Chroniques

[Chronique] Lucio Bukowski – Golgotha

10352790_823017957727128_6176762437379498356_nDeux mois à peine après la sortie de l’Homme Vivant, Lucio Bukowski revient avec son projet Golgotha, quatre titres emprunts d’une mélancolie certaine. Décryptage.

 

On commence à s’habituer à la profusion de projets du majestueux Lucio, que le public attend toujours en trépignant. Si habituellement la quantité prend le pas sur la qualité, la griffe du plus poétique des MCs est l’exception qui confirme la règle. Avec une dizaine d’EP et autant de collaborations à son actif, Lucio Bukowski s’inscrit en douceur dans la liste des rappeurs français les plus talentueux de ces dernières années. Ses morceaux, chacun en passe de devenir culte, sont un hommage à la littérature, une ode au cynisme, un florilège d’acides punchlines.

« J’ai transformé mon temps perdu en rimes voici ce que tu écoutes / Ce que tu prends pour des couplets sont des angoisses que je découpe / A trois heures du matin pendant que tes potes se pintent / Une tasse de café plus tard le jour se pointe ». Cette fois-ci, Lucio n’en démord pas et s’est à nouveau associé à Haymaker, mais aussi à Louise Kabuki, pour l’aboutissement de quatre titres rigoureusement taillés. Voix rauque et limpide, instru sombre, flow direct et monocorde : la marque de fabrique parfaitement travaillée du rappeur nous séduit, comme d’habitude, nous entraînant dans son univers ultra réaliste. Et tous ces couplets sont comme une nécessité pour lui, un « J’accuse » envers la société. Sous un léger air de Fuzati, Lucio nous conte d’abord le sentiment de solitude qu’il éprouve, comme en marge de la société, puis la rage et la colère que les hommes lui inspirent : «  Tous se laissent glisser dans des existences à ski de fond / Ne leur pardonnez surtout pas ils savent très bien ce qu’ils font ». Avec ce regard lucide qui lui est propre, Lucio Bukowski évoque l’idée d’un exil, comme le ferait un artiste au sommet de son art. Entre nostalgie du temps qui passe et souffrance d’une société qui s’enlise, il rêve de la colline GolgothaJésus aurait été crucifié, lieu éponyme et sacré.

L’EP se poursuit avec le Poème détruit n°502. Le rythme est lent, doux, apaisant. Tristesse, doutes et puissante lassitude pèsent néanmoins dans ce morceau, à tel point que l’on peut trouver le texte un peu fade, harponnant une sensation de déjà-entendu. Seulement celui-ci permet une ambiance lourde, presque gênante. Le rappeur ne dénonce plus, il semble abattu et résigné « J’ai écrit un poème en sifflant ma bière / Je sais bien que l’édifice se fera même sans ma pierre ». En somme, le texte est nu, dépouillé du surfait. L’instru quant à elle s’harmonise avec l’essence même du morceau.  Le troisième titre, Mont-de-Piété, est un gage de maigre espérance pour lequel le rappeur revient sur ce qui lui est essentiel, un bilan du passé et de son art. Il évoque, à l’image de son Inventaire paru dans les Saletés Poétiques, ce qu’il possède, ce qu’il a possédé et même ce qui le possédait. Une fois encore, la voix de Lucio Bukowski est teintée de nostalgie, de remords mais jamais de regrets.

Enfin Golgotha s’essouffle en faisant la part belle à la littérature. L’Audacieux Jeune Homme au Trapèze Volant est en effet un recueil de nouvelles écrites par William Saroyan. Cette œuvre est à l’image du morceau et même de l’EP : simple sur la forme et souvent sur le propos, mais d’une vérité profonde et absolue. « Allez-vous bien ce matin, êtes-vous heureux ? Vos vies sont-elles celles que vous espériez plus vieux ? Connaissez-vous l’amour, avez-vous des gosses, un bon métier ? » Ici la chute est un spectacle lancinant, une plongée douloureuse dans le rêve. Le trapéziste est l’allégorie de l’angoisse, et même de la honte. Le clip est d’ailleurs une sobre succession de prises de livres, de textes qui font légèrement tourner la tête. Le spectateur pénètre ainsi dans l’univers noir et littéraire du rappeur.

« Je vous observe de mon banc je ne suis qu’une parenthèse / N’atteindrez pas cinquante ans je vivrai toujours en quarantaine. » En attendant, notre MC favori ne s’arrête pas là : deux LP sont prévus d’ici la fin de l’année, dont l’un en étroite collaboration avec le lion Anton Serra. De quoi rugir de plaisir encore longtemps.

À proposJeanne

En quête de la dolce vita absolue. Petites oreilles au service de LREF. Étudiante en communication malgré moi.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.