Il faut qu’on parle de Moha. Jusqu’à présent on n’avait trop rien dit, on s’était contenté de relayer ses sorties hebdomadaires de l’automne dernier dans la semaine de rap, assez surpris par le surgissement brutal du garçon sur une scène déjà saturée. Dans l’équipe cependant, la question n’avait pas manqué de se poser : Moha, escroc ou génie ? Après moult réflexions et surtout la sortie de son premier album Bendero, les premiers éléments de réponse se font jour.
On ne présente plus Moha, ce nouveau rappeur/acteur qui a cristallisé l’attention de tous les médias musicaux l’automne dernier. Sorti de la rue, passé par le Cours Florent, Moha a une gueule comme on en trouve dans les films de Rachid Bouchareb, et une productivité qui rappelle un certain MC marseillais amateur de cross « voler ». L’annonce de sa signature en major, chez Warner pour être exact, fit grand bruit et celle d’un album dans un délai aussi court que cinq mois (n’est-ce pas, Alpha Wann ?!) ajoutait au buzz déjà phénoménal qui entourait le garçon. Du coup, on a fait comme tout le monde et on a écouté Bendero.
Mais cessons de tergiverser, disons le tout net : Bendero mérite à peine le nom d’album. À l’heure où l’on ne sait plus comment appeler les réalisations des rappeurs, entre EP et LP, mixtapes et playlists, et où les rappeurs eux-mêmes les annoncent généralement comme « projets », la notion d’album tend à perdre en consistance. Tout juste s’accordera t-on sur un niveau de production et d’écriture élevé (dans la mesure du possible), une ambiance commune qui lie les morceaux entre eux, et encore, cette seconde donnée tend à passer au second plan avec l’allongement considérable des albums français depuis l’arrivée de Jul dans le game (Imany et Jok’Rambo comptent 17 titres chacun, Gims sort un 40 titres oklm, et la tendance est identique outre-Atlantique : le dernier Migos comptait pas moins de 22 pistes). Du coup, pour Bendero, Moha nous balance 24 titres, rien de moins.
Pour simuler une narration, ces 24 titres sont répartis en un prologue, trois chapitres et un épilogue, épilogue comprenant pas moins de huit titres (soit un tiers de l’album) ce qui a déjà de quoi laisser perplexe en soi, puisqu’un épilogue sert généralement à décrire brièvement les conséquences de l’action principale du récit. Passé le prologue où Moha nous explique qu’il joue désormais « en pro » et « ne vise pas le maintien » tout à la fois, le MC parisien se lance dans le premier chapitre intitulé Bendero, et composé des pistes n°2 à 6 : Bendero, Bandolero, C’était pas gagné, Luna, Tourner et Snow (peut-être le meilleur morceau de l’album). Nous profitons lâchement de l’occasion pour une mise au point LV2 : « Bendero » n’a aucune signification en espagnol. Après une écoute de l’album il semble que « Bendero » soit simplement une version bricolée et hispanisante de « mec qui vit dans le bendo ». À moins que ce ne soit une version francisée de « pendejo » ? Mais revenons au premier chapitre. Pendant six morceaux, Moha ne fait rien d’autre que d’égrainer des épisodes de ce que l’on supposera être sa vraie vie, racontée à la troisième personne à travers le personnage de Bendero. Si ce processus de dépersonnalisation a pour effet de placer Moha à égalité avec n’importe lequel de ses semblables en racontant la vie à la fois banale et extraordinaire d’un jeune des quartiers pauvres de la capitale, il ne s’agit au final que d’une reprise de l’exercice qui lui avait permis de se faire une place au soleil, et que nous auditeurs connaissons déjà très bien. Trafic de drogue, épreuves de la vie, police féroce, bref, rien que l’ordinaire dans la musique de Moha La Squale, sur des prods lorgnant sévèrement du côté des musiques sud-américaines.
Et les autres chapitres alors ? Ben pareil. En fait, les 24 titres sont sensiblement tous les mêmes, et si les thèmes de fond des morceaux varient légèrement d’une piste à l’autre, Moha finit toujours par reparler des mêmes choses : son envie de réussir, tu m’as pas vu venir ma gueule, c’était dur la rue, j’étais dans la rue, le terrain, j’ai charbonné/rime avec gros bonnet. Ce radotage en règle plonge l’auditeur dans un long tunnel d’allitérations en R, un ronronnement qui conduit inévitablement à un décrochage rapide (ou plus long selon votre résistance). Mais le pire reste sans doute les braillements incessants du MC sur la quasi-totalité des morceaux (seul Snow semble épargné par ce fléau). Impossible de se concentrer trente secondes sur les rimes de Moha sans être interrompu par les hurlements de La Squale. Véritable torture, on ne peut même pas fermer la fenêtre pour se prémunir contre les éruptions sonores intempestives du gêneur : il est dans le disque !
Au final Bendero s’avère n’être qu’un recueil, assez bâclé qui plus est à en juger par la qualité du mixage, de tous les freestyles que Moha n’aura pas sorti un dimanche après l’autre depuis le 31 décembre dernier. Et c’est là que les vraies questions se posent.
Il est difficile d’envisager que personne chez Elektra Records (le label de Moha chez Warner, également label de Justice et Bruno Mars, excusez du peu), ne soit passé cinq minutes en studio pour dire : « Peut-être qu’il va falloir se calmer sur les cris d’écorché vif » ou bien « on pourrait peut-être travailler sur un autre type de prod« . Et comme on n’ose pas imaginer que Warner ait volontairement saboté un artiste avec autant de potentiel commercial que Moha, ne restent que deux options pour expliquer ce pensum qu’est Bendero.
Première option, Moha s’est fait pigeonner. La Warner a senti en lui un potentiel julesque et s’est dit : « à raison d’un titre par semaine ça fait deux albums par an, et on va le traire« , avant de lui faire signer un contrat véreux rempli de clauses dérogatoires en sanscrit l’obligeant à payer de sa poche tout investissement visant à une amélioration substantielle de sa musique.
Deuxième option, Moha est un rappeur limité, son label le sait très bien, mais mise béatement sur le fait que son succès YouTube légitime le fait de ne pas changer une recette qui marche bien. Après être passé dans la section commentaires du clip de La BP, on aurait cependant tendance à penser qu’une telle stratégie risque de ne pas s’avérer payante bien longtemps.
S’il existe une troisième voie, elle sera sans doute à chercher du côté de la carte « artiste en développement », savamment expliquée par Pauline Raignault lors de son passage dans l’After Rap du Mouv’ consacré (entre autres) à l’album de La Squale (ici !). Pour faire simple : cet album ne viserait qu’à installer Moha dans le paysage rapologique et à « recouper » une partie de la grosse avance que la rumeur lui attribue, le temps qu’il progresse et qu’il soit réellement capable d’envoyer le feu divin depuis les sommets enneigés de l’Olympe.
Quoiqu’il en soit, cette hypothèse ne suffit pas à faire passer la curieuse impression que La Squale a été laissé tout seul pour concevoir le projet, et qu’il n’avait absolument pas les épaules ni la compétence pour un tel travail. Il n’est pas question ici de l’accuser de tous les maux qui affublent Bendero, mais de soulever une absence de bienveillance notoire de son entourage professionnel à son égard. Si Jul a l’excuse de sortir ses projets depuis sa chambre sans rien demander à personne, Moha aurait clairement dû bénéficier de la logistique de sa major. Encore une fois, Bendero n’est pas un projet pour l’exemple comme l’EP Ténébreux de Koba LaD, petit dernier de chez Def Jam France. Non : c’est un LP de 24 titres annoncé depuis décembre. D’ailleurs, pourquoi tant de hâte ? L’album aurait pu sortir à la rentrée et un ou deux singles au cours de l’été auraient largement suffi à faire patienter le public et à faire monter la pression.
En définitive, Bendero s’avère être un projet largement illisible, à la fois par son caractère pléthorique et par sa réalisation hasardeuse et hurlante… Dommage pour nous certes, mais aussi et surtout pour Moha La Squale lui-même…
il y a un mot en espagnol « pendejo » qui veut dire petit poil de cul….