Chroniques

[Chronique] Orgasmic & Fuzati – Grand Siècle.

Fuzati et Orgasmic se réunissent après plus de 10 ans de séparation, et nous livrent un album, riche en contrastes, Grand Siècle, deux ans après la sortie de La Fin de L’Espèce et un an après celle de Last Days (album instrumental) pour Fuzati. Ces deux protagonistes n’en sont pas à leur première collaboration. En effet, ayant cofondé le groupe du Klub des Loosers, ces deux versaillais se sont fait connaitre grâce au maxi Baise les Gens  qui affichait déjà une nouvelle forme de rap ; des paroles trashs avec de l’humour noir à profusion. Juste après la sortie de ce trois-titres les deux artistes prennent conscience de leurs envies musicales différentes et décident de se séparer. Rejoint par Dj Detect, Fuzati donne une suite au Klub des Loosers et sort en 2004 l’album Vive La Vie, album très attendu par les fans du KDL. Quant à lui, Orgasmic décide de rejoindre le groupe TTC, et de cofonder le label Sound Pellegrino avec Teki Latex, il devient alors reconnu dans le monde du clubbing. Cette année, Fuzati met entre parenthèse son groupe actuel pour retrouver son beatmaker/DJ de l’époque et le 17 Février 2014, ils annoncent un album en commun, préparé secrètement.

Mais qui est Fuzati ? Rappeur Versaillais, ancien membre du Klub Des 7 auquel le KDL s’était associé avec Gérard Baste du groupe Svinkels, James Delleck et le Jouage, membres du collectif Gravité Zéro, ainsi que ATK. Il s’inscrit dans cette génération de rappeurs, née au début des années 2000, qui s’affirme avec des thèmes totalement différents de ceux des « piliers » du mouvement (IAM, NTM, Les Sages Po’, pour citer les plus connus). Effectivement, il parait difficile de traiter des inégalités sociales lorsque l’on vient d’un milieu aisé comme Versailles. Fuzati l’assume et tourne cet « handicap », dans le rap, en sa faveur grâce à des morceaux marqués par une forte autodérision comme Sous Le Signe du V dans l’album Vive La vie. Rappeur mélancolique, pessimiste ou, pour certains, simplement réaliste, il s’affirme sur la scène rap française comme un lyriciste agréé à la nonchalance parfois déroutante tout comme son flow, grinçant, reconnaissable entre mille.

On pourrait qualifier Grand Siècle d’album « hors-série » car il ne s’intègre pas dans la « trilogie » que Fuzati souhaite faire avec le Klub. Totalement en opposition avec La Fin de l’Espèce, sur la forme, l’album parait moins lugubre, il n’en est rien. En effet, malgré les instrus aux tendances electro d’Orgasmic, le fond est toujours aussi alarmiste et mélancolique. Cependant, les thèmes sont abordés avec un sarcasme poussé à son paroxysme, qui lui permet d’évoquer son point de vue, tout en nous évitant la potence. De plus, on constate un effort dans la construction de refrain. Autrefois, ses morceaux étaient formés par une suite de vers, avec, comme seule pause la prod tournant en boucle avant de relancer un couplet, comme sur le morceau  Destin d’Hymen. Cette fois-ci Fuzati réalise des refrains  s’accordant parfaitement avec le morceau, notamment sur Planétarium ou encore Sinok.  Ils permettent, ainsi, d’ajouter une certaine musicalité, souvent manquante dans les albums précédents.

« Faut que j’raconte des trucs plus simples / Les gens sont de plus en plus cons »

Le rappeur fait un constat de cette époque qui, à ses yeux, est purement en chute-libre. L’album n’a pas réellement de fil conducteur, si ce n’est, ce « Grand Siècle ». L’ensemble des morceaux apparaissent comme des pamphlets des temps modernes contre chaque branche du système. Le manque de culture du grand public le consterne « Avec Internet, tu n’as plus d’excuses pour ne pas être cultivé ». Mais Fuzati n’a pas la prétention de vouloir changer les choses, éternel pessimiste, il affirme « Paraît qu’tous les moyens sont bons / J’n’ai pas trouvé le bon moyen / Je restais seul dans mon coin / En me disant : “ça n’sert à rien ” ».

L’album apparait, aux premiers abords, comme moins introverti, mais l’égocentrisme revient au pas de course. Prenant conscience de son parcours et de son évolution, l’ado dépressif de Vive La Vie est bien loin derrière lui « Oublie les “check”, j’suis vieux / Serre-moi la main, dis-moi “Monsieur” ». On constate tout au long de l’album, une assurance certaine face à ce qu’il critique. Ce dernier affiche un caractère moins geignard qu’auparavant mais garde une certaine acrimonie face au monde qui l’entoure  « Tout n’tient qu’à un fil, ou à une corde, mais je m’suis détaché / Ni pantin, ni encore mort, on n’me quitte que très fâché / Une balade souvent tout seul parce que j’ai appris à trier ». Preuve de son individualisme, l’album ne contient aucun featuring « Tous ces types puent la haine lorsqu’ils te parlent de Fuzati / Et ça suce pour un featuring, je leur réponds  “non merci“ ».

Finalement, cet album n’aurait jamais pu être réalisé sans la séparation des deux artistes, dix ans plus tôt. Il permet de faire un break avec la trilogie annoncé du KDL, composée de Vive La Vie et de La Fin De L’Espèce, pour l’instant. Fuzati affirme qu’il souhaiterait produire son prochain album seul intégralement. A écouter en sirotant un verre, en s’assurant qu’il soit à moitié vide.

1 commentaire

  1. Très bon article. Grâce à celui-ci, j’ai aujourd’hui la satisfaction de connaître l’histoire du versaillais Fuzati. De plus, la rédaction donne clairement envie de lire avec passion cette article.

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