Chroniques

[Chronique] Odezenne – Rien

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D’abord, on voit juste un carré blanc avec deux bouts de scotchs croisés. Pas de visages, pas d’images, pas de mots. « Rien ». Puis, on entend un enchevêtrement harmonieux de notes, de grossièretés et de poésies. Rien de très « rap », rien de commun, rien de vraiment connu. « Rien ».

Comme toujours, Odezenne étonne, détonne. C’est leur manière de faire : une poétique de la subversion, du délire, du non-sens. A travers les cinq textes qui composent ce trop court ouvrage, on retrouve alors les caractéristiques du rap d’Odezenne comme les voix suaves et la frénésie des mots, la douceur musicale et ses judicieux changements de rythmes. De plus, on découvre cette saisissante faculté qu’ont les rappeurs du groupe à mettre des images sous les yeux de l’auditeur. Il s’agit d’un rap qui donne à voir et qui imagine au sens propre. En effet, la récurrente mise en scène d’un objet ou d’un sujet en désaccord avec son environnement est symbolique de ce style pictural: c’est la redéfinition du monde selon les lois de la poésie et de la musique. Car ce qui frappe dans le savoureux enchainement de ces morceaux, c’est que le « je» qui rap semble étranger au monde qui l’entoure. La phrase « Je ne suis pas niais, je suis nié, car j’crache à la gueule des gars sur les billets » conforte par exemple l’idée d’un décalage entre la sincère volonté de l’artiste et la mécanique industrielle à laquelle il se heurte. On retrouve alors une volonté affirmée d’évasion et de libération physique comme spirituelle.

Seconde pièce de ce mini-opus, Chimpanzé incarne ce besoin de rêve et d’escapade à travers une véritable prouesse textuelle. Lieu d’un entassement de débris poétiques et de notes intenses et veloutées, il faut apprécier la teneur délirante du propos tout comme l’élan de ses chimères acidulées. Comme d’ordinaire chez Odezenne, c’est un rap sensuel qui prend l’auditeur au corps. Par la suite, la mélodie de Je veux te baiser résonne elle aussi avec langueur et volupté le long du corps comme une alerte à l’appel du plaisir, à la tendresse du vulgaire, à l’insatiabilité du désir. Le décalage entre le beat suave et l’aveu crédule du texte, entre la douceur de l’electro’ et la naiveté du propos faisant de ce morceau une pièce à la fois déroutante et onctueuse.

Concernant le très bon Novembre, les quelques cordes balbutiées et enrouées dans la cadence électrique ajoutent à la ligne aérienne du morceau un sentiment nostalgique tenace. « Brumeux comme l’horizon », le temps de Novembre, comme celui de la mélancolie, empêche d’y voir clair. C’est ce foisonnement de questionnements et d’images, aussi présent dans le titre final Dieu était grand, qui caractérisent bien l’esprit de cet EP qui s’offre à l’auditeur sans prétention aucune, à l’image de son titre.

Nouvel hors-piste musical, « Rien » entraîne donc l’auditeur dans des territoires inconnus et continue, cependant, de suivre les grandes lignes de l’œuvre « odezienne ». Entre désir du goût et goût du désir, on prend plaisir à écouter cet EP qui annonce, nous l’espérons, une suite tout aussi fantasque et envoûtante à l’œuvre d’Alix, Jaco et Mattia.

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