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[Chronique] Mer2crew – Remise à flow

Ils sont quatre compagnons de galère, égarés sur ce radeau de fortune, au milieu d’une mer immense. Soudain, alors que le désespoir et la colère semble ronger l’équipage, l’un d’eux aperçoit « un truc » au loin. Et nous entendons, nous aussi, un truc. Un truc réjouissant comme un son de guitare qui s’élance, un chœur aérien et surtout un beat hip-hop en deux temps comme le flux et le reflux de la vague sur le rivage. Oui, c’est bon, on est sauvé : la Remise à Flow commence.

«Une bouée : pour moi, c’est ça écrire…»

A bord, l’équipage se compose de deux MC (Tekilla et Lost) et deux DJ (Salas et Ketshow). C’est une sorte de navire méditerranéen plein de passion et de chaleur, d’orgueil et de sourire. Mer2Crew, c’est aussi et surtout un rap très fortement porté sur l’aspect musical et sur le caractère dansant de ces mélodies : les beats sont ingénieux et originaux, les assonances scientifiquement élaborées et les phases de « kickages » justes et renversantes. D’ailleurs ce qui fait la singularité du crew, c’est notamment qu’il mêle l’affolant style verbal de Tekilla et l’habileté musicale de style reggae des mots de Lost. Bref, un flow qui fait chavirer.

D’une eau calme et reposante avec le morceau No time to lose aux vagues dévorantes d’un Drunken Style, il faut d’abord dire que le projet propose une diversité musicale vraiment éblouissante. En effet si les textes sont toujours précisément ciselés et peaufinés, les quelques titres les plus énergiques sont très clairement taillés sur mesure pour une folle tempête scénique. Le très bon Pull Up sent d’ici la sueur passionnée et la démence souriante d’une foule en délire. Des cris de guerres, des bras en l’air, des notes qui rebondissent et un flow qui jump. Si ta tête bouge pas, y a problème.

Cette diversité de tons et de musicalités, de registres et de genres, prouve bien le talent des rappeurs et des beat-makers du groupe qui portent tout l’engouement d’un rap libre et libéré des contraintes commerciales. Le titre Hipopouté est d’ailleurs un formidable plaidoyer en faveur du mouvement hip-hop. Tranquillement et sans gravité ni pathos, le groupe méditerranéen rend hommage aux fondamentaux du genre. Sans recherche vaniteuse de biens ou de reconnaissance, d’honneur ou de pouvoir, ils prouvent donc l’amour qu’ils ont pour cette passion: « On s’enrichit tous les jours, même si y a pas de maille, pas de blé » clame par exemple Tekilla, très sobrement. De plus si les textes défendent une vision assez fédératrice du hip-hop, le nombre de featuring témoigne aussi très bien de cet aspect-là. De la justesse de Split Prophet pour Incorruptibles aux enivrantes phases de La Méthode sur Desperados et du Coup d’pouce de Vice Versa à la diva américaine Denise King qui envoûte, sur un fond jazz, les notes pianotées du morceau Une âme vagabonde, le casting est royal.

Dans cette variété de styles, nous retenons cependant quelques morceaux marquants et assez représentatifs de l’âme du groupe. En ce sens, Le Troupeau est sans doute le morceau le plus abouti de l’album. Succession de couplets insolents sur un fond musical terriblement savoureux, il est une sorte d’affirmation de ce qu’est le rap et de ce qu’il doit continuer d’être dans un monde qui tente de l’apprivoiser à ses fins. D’ailleurs avec son jeu précis et délicat sur le son et le sens, la phrase liminaire dit déjà tout : « Entends, au loin le troupeau bêle. Nous, on fait partis des troupes rebelles. » Bref, ajoutez à cela deux couplets finement élaborés pour entourer celui du merveilleux Demi-Portion, l’immense artiste à l’allure de petit bonhomme, et vous obtenez un morceau d’une puissance et d’une efficacité redoutable. Autre morceau en collaboration, Vie d’Malade entrelace, sur un beat presque old-school, les formidables couplets de l’Hexaler et de Lacraps à ceux, tout autant délicieux, des deux MC du groupe. A coups de mesures contestataires et de coup d’état sonores, les rappeurs prônent un idéal bien éloigné des cadres du système actuel : « j’ai ma folie, mais la sagesse et le respect je viendrai prêcher… » affirme même Lost quand il jette l’encre. Enfin le titre Outrospection est, sans conteste, le texte le plus poignant et poétique de l’album. De leurs métaphores filées sur le thème marin aux évocations mélancoliques de quelques vagues à l’âme, les deux MC offrent une petit perle poétique sur un beat tendre et lancinant. Les deux rappeurs évoquent le temps qui passe et les regrets qu’il laisse traîner derrière lui, mais aussi les peurs et les espoirs, les joies et les souvenirs. En fait, c’est une nouvelle preuve de l’authenticité du rap et de sa force de compassion qui vient clôturer l’album, avant le morceau bonus, de la plus douce des manières. Après la tempête, le calme.

En conclusion, on vous conseille chaleureusement d’embarquer avec Tekilla et ses compères si vous chérissez le rap autant qu’ils en prennent soin. C’est une flopée de bons sons rescapés de cette mer polluée ou encore une de ces infimes gouttes rebelles qui résiste contre la force de l’océan. C’est surtout l’histoire de quatre gars talentueux et animés d’une passion vraiment contagieuse pour cette foutue musique. Et rien que pour ça, la remise à flow est réussie.

Et pour vous procurer cette petite pépite, ça se passe ici.

À proposLeonard

L'enfant seul paumé dans un centre commercial

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