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[Chronique] Mister V – Double V

On l’attendait. Enfin non pas vraiment. Enfin si, on l’attendait un peu quand même. Détendu, assis bien au fond du siège, l’air narquois, le sourire carnassier, prêt à traîner chaque titre dans la boue derrière notre char comme Achille et la dépouille d’Hector. Et puis on a écouté l’album de Mister V, et on a été un peu déçu. Enfin non. Enfin…

En fait, on s’attendait vraiment à une grosse daube. Un truc naze, conçu pour les auditeurs de Skyrock en bas âge, avec des blagues au milieu de toutes les lines. On s’attendait à ce qu’Yvick n’assume pas, incapable de laisser le personnage de Mister V aux vestiaires par peur de décevoir sa fanbase.

On était prêt à rire à gorge déployée avant de dire, sentencieux, que le rap n’est vraiment pas fait pour tout le monde, et que Mister V aurait dû en rester aux morceaux qu’il faisait « pour déconner ».

Au final, la déception est au rendez-vous. Enfin non. Enfin vous commencez à comprendre là où on veut en venir.


Double V, l’album de la coqueluche des cours de récré –  le désormais célèbre Mister V – a de quoi laisser circonspect. D’un côté, ne nous mentons pas, l’album n’offre rien de remarquable pour les oreilles des amateurs de rap aguerris que nous sommes et que vous êtes. C’est même plutôt ennuyeux. L’autotune permet à V d’exister sur des prods sans honte mais sans éclat, le flow est bon sans faire d’étincelle.

En vérité, si Double V avait été le projet d’un rappeur encore inconnu du grand public, nous n’aurions sans doute même pas pris la peine d’en parler tant le disque se révèle incapable d’apporter quoi que ce soit de nouveau à un genre musical de plus en plus saturé.

D’un autre côté, on s’en serait un peu voulu de passer à côté de l’occasion de parler de l’album de rap français d’un Youtubeur aux dizaines de millions de vue, surtout qu’au fond, ce dernier n’a pas à rougir de son bébé.

Comme il l’avait annoncé dans sa vidéo disclaimer, Mister V, n’a pas cherché à faire un album « de blagues ». Bien sûr, le naturel revient toujours au galop, et on sent que le Grenoblois ne peut pas s’empêcher de faire le pitre sur Top Album ou Venice, les deux titres qui ouvrent l’album. Le disque est par ailleurs émaillé tout du long de punchlines à la qualité parfois douteuse et dont le but est clairement de susciter l’hilarité chez l’auditeur. Cependant, il serait injuste de notre part d’accuser Yvick de « drôlisme », l’humour ayant toujours fait partie des disciplines du rap.

Le sens de l’humour, cette qualité que l’on prêtera volontiers à notre MC du jour, est d’ailleurs l’un des aspects du projet qui contribue à le rendre si ambigu. Si Mister V n’a pas voulu faire un album parodique, on a quand même du mal à prendre les moments d’égotrip au sérieux. « Faire des dollars j’y pense au p’tit déjeuner / Son prénom j’lui d’manderai au p’tit déjeuner », nous explique-t-il dans Petit déjeuner, avant de désamorcer cette escalade par « Le plus important c’est le p’tit déjeuner ». Franchement, la line avait du potentiel, mais pourquoi noyer la mèche plutôt que de la laisser exploser dans un finish bien sale ?

Mister V ne serait pas le premier rappeur à refuser de se prendre au sérieux (sur ce mode-là, JeanJass et Caballero sont capables de réaliser des projets d’une qualité incroyable) mais le garçon refuse la plupart du temps d’aller au bout du délire préférant finir sur le ton du « non j’déconne » plutôt que d’assumer ses envies de rappeur jusqu’au bout.

Et alors accrochez-vous, parce que c’est là que ça devient paradoxal. Il nous est TRÈS compliqué d’accuser Yvick de ne pas aller jusqu’au bout parce que justement, il est allé jusqu’au bout. Pour faire simple : Mister V a arrêté de sortir des sons juste pour le lol sur Youtube pour produire un véritable album de rap. Il est littéralement allé au bout de sa démarche musicale. Du moins sur la forme. Sur le fond – c’est-à-dire sur le plan du texte et des ambiances –  Double V esquive trop souvent la question ; même si le projet reste un véritable album de rap, parfois capable de faire jeu égal avec ceux de « vrais » rappeurs ayant naturellement fait le choix de se prendre au sérieux.

En tout cas, jamais Mister V ne se moque de nous. Si l’album présente des défauts évidents d’un point de vue artistiques (eux aussi justifiés dans la vidéo « Faire un album ») il n’empêche que l’intention à l’origine de l’album est totalement louable, puisqu’il s’agit seulement pour Mister V d’assouvir sa passion de la musique, et du rap en particulier (même si eh, apparaître dans le top album ça lui ferait quand même bien plaisir) et il faut apprécier cette sincérité à sa juste valeur.

Mais attendez car ce n’est pas fini. Récemment, un autre podcasteur – j’ai nommé Seb La Frite – a sorti un son intitulé 3M – Fritestyle V dans un esprit assez différent. Seb, lui aussi passionné de rap (consultez sa chaîne pour vous en convaincre), a choisi d’opter pour une approche beaucoup plus premier degré avec clip tendance, air blasé sur tous les plans et sous-titres en sanscrit. Et là : ça tombe à plat. Le son est limite gênant. Sans qu’il soit nécessaire de s’acharner sur Seb (parce qu’on vous concocte un petit dossier sur la thématique « rap et humour » et qu’on aura tout le temps d’y revenir), on est forcé de se demander si au final, cette oscillation constante entre les codes bien établis du rap et l’incapacité de V à les respecter pour de bon (parce qu’il n’est pas 100% à l’aise avec) n’est pas en réalité l’élément qui sauve son album du naufrage complet.


Parce que non, Double V n’est pas un naufrage. En fait c’est plutôt un tour en barque. On n’est pas transcendé par l’intérêt de la chose mais bon, ramer un peu ne fait de mal à personne.

Il y a un côté nanardesque à Double V. Vous savez ces mauvais films qui sont faits avec tellement de sincérité qu’ils en deviennent sympathiques et qu’on a envie de les montrer à ses potes pour se marrer devant ? Et si vous avez envie de vous marrer devant un mauvais film avec vos potes, est-ce que ça n’en fait pas un meilleur film que celui que vous avez regardé jusqu’au bout sans y trouver aucun intérêt et que vous ne recommandez à personne ?

Attention, on ne vous recommande pas Double V comme on vous a recommandé La Vie Augmente, Vol.1 (ici). Mais on vous encourage à écouter Bulletproof ou Gville, pour vous convaincre que même Mister V mérite  (peut-être !) sa place dans vos playlists, cet été.

Jacques Bonoberje

À proposJacques Bonoberje

J'ai découvert le rap français au Tegzas. Absolument.

3 commentaires

  1. @Steph’ Évidemment, toute notre indulgence vient du fait qu’on connaissait le gaillard comme podcasteur avant de le connaître comme rappeur. On t’encourage vivement à regarder sa vidéo « Faire un Album » cependant, qui s’étend un peu plus longuement sur ce qu’il a voulu faire et sur les réactions auxquelles il s’attendait en se lançant dans ce projet. Même si ça n’améliorera pas la qualité de l’album, ça permet de prendre du recul !

  2. J’ai trouvé ce truc catastrophique, je ne savais pas qu’il était connu sur Youtube. J’ai tenu 4 titres, c’est une pâle mauvaise copie de tout ce qui existe déjà, et les textes sont vraiment le point faible. Enfin je ne tape même pas sur le flow, inexistant.

  3. Plutot d’accord sur le fond. Parcontre Gville est la pire de l’album, là, je vous suis pas haha.

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