis là», en l’illustration parfaite.

On le sent tiraillé entre son sentiment d’appartenance à une ville, une communauté et son envie d’en sortir, de faire changer les choses : « J’suis dans la zone, j’ferais tout pour m’en sortir » ou qu’il rêve de partir : « loin d’la zone à risques, dans une villa pittoresque ».
Il décrit l’ennui qui règne en bas des blocs, quand il n’y a rien à faire, qu’on ne peut rien faire :

« Tous les jours, je vends, tous les jours, j’écris /J’dois m’barrer pour de bon mais bon j’crois que la chance m’évite / Tous les jours, je tente, sous les tours, je brille/ J’fais des ronds dans la ville, j’dois faire quelqu’ chose avant qu’je vrille ».

C’est presque une histoire d’amour que Lasco raconte avec 2.6.Z : son amour pour les Lilas, ville « qui n’a jamais rien fait pour moi », pour le quartier, « La rue veut pas m’cher-lâ , on dirait un mari jaloux ».  Il aime une femme jalouse, aussi belle qu’étouffante; une femme qui vous rend fou, mais qui vous manque dès que vous la quittez. Bref, une relation toxique avec une ville qui a très justement pour devise : 

« J’étais fleur, je suis cité ».

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