On y est : le retour de Lefa, des années après sa disparition musicale. Certainement l’un des rappeurs les plus talentueux de la Sexion d’Assaut de l’époque, avant que le Wati B ne passe du rap de L’école des points vitaux et des feats avec P Diddy à la pop de la Pilule Bleue et aux feats avec Kev Adams, Lefa qui avait arrêté la musique juste avant la sortie du dernier album de la Sexion d’Assaut, l’Apogée. En somme, il avait su se retirer au bon moment, et on n’a plus entendu parler de lui, tous les médias concentrant leur fougue sur les albums de Maitre Gims et Black M essentiellement. Finalement, son nom est ressorti de ci de là, lors d’interviews à gauche à droite, on a commencé à entendre parler d’un retour de Fall ; et puis d’officieuse, la rumeur est devenue officielle, et Lefa a entamé la promo de son premier album, appelé tout simplement Monsieur Fall. Quand on se rappelle de ses performances de l’époque, on était en droit d’attendre un album de grande qualité ; et ceux qui ne se rappellent pas, prenez donc un instant pour écouter Ra-Fall (2011) :
« Ici c’est Paname, on trouve banal que quelqu’un n’ait pas d’âme / Si t’as pas d’amis, qu’t’es pas d’la mif mais qu’tu vis c’est déjà pas mal / T’étais pas là quand la hess m’a dit vas-y mets-toi là / P’tit tu vois les toilettes qui sont là ? Bah dépêche-toi, nettoie-les »
Cinq minutes de flow technique et de rime affûtée, sur ce track comme sur tous les autres avec sa sexion, Lefa avait la dalle au mic et du talent plein les poches, et l’annonce de son retour sonnait comme une superbe nouvelle à mes oreilles. Mais les quelque singles sortis avant l’album ne m’avaient que partiellement convaincus : quoi qu’il en soit, il aura fallu me plonger dans l’album pour en avoir le cœur net !
Monsieur Fall
La première chose qui apparaît, pas spécialement étonnant quand on sait à quel point Dawala, à la tête du Wati B, est sérieux et exigeant sur le travail, l’album compte 18 tracks de plus de trois minutes, même l’intro, et sans interlude : Lefa a déjà le mérite de proposer en quantité. Mais nous sommes, je pense, nombreux à préférer la qualité, et c’est sur ça que nous allons nous pencher (avant de poursuivre la lecture, si vous ne jurez que par le old school, qu’un refrain chanté vous donne de l’urticaire et que votre vision du rap se limite au boom-bap, pas la peine ni de lire ce qui suit ni d’écouter l’album. En revanche, je vous prescrirais volontiers une bonne dose d’ouverture d’esprit).
L’introduction, assez consistante donc (3’18) présente un Lefa assez virulent, plus énervé encore qu’avant son départ : « Négro j’vais faire du sale, donc, prévois les pansements / Tu pensais qu’j’étais game over, bah tu sais quoi ? Pense moins« . Pas là pour blaguer Lefa ? « Tu peux que dire Oh, Fall, t’as pris du niveau / Merci mais ton sang va couler dans les caniveaux« . Hé bien voyons ça ! Après l’introduction, premier track, premier refrain : en une minute, on est passé d’un énervé « ton sang dans le caniveau » à de légers « aïe-aïe / Houhou, houhou » vocodés. J’ai rien contre la diversité musicale, mais ce genre d’incohérence musicale en revanche… par contre, au niveau des couplets, il n’y a pas grand chose à redire. Je parlais plus haut de flow technique, de rimes affûtées ? Elles sont toujours là, et les couplets sont d’excellentes qualités. En revanche, les refrains édulcorés et la prod très (trop) axée dance ne donne que peu de crédibilité au son. Et puis, hop, couplet, et l’excellent flow de Fall reprend le dessus. En somme, du talent, mais musicalement, le track a les angles trop arrondis et lissés pour le savourer totalement : et la crainte de faire ce constat tout au long de l’album s’est confirmée au fur et à mesure que je découvrais la tracklist.
Mais, attention, je pointe ici du doigt une irrégularité au sein de l’album, pas bien sûr le simple fait que le rappeur se décide à chanter ou à oser des choses plus musicales : il fait ce qu’il veut et n’a de comptes à rendre à personne, mais il s’agit de bien le faire ! Avant même la sortie de l’album, Lefa nous avait prouvé qu’il savait sortir de son univers strictement rappé dans le single 20 ans, dans lequel il expliquait les raisons de son départ et de son retour musical.
« On m’a dit « Fall, tu t’en fous, wesh, prends ton blé / Tournée des Zéniths, on a besoin d’Sexion au grand complet » / Mais si vous saviez comme ma poitrine était encombrée / J’étais incompris, pris pour un con presque »
Sur ce genre de track, prod plus épurée, plus percutante, les refrains chantés non seulement ne dérangent pas mais sont vraiment réussis, les couplets rappés sont bien sûr rappés (putain, Fall, il kicke !) : on aurait préféré plus de tracks dans ce goût-là. Ou moins de tracks, à voir… par la suite, la tracklist est extrêmement frustrante et totalement irrégulière sur absolument tous les points :
- Les prods
Une créativité évidente, parfois très bien retranscrite, parfois beaucoup trop normalisée : les harmonicas d’En terrasse, les cordes de Fantôme et les trompettes et flûtes de Cuba par exemple, présentent des horizons musicaux variés et intéressants, mais on a parfois le sentiment qu’elles ne sont absolument pas optimisées, certaines prods paraissent même complètement gâchées par cette volonté de les adapter certainement à un certain format radio ou un certain public, quitte à y perdre de la richesse musicale. A quel moment un violon est acceptable sur un bpm électronique si élevé ? Aucun, Lefa : aucun.
- Les featurings
Peu de surprise, le Wati B s’est construit grâce au travail et à l’union, et on ne lâche pas la famille voyons. C’est donc tout naturellement que Lefa a rassemblé en studio Maitre Gims, Jr O Crom, Black M et Barack Adama sur Reste branché, on retrouve également H Magnum sur Tu vas prendre l’eau, un track finalement au-dessus du lot (je ne dis pas que c’est forcément lié, mais je n’en pense pas moins) et Abu Debeing et Dadju sur Dernier arrêt, un track clairement de ceux qui tirent l’album fort vers le bas (je ne dis pas que c’est forcément lié, …).
- Le flow
Vous l’aurez compris, Lefa rappe bien, rime bien, et je ne vois vraiment pas ce qu’on pourrait lui reprocher à ce niveau là, à part de ne pas assez se servir de ce talent. Certes, il chante bien aussi, on l’a dit plus haut, mais vu le temps qu’on a passé à attendre de l’entendre rapper à nouveau, on ne va pas se le cacher : il chante trop. C’est parfois là aussi très convaincant, parfois très chiant, parce qu’à force de simplement chanter ou lâcher quelques gimmicks en boucle, sur les 67 minutes de l’album, on est loin des 67 minutes rappées. Très loin. Trop loin. Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César, et on préfèrera retenir que Lefa rappe toujours aussi bien, quand il veut.
« L’homme est ci, l’homme est ça / Mais quand il commet l’homicide, l’homme est sale / L’homme est méchant / Tellement méchant que quand il fait quelque chose de bien il dit Je suis une légende / L’homme aime la victoire, il n’aime pas qu’on l’batte / L’homme aime la victoire, mais n’aime pas combattre / L’homme, l’homme aime les problèmes / Mais l’homme a beaucoup de chance, car le Très-Haut l’aime »
Finalement, on apprécie le flow de Lefa quand il rappe, mais le chant ne s’avère que partiellement convaincant, non à cause de l’artiste mais des mélodies recherchées et des effets choisis, les prods sont dans l’ensemble assez peu convaincantes, mais certaines valent le détour, et la tracklist présente tout de même une réelle richesse musicale, très appréciable, comme il est de coutume chez le Wati B. Encore une fois, les tracks du style de 20 ans sont agréables lorsqu’ils sont réussis, à l’image de Fils d’Adam, Rappelle-la, et Monsieur Fall, mais ne le sont pas tous. Pour ce qui est du sang qui coule dans le caniveau, promis à l’intro, il se résume aux morceaux Plus l’time et Masterchef, à la limite… alors, même si le bilan sur l’album n’est ni tout noir ni tout blanc, avec du bon à prendre mais malheureusement trop de moins bon à rendre, Lefa n’est plus jamais autorisé à parler de sang qui coule dans les caniveaux à l’écoute de ses disques. Il n’y a pas de sécurité enfant sur les flingues en plastique.