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[Chronique] Melan, Pragma Vol. A – Des lueurs dans la vingtaine

Quelque peu oublié par les médias spécialisés dans le tourbillon des sorties du 5 avril, le Toulousain Melan dévoile ce printemps un nouvel opus intitulé Pragma. Un peu plus d’un an après avoir livré avec Abandon Sauvage l’un des meilleurs albums boom-bap de 2018, le rappeur innove en scindant son projet en trois volumes, dont les deux suivants sont attendus pour mai et juin. Si les six titres composant ce premier volet ne dévoilent pas un « nouveau » Melan, ils mettent toutefois en évidence une certaine facette de l’artiste, plus apaisée et lumineuse.

Ce côté joyeux et festif a toujours été présent dans la musique du Toulousain (on peut penser au morceau Loubard sur Abandon Sauvage ou dans une certaine mesure au titre Nuit de chien issu de l’album La Vingtaine), mais il a été longtemps relégué en arrière-plan par les thèmes sombres et le timbre rageur qui ont fini par constituer la marque de fabrique de Melan. Avec Pragma l’apaisement palpable dans certains morceaux de l’opus précédent semble se confirmer. Du point de vue instrumental, les boucles de guitare y dominent nettement aux dépens du piano-violon. Pour le reste, la joie teintée d’ivresse a cédé la place à des aspirations plus vagues et mesurées, une envie revendiquée « d’être au calme ». A la virulence des tons et des propos semble s’être substituée une vision plus blasée et pragmatique des travers sociaux et des problèmes existentiels.

vivement que les choses se posent, vivement que ça s’décrispe

Cette première salve de morceaux est d’autant plus intimiste que, outre le fait qu’on n’y trouve aucun featuring, la plupart des prods ont été composées par le rappeur lui-même (épaulé par Poline sur l’Intro et par Slin sur Contradictoire). Y font exception le type beat utilisé sur Dame Sol et le morceau La route est longue, dont l’instru est produite par DJ Hesa, beatmaker membre d’Omerta Muzik, collectif de hip-hop toulousain dont Melan arbore lui aussi fièrement les couleurs depuis de nombreuses années.

L’impression de gaieté qui se dégage globalement de ces premiers morceaux découle en partie des guitares ensoleillées des titres Dame Sol et Contradictoire, mais également du chant, qui occupe une place prépondérante, dans la lignée de certains sons d’Abandon Sauvage (Alma ou Mediterraneo). On trouve dans le propos de Melan certains motifs de cette humeur. Il est question d’amitié, rapport humain cahoteux qui semble nourrir le quotidien comme la création. Le rappeur fait aussi état de sa gratitude à l’égard du public, dont le noyau dur semble suivre son travail depuis les premiers extraits de La Vingtaine et se reconnaît dans sa ligne artistique comme dans ses discours (« à déverser ma peine, les gens comme moi m’écoutent », Contradictoire). Si les auditeurs qui attendaient de Pragma une continuité avec les opus précédents se satisferont sans doute des « couplets d’cordes vocales » garantis sans autotune, ils devront aussi se confronter à des sonorités nouvelles, notamment sur Dame Sol où s’entremêlent percussions plus trap et longs passages chantés.

Après le succès critique rencontré par son opus précédent, avec comme titre phare l’excellent Incompris auquel Melan glisse quelques références dans ce premier volume de Pragma, le MC affiche aujourd’hui des ambitions musicales légitimes, doublées d’une certaine dose de pragmatisme. Conscient de la difficulté du métier (« poésie ou deal de came, combien vrillent et virent de cap », Dark Paradise), il semble aspirer à vivre de ses productions musicales, perspective forcément plus enviable que celle de « lever des palettes ».

L’un des aspects les plus saillants de ce début d’album réside dans la lucidité dont fait preuve le rappeur, quand il s’agit par exemple de pointer les limites du je-m’en-foutisme. L’introspection, toujours extrêmement riche chez Melan, se teinte ici de réalisme quant à certains sujets, de la consommation d’alcool (« si t’étais net t’arriverais pas à t’écouter », On f’ra genre) à l’existence en général (« j’fais genre que j’me fous d’tout, mais j’vis avec de sales vibes », Dark Paradise). Concernant ses aspirations artistiques, le rappeur paraît aussi soucieux d’avancer avec discernement dans un univers où les « pouces bleus », l’idolâtrie et les « types sans gêne » ont tôt fait de brouiller le réel, et le MC de conclure : « j’préfère arrêter que d’être triste » (On f’ra genre).

Éclipsées par l’aspect joyeux de certains morceaux, la tristesse et la mélancolie trouvent toutefois leur place dans ce premier volet de Pragma, et les intonations rageuses que l’on peut notamment entendre sur Dark Paradise nous rappellent que le rap de Melan demeure une musique d’écorché. Derrière la jovialité qui ressort après une première écoute, pointent en effet des tourments qui restent solidement arrimés à l’écriture du Toulousain.

L’amour est ainsi renvoyé à sa complexité, entre une vie sentimentale « en freestyle » et des réflexions qui frôlent parfois le poncif (« les bâtards c’est ce qu’elles préfèrent, les mecs qui les font galérer », On f’ra genre. Si l’ivresse fait davantage l’objet de questionnements que de simples descriptions, l’alcool demeure, au même titre que le rap, un exutoire pour se « vider du mal ». Sur La route est longue, Melan tire de ce constat un refrain oscillant entre amertume et résignation, où le rappeur se fend d’un « fais-moi boire que j’oublie tout » aussi lucide que désabusé. Les choses qui blessent et « restent dans le verre » sont certes traitées avec plus de recul que dans les projets précédents, mais affleurent toujours dans les phrases du MC. En témoignent les mots dédiés par Melan à ses « amis sous les planches », qui continuent d’imprégner sa discographie depuis le bouleversant Catharsis.

j’fais des sons et les mille pas, pourvu qu’à la fin ça détende

Le choix de parler de Pragma alors qu’un tiers seulement de l’album est sorti est bien entendu critiquable, mais ces premiers extraits semblent bien traduire une orientation musicale cohérente et produisent de toute manière un horizon d’attente pour le reste de l’opus. Regretter par exemple l’absence sur ce premier volet de propos engagés véritablement approfondis n’a pour l’instant pas vraiment de sens. On prêtera de fait une oreille attentive aux volumes suivants pour appréhender de façon plus fine l’évolution de Melan, dans ses choix d’écriture et d’atmosphère musicale. Une chose est certaine, si dans cette première salve la gaieté et la mélancolie se mélangent dans un étrange chassé-croisé, le rap du Toulousain est dorénavant imprégné de maturité, signe, sans doute, que ce dernier est bien parti pour se réconcilier avec sa vingtaine.

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